Charlotte Brives

1acteurs de savoiracteur non humainnature matérialité des savoirsinstrumentinstrument d'observationmicroscope pratiques savantespratique intellectuelleobservationDepuis plusieurs siècles, les humains se livrent à toutes sortes d’observations sur l’infiniment grand et l’infiniment petit grâce à la construction de lentilles, puis de télescopes et de microscopes de plus en plus perfectionnés. Nous devons les premières véritables observations détaillées sur des entités biologiques à Antoni Van Leewenhoek (1632-1723), qui, durant près de quarante ans, glissa sous la lentille de différents microscopes de sa fabrication de nombreux spécimens prélevés dans son environnement immédiat, et découvrit, entre autres, ce qu’il nomma des animalcules1.

2acteurs de savoircorpssanté acteurs de savoiracteur non humainmicro-organisme typologie des savoirsdisciplinessciences appliquéesmédecine typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalessciences de la vie et de l'environnementsciences de la vie par type d'organismesbactériologieL’intérêt des humains pour ce qu’ils ne peuvent voir à l’œil nu ne s’est, depuis, jamais démenti. L’observation de l’infiniment petit passionne et ouvre à un univers inconnu, peuplant notre monde d’un nombre prodigieux d’êtres dont l’existence était alors insoupçonnée, les faisant presque naître sous nos yeux. Les bactéries, les virus ou les acariens ont fait leur entrée de cette manière, transformant nos modes de vie de façon drastique. Ainsi, par exemple, furent mises en place au xix e siècle des pratiques d’asepsie, permettant d’améliorer durablement l’hygiène et la santé2. Les techniques se développant, nous avons eu accès à des détails de plus en plus précis du vivant, en particulier aux structures internes des cellules, et nous avons pu comprendre le fonctionnement de nombreux mécanismes. Ici encore, les conséquences ont été nombreuses : transformation de notre perception du corps, de la maladie, de la reproduction, développement de nouvelles techniques, de secteurs d’activités, etc. Les conséquences de l’utilisation du microscope sont visibles jusque dans le développement de l’imaginaire visuel : quiconque a eu un jour l’occasion de voir le documentaire Microcosmos a pu se faire la réflexion que les cinéastes et les scénaristes n’avaient pas dû aller chercher plus loin pour créer les monstres qui apparaissent dans les nombreux films à gros budget produits par Hollywood.

Microscope avec éclairage artificiel de la
          table de l’objectif (début du 
             siècle).
Figure 1. Microscope avec éclairage artificiel de la table de l’objectif (début du xvii e siècle).

3matérialité des savoirsinstrumentinstrument d'observationmicroscope typologie des savoirsobjets d'étude acteurs de savoirstatutamateurLa quantité disponible de clichés pris au microscope, que l’on peut voir dans les revues spécialisées ou même grand public, et la facilité à se procurer un de ces appareils – beaucoup d’enfants ont reçu le nécessaire du petit microscopiste pour Noël – nous conduisent ainsi à concevoir l’observation au microscope comme une activité relativement évidente. Et, en effet, la chaîne d’actions en microscopie peut paraître, au premier abord, assez simple : un sujet prélevant, dans la nature, un objet biologique à connaître, le plaçant sous la lentille de l’instrument et se livrant à quelques réglages de façon à obtenir une image la plus nette possible. Le rapport entre le sujet et l’objet semble donc direct, avec le microscope pour seul intermédiaire.

4espaces savantslieulaboratoire pratiques savantespratique intellectuelleobservationÀ y regarder de plus près cependant, en réglant nous-mêmes la focale de façon à entrer dans le détail des pratiques, nous découvrons que les choses sont bien plus complexes. Observer une entité biologique, quelle qu’elle soit, ne se limite pas, loin s’en faut, à ce résumé assez caricatural, comme nous proposons de le montrer ici en décrivant une partie substantielle de l’activité d’une biologiste cellulaire travaillant, en laboratoire, à la production de connaissances sur un organisme unicellulaire, la levure Saccharomyces cerevisiae, à l’aide d’un microscope complexe nommé microscope à épifluorescence.

5pratiques savantespratique corporelleperceptionvision construction des savoirséducationformationEn premier lieu, les microscopes dont nous disposons actuellement sont, pour certains d’entre eux, extrêmement sophistiqués, et cette sophistication implique que leurs utilisateurs maîtrisent un savoir poussé en sciences physiques et mathématiques, sans compter l’apprentissage nécessaire à la compréhension du fonctionnement de base de l’appareil. Comprendre ce que nous voyons sous le microscope passe en effet par la compréhension de la façon dont nous accédons à cette vision.

6pratiques savantespratique intellectuelleéchantillonnage pratiques savantespratique intellectuelleanalyse matérialité des savoirsinstrumentinstrument d'expérimentationéchantillon espaces savantslieulaboratoireEn second lieu, les entités observées ne peuvent en aucun cas être conçues comme des objets prélevés dans une nature extérieure au laboratoire. Elles doivent être préparées, ce qui nécessite des efforts d’ajustement, des négociations, ainsi que la production de normes standardisées. Autrement dit, les entités observées sont elles-mêmes, déjà, des productions du laboratoire, et leur existence ne se conçoit qu’à l’intérieur de celui-ci. Toute personne ayant déjà utilisé un microscope a pu se rendre compte que l’échantillon à observer ne peut être utilisé sous sa forme brute. Dans les cas les plus simples, il faut le couper finement ; dans les cas les plus complexes, il faut le modifier génétiquement, le colorer, le broyer, le dessécher, etc. En bref, les entités que nous observons et que nos observations font entrer dans notre monde ne se laissent pas si facilement capturer par le regard.

Isabelle et le microscope à épifluorescence

7typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalessciences de la vie et de l'environnementbiologie cellulaireLa biologie cellulaire est devenue une discipline à part entière à la fin des années 1950 avec l’apparition du microscope électronique. Approche utilisant majoritairement ce type d’instruments, elle a pour but de produire un savoir principalement descriptif sur les cellules, la composition, l’organisation et le fonctionnement de leurs structures internes, et sur le fonctionnement de l’ensemble.

8Isabelle, jeune biologiste d’une trentaine d’années travaillant au sein d’une équipe de recherche composée d’une dizaine de membres, consacre depuis plusieurs années l’essentiel de ses recherches à l’observation et à la compréhension du fonctionnement de la cellule de levure, cellule dite eucaryote3, d’une taille de quelques micromètres seulement, et qui présente de nombreuses similitudes avec les cellules composant notre corps. Elle s’intéresse plus précisément à une structure cellulaire particulière, le cytosquelette. Celui-ci, composé de protéines, majoritairement d’actine, permet à la cellule d’avoir une structure, une forme, mais aussi des mouvements. Il entre en jeu dans de nombreux processus, puisque c’est lui qui permet les déplacements des composants cellulaires.

Microscope à fluorescence verticale
            (Olympus BX61), équipé de filtres et d’un appareil photo
            numérique.
Figure 2. Microscope à fluorescence verticale (Olympus BX61), équipé de filtres et d’un appareil photo numérique.

9pratiques savantespratique corporelleperceptionvision acteurs de savoiracteur non humainmicro-organisme construction des savoirsvalidationexpérimentation espaces savantslieulaboratoireTravailler avec des levures s’avère une activité complexe. Ces dernières, invisibles à l’œil nu, contraignent en effet les chercheurs à être particulièrement précautionneux et à respecter un ensemble de règles de façon à conserver ces entités dans de bonnes conditions, c’est-à-dire dans des conditions qui permettent aux chercheurs de ne pas douter de leur capacité à pouvoir répondre aux questions qu’ils leur posent. Ils doivent ainsi éviter les contaminations par d’autres micro-organismes (des bactéries, des champignons, mais aussi des levures d’espèces différentes de celle étudiée), et faire attention à l’environnement dans lequel elles sont placées.

10pratiques savantespratique intellectuelleobservation matérialité des savoirsinstrumentinstrument d'observationmicroscope acteurs de savoiracteur non humainmicro-organismeAvant de nous concentrer sur la manière dont Isabelle utilise le microscope, précisons en quelques mots, nécessaires pour comprendre la chaîne d’opérations effectuée, la façon dont la chercheuse peut produire des faits scientifiques. Celle-ci observe généralement sous le microscope des souches de levure, c’est-à-dire une population de cellules considérées comme identiques du point de vue de leur génome4. Organismes relativement simples comparativement aux eucaryotes supérieurs que nous sommes, les cellules de levure possédant un patrimoine génétique identique devraient, a priori, se comporter de façon identique. Pourtant, il n’en est rien. Les individus d’une population clonale montrent en général des disparités dans leur morphologie et leur physiologie, chaque cellule répondant à l’environnement dans lequel elle est placée, ce dernier pouvant présenter des variations infimes mais suffisamment sensibles pour entraîner une réponse adaptée de la cellule. Ainsi, Isabelle considère la population qu’elle observe non comme une population clonale, mais davantage comme une population d’individus uniques.

11inscription des savoirsgenre éditorialarticle inscription des savoirsvisualisation construction des savoirsvalidationdémonstration inscription des savoirsvisualisationimage pratiques savantespratique intellectuellegénéralisationCela a des conséquences sur la production des données. Lorsque l’on regarde une publication en biologie cellulaire, on peut voir des clichés représentant une ou deux cellules de levure, qui sont censées valoir, en général, pour l’ensemble des cellules de levure. Comment établir des généralités si toutes les cellules observées sont différentes ? Isabelle procède de la façon suivante : pour chaque population clonale observée, elle choisit les critères d’intérêt, par exemple la conformation du cytosquelette5, et se livre à un dénombrement des cellules selon ces critères. Elle obtient ainsi des statistiques et peut arriver à une conclusion du type : « Les cellules de levure dans telles conditions possèdent principalement des actin bodies. » Ajouté à cette conclusion figure en bonne place dans l’article un cliché d’une cellule pour laquelle la conformation du cytosquelette est particulièrement nette. Le statut des images en microscopie est donc double : nécessaires à Isabelle pour qu’elle puisse effectuer des comptages, elles doivent dans un second temps, une fois insérées dans les articles scientifiques, avoir la capacité de montrer aux autres chercheurs que les assertions de l’auteur sont justes. Voir et montrer, telles sont donc les deux activités nécessitant l’emploi du microscope.

12construction des savoirsépistémologietechnologie acteurs de savoirprofessiontechnicienLe microscope utilisé par Isabelle est d’un type relativement rare (il en existe seulement deux en Europe) et a été acquis il y a un peu moins de dix ans auprès d’une firme américaine avec laquelle Isabelle entretient d’excellents contacts, au point d’avoir proposé à ses dirigeants qu’ils lui envoient de potentiels acheteurs pour une démonstration. La rareté du microscope explique qu’il n’y ait pas de service après-vente, ni donc de techniciens susceptibles de venir dépanner mon interlocutrice en cas de problèmes. Cela a une conséquence majeure : Isabelle a dû apprendre le fonctionnement du microscope, en connaître le mécanisme et l’ensemble des pièces, de façon à pouvoir remédier à toute situation délicate, à localiser les pannes ou à commander directement des pièces endommagées. Mon interlocutrice a également suivi une formation en microscopie lors de son post-doctorat et maîtrise parfaitement les aspects théoriques de cette activité, qui demandent la plupart du temps des connaissances assez développées en mathématiques et en optique.

13pratiques savantespratique manuellemanipulation typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalessciences de la vie et de l'environnementgénétiquePour étudier le cytosquelette, Isabelle dispose de diverses techniques, alliant la microscopie à la biologie moléculaire et à la génétique. Ainsi, elle connaît certains des gènes spécifiques du cytosquelette et peut construire des mutants, c’est-à-dire des levures dans lesquelles un ou plusieurs gènes donnés auront subi une altération qui les rend déficients ou inactifs. De même, elle dispose de plusieurs techniques de visualisation des protéines constituant le cytosquelette. La Green Fluorescent Protein (GFP), protéine extraite, à l’origine, de la méduse fluorescente Aequorea victoria, est ainsi utilisée de façon assez surprenante dans l’étude de la localisation des protéines. Il est possible, en effet, de fusionner le gène codant pour cette protéine à n’importe quel autre gène. Ainsi, quand ce dernier est transcrit, puis traduit en protéine, le gène de la GFP l’est également. Le résultat est une protéine chimérique, la protéine de départ étant fusionnée à la GFP. En plaçant ensuite les cellules sous une longueur d’ondes donnée6 sous le microscope, on peut observer la fluorescence de la GFP, et donc de la protéine de départ. D’autres techniques sont également employées, notamment le couplage de molécules à des fluorophores, capables de se fixer spécifiquement sur certaines des protéines constituant le cytosquelette, telle la phalloïdine. Le processus de préparation des levures est donc généralement long et complexe.

14matérialité des savoirsmobiliertable matérialité des savoirsinstrumentinstrument de mesure pratiques savantespratique manuellemanipulation pratiques savantespratique corporelle Installée sur un tabouret pivotant, Isabelle fait face à l’écran d’ordinateur relié au microscope. Sur la table reposent un pipetman 7 , des cônes jetables, des tubes eppendorf 8 contenant différentes souches de levure préparées pour l’observation, des lames et des lamelles. Dans chaque tube, ce sont des milliers de cellules de levure, toutes identiques génétiquement, en suspension dans le milieu de culture liquide dans lequel elles ont été préparées. Isabelle se saisit du pipetman, y fixe un cône prélevé dans une boîte en plastique bleue préalablement autoclavée de façon à assurer la stérilité de son contenu, choisit un des tubes eppendorf et prélève quelques microlitres de son contenu qu’elle dépose soigneusement au centre de la lame. Puis elle éjecte, grâce à un bouton du pipetman, le cône dans une poubelle prévue à cet effet 9 . Elle prend ensuite une lamelle et la place sur la goutte de solution sur la lame. Pivotant sur son tabouret de 90o sur sa gauche de façon à se placer face au microscope, qui repose sur une table à coussin d’air pour empêcher toute vibration qui rendrait les observations impossibles, elle fixe ensuite la lame sous l’objectif. Regardant une première fois dans les binoculaires, elle effectue différents réglages et choisit l’objectif qu’elle veut utiliser.

15pratiques savantespratique corporelleposition du corps pratiques savantespratique manuelleinscription Isabelle se tient le dos bien droit. Sous sa main droite, un compteur tel que celui que pourrait utiliser une hôtesse de l’air, mais qui possède cinq touches et non une seule, ce qui lui permet d’effectuer le comptage de plusieurs critères à la fois – par exemple « patchs », « câbles » et « actin bodies ». Un peu plus loin, un Post-it et un stylo à bille. Dans sa main gauche, la vis du microscope lui permettant de déplacer la lame qu’elle est en train d’observer. On n’entend rien d’autre que le ronronnement du moteur du microscope, celui de l’ordinateur et le cliquetis du compteur qui égrène le nombre de cellules observées, tout cela dans une obscurité presque totale de façon que la lumière extérieure ne vienne pas gommer les contrastes visibles dans les binoculaires. Ce qu’observe Isabelle, je peux également le voir sur l’écran de l’ordinateur : des cellules de levures, dont certaines structures internes ont été rendues visibles par différentes techniques de marquage. Je vois alors défiler les levures, en un mouvement homogène, sans à-coups, qui correspond au mouvement qu’imprime Isabelle à la lentille du microscope sur la lame. De temps en temps, l’image s’immobilise, en même temps que le cliquetis du compteur cesse de se faire entendre. Isabelle s’attarde sur une cellule, qu’elle décide de prendre en photo. Elle pivote alors sur son tabouret de façon à faire face au moniteur, règle différents paramètres complexes et fixe une fois pour toutes l’image de cette cellule. Elle reprend ensuite l’opération en cours, jusqu’à ce que le cliquetis plus fort annonçant le décompte du nombre convenu de cellules à compter retentisse. Isabelle prend son stylo et inscrit les différents chiffres du compteur dans des colonnes, en face du nom de la levure qu’elle vient d’observer. Se tournant de nouveau vers le microscope, elle ôte la lame et la dépose dans une poubelle destinée à recueillir ce type de matériel. Elle se tourne ensuite vers la table de l’ordinateur, et réitère le même processus.

16matérialité des savoirsinstrumentterminal informatiqueordinateur personnelordinateur de bureauPour chaque souche, l’opération dure quelques secondes. Une fois toutes les souches observées, Isabelle se tourne vers l’ordinateur, reprend les clichés, les travaille et les envoie sur l’ordinateur de son bureau, situé dans une autre pièce. L’ensemble donne une impression de simplicité, l’enchaînement des différentes étapes se faisant de façon fluide, ce qui finalement aurait pu poser problème à l’anthropologue. Devant tant d’aisance, il est difficile en effet de repérer des brèches, des interstices, des failles, qui permettraient d’interroger la pratique de la chercheuse.

17construction des savoirséducationapprentissageCependant, la présence au sein de l’équipe de Damien, un doctorant peu familier avec les pratiques de biologie cellulaire mais qui a besoin d’un apprentissage en vue de traiter certaines des questions soulevées par son sujet de recherche, a permis de mettre en évidence deux éléments fondamentaux dans la pratique de la microscopie : la compétence technique et le respect des entités observées.

La compétence technique et l’expérience

18pratiques savantespratique intellectuelleobservation pratiques savantespratique corporelleperceptionvision pratiques savantespratique artistiquephotographie Damien est assis au microscope à épifluorescence du troisième étage, sous la supervision d’Isabelle. Il monte une première lame, la place sous le microscope, mais n’arrive pas à prendre une photographie, car il y a trop de mouvement sous l’objectif. Isabelle lui explique qu’il a déposé une quantité trop importante de culture sur sa lame. « Il faut mettre seulement un ou deux microlitres. » Après avoir fait de nouvelles préparations tenant compte des remarques de sa collègue, il observe le résultat. La fluorescence étant intense, Isabelle lui apprend à l’interpréter, avant de lui expliquer le fonctionnement du logiciel de traitement d’images couplé au microscope. Ils regardent ensuite les différentes photographies prises, les comparent, s’interrogent sur ce qu’ils voient et prennent des notes pour chaque souche observée. Damien se tourne alors vers moi : « En cytologie ou en biologie cellulaire, si tu n’as pas déjà quelques notions ou compétences, tu passes toujours à côté d’un milliard de trucs. » Isabelle me regarde à son tour, et ajoute : « En biologie cellulaire, il faut avoir l’œil carrément averti. »

19construction des savoirsvalidationexpérimentation construction des savoirséducationapprentissage acteurs de savoirstatutnoviceComme tout novice, Damien apprend, et cet apprentissage commence dès la préparation des lames. Pour pouvoir observer des levures en biologie cellulaire, il ne faut pas que celles-ci soient trop nombreuses. Quand il y a trop de culture sur la lame, cela empêche toute possibilité de faire une observation fiable : les cellules se chevauchent, et il est impossible de les distinguer. Étant donné la finesse d’une cellule et la finesse plus grande encore des structures qu’il s’agit de voir, l’observation doit avoir lieu dans les meilleures conditions possibles. La lumière est faible, la table du microscope est équipée d’un système permettant d’empêcher les vibrations. Dans le cas présent, ce sont les levures elles-mêmes, trop nombreuses, qui gênent l’expérimentateur. S’agissant d’une population d’individus uniques, il est nécessaire de les observer individuellement.

20matérialité des savoirsinstrumentinstrument de communicationécran matérialité des savoirsinstrumentterminal informatiqueordinateur personnelordinateur de bureau pratiques savantespratique lettréeinterprétationUne fois ce problème résolu, l’observation et la prise de clichés peuvent avoir lieu. Pour autant, il ne suffit pas de regarder dans le microscope pour voir les délicates structures de la cellule. Isabelle commence tout d’abord par aider Damien à comprendre et à interpréter ce qu’il a sous les yeux. La fluorescence, que je peux voir sur l’écran de l’ordinateur, varie du jaune au vert, et ces subtiles nuances de couleur possèdent des significations distinctes, qui ne peuvent être totalement comprises que si l’on possède une connaissance presque intime du microscope. Un coup d’œil trop rapide peut induire l’observateur en erreur. Les deux chercheurs prennent alors des photographies et les commentent ensemble.

21inscription des savoirsvisualisationimage pratiques savantespratique corporelleperceptionIl faut pouvoir également reconnaître sur les images les différentes structures cellulaires, et donc identifier leur forme, leur nombre, leur dispersion et leur localisation (près de la membrane, dans le cytoplasme ou dans le noyau de la cellule par exemple). On comprend alors d’autant mieux la remarque de Damien : « En cytologie ou en biologie cellulaire, si tu n’as pas déjà quelques notions ou compétences, tu passes toujours à côté d’un milliard de trucs. » Si l’on n’est pas capable de distinguer les nuances de fluorescence, si l’on ne peut voir les différentes structures cellulaires, il devient presque impossible d’effectuer des localisations cohérentes. Il faut donc avoir « l’œil carrément averti ». Cette affirmation indique bien plus que le simple fait de « faire attention ». L’œil doit être averti – et l’adverbe « carrément » souligne que ce point est fondamental –, si l’on s’en réfère au Petit Larousse, l’œil doit ainsi être instruit, il doit être prévenu. Il doit apprendre à voir, à connaître pour reconnaître une cellule de levure, une membrane, un noyau, une mitochondrie, un morceau de réticulum endoplasmique ou d’appareil de golgi, une vacuole, une invagination, un bourgeon, une partie du cytosquelette, mais aussi des intensités et des couleurs. Avec le microscope, les levures sont non seulement visibles, mais des détails minuscules, d’une incroyable finesse, sont révélés par des instruments et des méthodes de visualisation comme l’utilisation de la GFP. Encore faut-il les percevoir, encore faut-il avoir prise sur eux. Les techniques ne suffisent pas : elles ne sont rien, ne permettent rien, et surtout pas à la levure de répondre aux questions qu’on lui pose, si le chercheur n’a pas « l’œil averti ».

22acteurs de savoirqualités personnellescompétence acteurs de savoiracteur non humainobjet artificielL’observation de la chercheuse en séance d’apprentissage avec Damien nous fait saisir la pleine mesure de ses compétences techniques, soupçonnées mais assez peu explicites lorsqu’elle manipule seule, tant l’aisance dont elle fait preuve vient masquer le long apprentissage auquel elle a dû se livrer. Loin d’être une « boîte noire » pour Isabelle, le microscope (couplé au logiciel de traitement d’images) ne constitue pas un simple instrument, une sorte d’appareil photographique géant pour levures minuscules10. Isabelle connaît le fonctionnement de chacune des parties nécessaires à la progression de son propre travail. Qu’il s’agisse de voir ou de montrer, la maîtrise des instruments est indispensable : parce qu’elle sait comment ils fonctionnent, elle sait ce qu’elle peut ou ne peut pas voir, mais elle sait aussi ce qu’elle pourra, par la suite, montrer ou ne pas montrer. Cela est fondamental pour la chercheuse, et quiconque veut devenir biologiste cellulaire doit acquérir une réelle compétence technique, qui dépasse la capacité de « prendre des photos ».

23Cependant, cette compétence, si développée soit-elle, ne peut à elle seule assurer la qualité des images, et l’on peut vite devenir un « biologiste cellulaire du dimanche » aux yeux d’Isabelle si l’on ne respecte pas, selon ses propres termes, les levures.

Respecter l’entité que l’on observe

24pratiques savantespratique manuellegeste acteurs de savoirqualités personnellesexactitudeLes levures doivent en effet faire l’objet de soins particuliers, comme le dit Isabelle dans un entretien mené alors qu’elle était en train de se livrer à la préparation de levures en vue de les observer au microscope :

Les gens me demandent souvent comment je fais pour avoir de belles cellules, mais il suffit de faire attention, d’être précautionneux lorsque c’est nécessaire. Là, par exemple, je suis en train de répéter les gestes que je vais faire parce qu’il ne faut pas que les cellules stressent. Et pour qu’elles ne stressent pas, il ne faut pas que je stresse. Tu ne peux bien faire la manip que si tu comprends ce que tu fais. Il faut comprendre ce que tu fais subir à ta levure. Il faut respecter sa physiologie.

25acteurs de savoirqualités personnellescompétence pratiques savantespratique manuellegeste pratiques savantespratique manuellesavoir-faireParce que les actes d’Isabelle visent à montrer autant qu’à voir, il est important, pour obtenir de belles images, d’obtenir de belles cellules. Mon interlocutrice a développé dans ce domaine des compétences qui font l’admiration de ses pairs, au point qu’il n’est pas exceptionnel qu’elle reçoive des courriers électroniques lui demandant conseil. Dans les propos d’Isabelle, le champ lexical du soin est omniprésent : il faut « faire attention », « être précautionneux », « respecter la physiologie » de l’organisme sur lequel on veut apprendre du nouveau. Et comme le mentionne explicitement la biologiste, cela repose sur l’acquisition d’une gestuelle. Il s’agit de se préparer physiquement à une manipulation complexe, génératrice de stress. Isabelle répète l’intégralité de la séquence d’action avant de la faire subir aux levures, et cela afin de leur éviter un stress.

26Ainsi ces dernières doivent-elles être respectées. Leur physiologie, la température à laquelle elles se sentent le mieux, leur cycle de division doivent être pris en compte par les expérimentateurs. Placer des levures au réfrigérateur, alors que la température optimale est de 30 °C, les laisser deux heures sur une lame, sans nutriments, sans oxygène, sous la lampe du microscope avant de les observer revient à les placer dans des conditions qui ne sont pas celles auxquelles elles sont habituées. Certes, les « biologistes du dimanche » peuvent bien les préparer correctement, selon les règles qu’ils ont apprises, mais ils ne les respectent pas. Tout doit être pris en compte, y compris le stress causé par une expérimentation délicate. Si Isabelle stresse, elle peut rallonger certaines étapes du protocole, en oublier d’autres et placer ainsi les levures dans des conditions néfastes pour leur croissance.

27typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalessciences de la vie et de l'environnementéthologie acteurs de savoiracteur non humainanimalCet élément est fondamental pour comprendre la démarche d’Isabelle et nous renseigne sur la façon dont elle conçoit les entités avec lesquelles elle travaille. Les « biologistes cellulaires du dimanche » se comportent avec les organismes comme si ceux-ci étaient inertes, comme si finalement leur statut d’objet était assuré une fois pour toutes, comme s’ils n’avaient rien à dire, comme s’ils n’avaient pas la capacité de nous « surprendre11 ». Or ce sont les cellules de levure qui sont les sujets des images, ce sont elles qu’il faut préparer le mieux possible afin qu’elles puissent rendre compte et témoigner de ce qu’elles sont. Si l’expérimentateur ne « respecte pas la physiologie de [sa] levure », les réponses qu’il pourra tirer de ses observations ne seront tout simplement pas pertinentes.

28pratiques savantespratique manuellegeste construction des savoirsépistémologiemodèleLe terme « respect » est donc ici à prendre au sens fort et nous rapproche grandement de ce que Vinciane Despret a pu apprendre des éthologues avec lesquels elle a longuement travaillé. Non que la levure puisse être considérée comme un animal, encore que la question de l’appartenance à un quelconque règne ne se pose absolument pas pour Isabelle, mais elle entre en jeu lorsqu’il s’agit de constituer la levure en « modèle » pour l’étude d’organismes plus complexes. Plutôt que de clore la question en renvoyant les levures dans une catégorie scientifique préétablie, il vaut donc bien mieux se concentrer sur ce que les faits et gestes d’Isabelle disent de sa conception de la levure. Dans ce cadre, force est de constater que la façon dont Isabelle parle de ses levures nous conduit relativement loin de ce à quoi nous aurions pu nous attendre (un sujet contemplant un objet passif) et nous rapproche de la « politesse du faire connaissance » que Despret met en évidence, c’est-à-dire le fait de « prendre en compte l’intérêt de celui à qui [la question] est adressée »12 et qu’elle illustre en partie par le travail de Shirley Strum sur les babouins : « Quand on lui demande d’expliquer le fait que son travail avec les babouins ait produit des résultats aussi intéressants, Shirley Strum répond qu’elle s’est d’abord efforcée de ne pas leur construire un savoir “dans le dos” : dans sa pratique, les questions adressées aux babouins se subordonnent à l’exigence de savoir “ce qui compte pour eux”13. »

29pratiques savantespratique manuellesavoir-faire acteurs de savoiracteur non humainÀ ce type d’enrôlement des non-humains dans nos dispositifs, qui ont la capacité de nous transformer, qui ont la capacité de faire venir à l’existence de nouveaux êtres14, Despret oppose la volonté de « faire science » d’un Harry Harlow, qui, afin de prouver les liens unissant une mère et son enfant, a, des années durant, séparé des bébés rhésus de leurs mères, les enfermant dans des cages étroites, les soumettant à toutes sortes d’expériences, ce qui eut pour résultat une tautologie : « Si vous désespérez un singe, vous ferez un singe désespéré15. » Cette volonté de « faire science » selon les termes de Despret, s’oppose également à l’expérience et au savoir-faire d’Isabelle qui emploie quant à elle une autre expression, relativement proche, pour qualifier un type d’interaction réussi entre humains et non-humains : « faire de la belle science ». Pour mon interlocutrice, « faire de la belle science » regroupe l’ensemble des facteurs que nous avons pu développer dans ce texte : la compétence technique, l’apprentissage, mais surtout le respect des non-humains avec lesquels elle interagit dans le laboratoire. Créer de la connaissance sur ces non-humains grâce au microscope implique de la créer avec eux, de leur poser des questions pertinentes pour eux, d’adapter ses prétentions scientifiques à ce qu’ils peuvent offrir, et surtout à ce qu’ils sont.

30pratiques savantespratique artistiquephotographie acteurs de savoirmodes d'interactioncollaboration acteurs de savoiracteur non humainmicro-organisme construction des savoirsépistémologieméthodeLa démarche d’un microscopiste, dans le cadre du moins de la pratique de la biologie cellulaire, ne se résume donc pas à une observation directe d’une entité naturelle. Il s’agit aussi d’être capable de traiter ses levures correctement, de les placer dans des conditions dans lesquelles celles-ci pourront fournir une réponse interprétable, non seulement par l’expérimentateur, mais aussi par les chercheurs qui liront ensuite l’article dans lequel cette réponse sera transcrite. Les clichés réalisés doivent donc faire sens au-delà du moment auquel ils ont été pris. Les photographies, une fois publiées dans l’article, seront en effet étudiées par d’autres chercheurs, qui s’en serviront à leur tour pour établir de nouvelles hypothèses de travail, pour réaliser de nouvelles expériences, pour interroger leurs propres levures sur ces nouvelles bases. Le contexte dans lequel elles ont été prises n’étant pas intégralement accessible aux scientifiques16, ces derniers ne peuvent que supposer que les meilleures conditions ont été respectées au moment de l’obtention des images. La qualité de ces dernières (notamment la finesse des détails, la très bonne visibilité des structures cellulaires) constitue une garantie, et cette qualité repose en grande partie sur la qualité des interactions entre humains et non-humains.

31matérialité des savoirsinstrumentinstrument d'observationmicroscope acteurs de savoirqualités personnellesLa biologie cellulaire, résumée avant tout par Isabelle comme la capacité de faire de « belles images », est ainsi définie dès le départ par la simplicité de sa démarche : par différentes techniques, on observe les levures sous le microscope. Mais cette simplicité ne doit cependant pas cacher la complexité de sa mise en application. Nous l’avons vu, « faire de belles images » ne s’improvise pas, il ne suffit pas de prendre quelques clichés à l’aide d’un microscope. Bien au contraire, des précautions doivent être prises, et ce n’est qu’à ce prix que l’on peut développer une certaine virtuosité. Les techniques doivent être comprises et assimilées, et les instruments connus dans leur fonctionnement le plus intime. Si l’on veut être sûr de ce que l’on observe, il faut savoir comment, précisément, on l’observe. Dans ce cadre, le microscope ne peut rester la boîte noire qu’il est devenu pour beaucoup de praticiens. Celle-ci doit être ouverte, les potentialités de l’objet doivent être comprises et explorées. Les scientifiques ne considèrent pas leurs instruments comme de simples interfaces, mais bien plutôt comme des médiateurs qui transforment l’objet de leur attention. La levure dans le tube eppendorf attendant d’être observée sous le microscope et la levure figurée sur le cliché ne sont pas équivalentes. Le fait de les mettre sous le microscope les affecte et rend leur étude possible. Ce passage est loin d’être anodin, et un « bon » biologiste cellulaire est celui qui ne perd pas de vue cette donnée capitale, qui la garde en tête à tout moment du processus et qui sait l’utiliser lorsqu’il s’agit d’interpréter la levure figurée.

32typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesanthropologie typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessociologiethéorie de l'acteur-réseauEntendons que le microscope ne se contente pas de « grossir » la levure pour la rendre accessible dans le cadre des perceptions humaines. Il agit. Il est ce qui permet d’obtenir une levure figurée, ce qui la fait venir à l’existence, et la compréhension de la façon dont celle-ci est figurée dépend totalement de la façon dont il effectue cette action. Comme le souligne l’anthropologue des sciences Michael Lynch, les images produites reflètent tout autant l’organisation scientifique du travail que l’organisation des objets étudiés : « The resultant data were therefore neither wholly constructed, nor simply a “mirror of nature” arising from an encounter between a rational mind and an inherently orderly nature. Instead, the representational adequacy of the data depended upon a tenuous coherence of actions established in the social environs of the laboratory 17 . »

33acteurs de savoiracteur non humainobjet artificiel construction des savoirséducationapprentissage construction des savoirsépistémologieobjectivitéDans ce cadre, l’apprentissage et l’expérience demeurent fondamentaux, tout en étant dépendants des facteurs précédents. Un bagage théorique est certes nécessaire, les grandes fonctions cellulaires doivent être connues, les différentes techniques comprises dans leurs moindres détails. Mais cela est loin d’être suffisant : un bon microscopiste est un chercheur qui sera capable de voir, de saisir de petits détails qui échapperont à d’autres, un humain qui pourra regarder un non-humain sous le microscope et raconter son histoire. Isabelle, par exemple, est capable de dire si l’agitateur dans lequel des cultures de levures ont été placées s’est arrêté durant la nuit rien qu’en regardant attentivement quelques cellules. Mais elle peut également, comme me l’a rapporté Damien, regarder une lame et dire de quelle souche, parmi la dizaine à observer, il s’agit. Le tour de force de cette chercheuse s’explique par son observation inlassable des cellules de levure depuis plus de dix ans, la connaissance intime du microscope et la maîtrise d’une gestuelle complexe. Isabelle observe, elle retient et peut ensuite appliquer ce qu’elle connaît déjà à de nouvelles situations. Encore faut-il ajouter que cette attention est tout entière tournée vers une compréhension des données du point de vue de la levure. Loin d’être le support d’une rencontre froide entre un sujet observant et un objet à connaître, le microscope prend une part active à cette rencontre et transforme ainsi, lorsque l’on sait s’en servir, tant les humains que les non-humains que l’on présente trop souvent comme passifs. Se met ainsi en place une relation qui fonctionne sur le mode de l’empathie, dans laquelle les chercheurs tentent véritablement de se mettre à la place de ceux qu’ils observent, et qui devrait nous conduire à appréhender autrement la notion d’objectivité dans les sciences du vivant.

Notes
1.

Qui sont devenus, dans la terminologie actuelle, des protozoaires.

2.

Sur ce point, voir le très bel ouvrage de Bruno Latour, Pasteur : guerre et paix des microbes (Latour, 2001).

3.

Une cellule eucaryote est une cellule qui possède un noyau renfermant son ADN, contrairement aux cellules procaryotes, comme les bactéries. Les cellules des mammifères, dont les humains, sont également des cellules eucaryotes.

4.

On parle également de population clonale.

5.

Celui-ci peut se présenter sous différentes formes : des patchs, des câbles et des actin bodies.

6.

La GFP donne une fluorescence verte lorsqu’elle est observée à une longueur d’onde de 395 nm.

7.

Le pipetman est une sorte de seringue au bout de laquelle on peut fixer des embouts jetables (dits cônes). Cet instrument permet de prélever de façon très précise des volumes de liquide variant de 20 à 1 000 microlitres selon le modèle.

8.

Les tubes eppendorf sont des tubes en plastique, généralement à fond pointu, d’une contenance de 1,5 ou 2 millilitres.

9.

Les déchets biologiques sont placés dans des poubelles spéciales, qui seront autoclavées avant d’être jetées. Les levures du laboratoire ne présentent aucun risque pour l’environnement, mais font tout de même l’objet de cette procédure

10.

En cela, la chercheuse se rapproche des opérateurs techniques décrits par Nicolas Dodier dans Les Hommes et les machines : « [Les opérateurs] montrent leur capacité à inventer des repères individuels. Ils brisent l’opacité de l’objet et découvrent de nouvelles commandes. La machine n’est plus pour eux une boîte noire, ils tracent en elle des surfaces et des chemins d’accès. Inversement, les utilisateurs qui s’en tiennent aux commandes prévues pour les “actants” imaginés par les concepteurs en restent à un éventail d’intervention limité, et restent misérables dans l’arène des habiletés. Ils prennent l’objet comme une boîte noire, mise au point par d’autres, et refermée sur elle-même, hors d’atteinte. » (Dodier, 1995, p. 234.)

11.

Cette expression est empruntée à la philosophe Vinciane Despret, qui l’utilise pour parler d’une entente réussie entre les éthologues et les animaux qu’ils étudient. Il faut laisser à ces derniers la capacité de surprendre les observateurs, c’est-à-dire qu’il faut les placer dans des conditions telles qu’ils puissent produire des comportements auxquels nous n’aurions pas pensé ou qui n’avaient jamais été observés auparavant en raison justement d’une mauvaise façon d’interagir avec eux. (Despret, 2002.)

12.

Ibid., p. 115.

13.

Ibid., p. 25.

14.

« Bien sûr, tous les êtres que les sciences font exister sont “inventés” au sens où leurs attributs sont relatifs à nos histoires, mais c’est précisément pour cela que leur existence dépend de la multiplication des histoires qui ont pour trait commun de renvoyer à eux, de les désigner comme condition sinon suffisante, du moins nécessaire à leur possibilité. » (Stengers, 1993, p. 113.)

15.

Ibid., p. 114.

16.

Les articles scientifiques contiennent une section « matériel et méthodes » dans laquelle les auteurs détaillent les protocoles et les entités utilisés.

17.

« Les données produites n’étaient pour cette raison ni totalement construites, ni simplement un “miroir de la nature” résultant d’une rencontre entre un esprit rationnel et une nature en soi ordonnée. L’adéquation représentative des données a plutôt dépendu de la fine cohérence des actions effectuées dans l’environnement social du laboratoire. » (LYNCH, 1985, p. 60 ; trad. Ch. Brives.)

Appendix A Bibliographie

  1. Despret, 2002 : Vinciane Despret, Quand le loup habitera avec l’agneau, Paris.
  2. Dodier, 1995 : Nicolas Dodier, Les Hommes et les machines : la conscience collective dans les sociétés technicisées, Paris.
  3. Latour, 2001 : Bruno Latour, Pasteur : guerre et paix des microbes, Paris.
  4. Lynch, 1985 : Michael Lynch, « Discipline and the Material Form of Images, an Analysis of Scientific Visibility », Social Studies of Science, vol. 15, no 1, p. 37-66.
  5. Stengers, 1993 : Isabelle Stengers, L’Invention des sciences modernes, Paris.