Simon Dumas Primbault

Résumé

Entre 1671 et 1716, le mathématicien allemand Gottfried Wilhelm Leibniz s’est essayé à concevoir une machine à calculer sans jamais réussir à produire un prototype fonctionnel, malgré un travail en étroite collaboration avec l’horloger parisien Ollivier. Avec la redécouverte en 1879 du dernier modèle de la machine, l’échec de l’entreprise fut tour à tour attribué à l’état de la technique de l’époque – réputée trop en retard sur le génie de Leibniz – ou bien à de simples problèmes de communication entre l’inventeur et l’artisan.
En plus de sa correspondance, Leibniz nous a légué une importante collection de textes et de schémas afférents aux spécifications techniques de la machine qu’il imaginait. Selon ses termes, cette « machine arithmétique » ambitionnait de « transplanter » l’esprit humain dans une « matière inanimée » – réalisant ainsi une opération de re-médiation. Suivant la métaphysique de Leibniz, il pourrait être argué que son arithmétique de papier serait ainsi parfaitement traduite dans une machine de laiton, sans perte d’un medium à un autre.
Cependant, une telle perspective repose sur une dichotomie trop franche entre technique et mathématique, ainsi que sur une indifférence aux divers media en jeu et leurs effets. En adoptant une perspective matérielle sur les papiers de travail de Leibniz et leur lien avec sa métaphysique, autant qu’avec le prototype d’Ollivier, je tente de mettre en lumière quelques-unes des étapes d’un long processus de re-médiation du calcul en un dispositif mécanique.

1construction des savoirstraditioninvention construction des savoirspolitique des savoirsgestionprojet matérialité des savoirsinstrumentmachine à calculerDe mémoire d’archive, la première mention de la machine à calculer de Leibniz se trouve dans une lettre de juin 1671 que lui adresse l’académicien Pierre de Carcavi 1. Si la lettre initiale du jeune philosophe et mathématicien allemand Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) à l’académicien français est aujourd’hui perdue, son intention transparaît dans les suivantes2 : alors au service diplomatique de l’électeur de Mayence Johann Christian von Boynebourg, Leibniz cherche à se faire remarquer par Jean-Baptiste Colbert, fondateur de la récente Académie royale des sciences. D’après la réponse de Carcavi qui le place dans le sillage de Pascal, Leibniz décrit dans sa missive une machine arithmétique capable de réaliser les quatre opérations fondamentales – addition, soustraction, multiplication, division – sur des nombres à plusieurs chiffres. En décembre de la même année, une autre lettre de Carcavi déplore que le projet de Leibniz ne soit pas assez « reel et solide » pour le proposer à Colbert, et surtout qu’il ne lui envoie rien qui « merite d’estre veu »3. L’invention n’en est pas encore une, elle est une idée floue et indistincte, une promesse qui doit lui ouvrir les portes de l’Académie. Comment cette spéculation textuelle s’est-elle matériellement traduite en un objet technique ?

2espaces savantslieuacadémie construction des savoirsépistémologiemodèleQuelques mois plus tard, en 1672, Boynebourg envoie Leibniz à Paris, qui s’attèle dès son arrivée à la construction de modèles non fonctionnels de sa machine à calculer. Un modèle en bois, réalisé par un artisan parisien inconnu, est montré à la Royal Society en 1673 – à cette occasion Robert Hooke examine attentivement l’ébauche de mécanisme et développe en quelques semaines une copie dont il ne reste plus trace aujourd’hui4. En 1675, c’est devant l’Académie royale des sciences que Leibniz fait la démonstration d’un modèle réalisé en laiton par l’horloger parisien connu sous le nom de Monsieur Ollivier. Il est dit que Colbert aurait commandé une copie de ce modèle mais Leibniz n’obtient pas le statut tant désiré d’académicien5. C’est au cours de ces mêmes années qu’il posera les bases, sans les publier, de son calcul infinitésimal, de sa caractéristique universelle ou de sa métaphysique combinatoire6. Rappelé par son patron, Leibniz quitte Paris pour Hanovre en 1676, sans pour autant abandonner son projet de machine à calculer.

3Aujourd’hui, deux modèles différents sont connus : l’Altere Maschine construite à Paris par Ollivier entre 1677 et 1679, tandis que Leibniz lui envoie ses instructions depuis Hanovre7 ; et la Jungere Maschine d’un artisan local de Hanovre, sur un exemplaire d’Ollivier emporté par Leibniz, probablement construite dans les années 1680 puis améliorée au début du xviii e siècle à Helmstedt. Si le second exemplaire du premier modèle est démonté par Ollivier en 1679 afin de réutiliser les pièces pour son commerce, le deuxième modèle est envoyé en 1775, presque soixante ans après la mort de Leibniz et avec tous les manuscrits afférents, au mathématicien Abraham Gotthelf Kästner de Göttingen.

4acteurs de savoirprofessionartisan espaces savantslieubibliothèqueCe n’est qu’en 1879 que la machine et les notes seront redécouvertes puis intégrées au fonds leibnizien de la bibliothèque de Hanovre 8. Si l’idée est généralement acceptée que Leibniz et ses collaborateurs n’ont pas réussi à construire un exemplaire fonctionnel de machine à calculer, le philosophe est néanmoins souvent crédité de l’invention et, partant, qualifié d’ingénieur. La plupart de ces récits se fondent sur des arguments à la décharge de Leibniz, qu’il s’agisse de remettre en question les compétences techniques des artisans, de faire du mathématicien une figure en avance sur la technique de son époque ou bien d’imputer sa faillite à de simples problèmes de communication9. Aucun n’aborde sérieusement la machine – objet autant que papiers – sous l’angle de ses matérialités et des effets de celles-ci.

5construction des savoirstraditioninventionDeux études historiques plus récentes font intervenir avec profit la problématique matérielle. Dans un premier temps, Florin-Stefan Morar s’est attelé à déconstruire le contexte historique ainsi que la rhétorique fallacieuse de tous les ingénieurs allemands qui, depuis la fin du xix e jusqu’au début du xxi e siècle, se sont, avec grande difficulté, attelés à reconstruire la machine de Leibniz 10. Par ce biais, Morar a mis en lumière un des modes de réécriture de l’histoire par la reconstruction matérielle d’objets. Plus récemment, dans une monographie consacrée à l’histoire des machines à calculer de Pascal à Babbage, Matthew L. Jones a documenté l’émergence pratique d’une conception dite « hylémorphique » de la notion d’invention, selon laquelle l’idée – donc l’invention – précède sa matérialisation, « comme la forme précède la matière11 ». En s’intéressant à l’aspect social de la matérialité12, Jones a montré comment cette conception de l’invention s’était « partiellement réalisée13 », au milieu du xix e siècle, dans la division du travail, des compétences techniques et des statuts.

6typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesphilosophiephilosophie des sciencesEn reprenant les documents déjà étudiés par Morar et Jones, j’aimerais ici poursuivre leur lecture matérielle14 selon une perspective plus spécifiquement « médiale » que je détaille maintenant. Pour ce faire, je propose de se saisir du programme avancé par Friedrich Kittler visant à prolonger l’analyse foucaldienne des discours jusqu’à leurs conditions de possibilité matérielles et techniques15. Afin cependant de ne pas céder à un trop grand déterminisme technologique, il convient de partir du récent travail de généalogie conceptuelle réalisé par Dieter Mersch dans l’objectif d’offrir une introduction à la philosophie des media, entendue comme philosophie de la technique16.

7Dans ce cadre, un medium peut se définir comme un dispositif technique (textuel, schématique, mécanique…) qui insère une chose encore informe dans un régime signifiant (en la rendant lisible, visible, actionnable selon une grammaire textuelle/visuelle ou un ensemble d’opérations prescrites) tout en contraignant les possibilités de signification du fait même de la matérialité et des affordances qui rendent celle-ci possible17 – ainsi, réciproquement, la pratique d’un medium donné informe en retour le régime signifiant (dans le cas de Leibniz, sa métaphysique). Ce faisant, les media mettent en relation des altérités autrement sourdes les unes aux autres, c’est là leur fonction « médiale ». Enfin, tout dispositif médial efface son action même : l’appropriation ou l’interprétation de la signification ainsi portée à l’être se fait à travers le medium dont les propriétés matérielles ne peuvent plus être tenues pour pertinentes dans la détermination du sens18. Pour reprendre les termes de Mersch qui voit dans la médiation un « problème philosophique fondamental » : « Voilà comment on pourrait peut-être conceptualiser l’affaire : la médiation “performe” la signification, alors même que ses effets masquent en retour l’acte même de cette performance19. » Selon la conclusion de Mersch, les media ne sont saisissables que négativement, par le travers, là où les pratiques se dérèglent et les dispositifs obstruent plutôt qu’ils ne dévoilent20.

8Une étude médiale ou « média-historique21 » du legs leibnizien appelle deux prolongements. Il s’agira, d’une part, d’étendre l’analyse de la matérialité du scriptural22 à celle de la matérialité de tous types de media. C’est ce que proposent notamment Jeremy A. Greene en envisageant les instruments scientifiques au-delà de leur fonction d’inscription23, ou Emanuele Clarizio, Roberto Poma et Michele Spanò en faisant du medium un type particulier de milieu24. D’autre part, cette extension aux media autres que scripturaux incite à s’intéresser aux opérations permettant le passage de l’un à l’autre, c’est-à-dire aux traductions matérielles successives et à leurs conséquences25. Cette attention particulière portée aux opérations de traduction dans leur complexité permet ainsi de questionner ce qu’il est possible de penser par la pratique d’un medium donné, comment des pratiques détournées ouvrent et contraignent l’espace du possible, enfin s’il est des media et des pratiques plus pertinentes pour la traduction et la communication. C’est d’ailleurs au cours de ces opérations de re-médiation que les dispositifs médiaux deviennent le plus tangibles, notamment par leurs effets d’hypermédiation (textuelle, dans le cas de Leibniz) ou d’immédiateté (rhétorique)26.

9L’objectif du présent essai n’est donc pas d’apporter une pierre à l’édifice de l’érudition leibnizienne mais plutôt de relire les manuscrits leibniziens sur la machine à calculer au prisme de leurs matérialités. En menant, à la suite de Morar et Jones, une lecture des papiers de travail de Leibniz, j’entends poursuivre la critique de l’hylémorphisme en m’intéressant plus avant à ce que la machine à calculer leibnizienne faite de laiton doit à son idée de papier27 ; plus spécifiquement encore en portant le regard vers les opérations de re-médiation menées par Leibniz et ses collaborateurs afin de traduire l’arithmétique d’un medium à un autre, du papier au laiton.

Traduire des opérations de papier

10Florin-Stefan Morar soulève bien l’aspect matériel du processus d’invention lorsqu’il commente une citation de Leibniz, sur laquelle nous reviendrons, lui permettant, selon les termes du philosophe même, d’aborder la machine à calculer sous l’angle de la « transplantation » de l’esprit dans une « matière inanimée ». Ainsi, filant la métaphore leibnizienne, Morar stipule que « la machine était censée imiter l’ordre dans lequel les opérations mathématiques sont réalisées sur le papier 28 ». Tentons de matérialiser plus avant cette assertion en plongeant dans les papiers personnels de Leibniz.

Figure 1 - Multiplications longues posées
            par Leibniz sur un bout de papier
Figure 1. Figure 1 - Multiplications longues posées par Leibniz sur un bout de papier

GWLB, LH XLII, 5, fo 6v.

11pratiques savantespratique lettréebrouillon matérialité des savoirsmatériaupapierExaminons, en particulier, une notice manuscrite intitulée « Machina Arithmetica29 », rédigée en au moins deux exemplaires par Leibniz et dans laquelle l’inventeur décrit une manière d’améliorer la machine à calculer de Pascal afin qu’elle réalise multiplications et divisions directement plutôt que par additions et soustractions successives. Le second exemplaire de cette notice, datant de 1685, est une version mise au propre qui sera redécouverte en même temps que la machine, transcrite, traduite puis publiée en allemand en 1897 – opération éditoriale qui relève, selon Morar, d’une volonté de réécriture de l’histoire matérielle de cette machine30 –, mais également traduite en anglais en 1929 pour paraître dans un ouvrage recueillant les textes fondamentaux de l’histoire des sciences31. La première version – un brouillon retouché, corrigé, annoté en marge – non datée, mais probablement de la fin des années 1670, laisse entrevoir brièvement le processus d’invention chez Leibniz, en particulier ce qu’il doit à la matérialité du papier. En effet, ce qui frappe au premier regard, après l’absolue prédominance de la forme textuelle qui noie les quelques esquisses, c’est la constellation d’additions, soustractions et multiplications longues posées et résolues sur le papier, jusqu’à remplir des folios entiers sans autre indication (voir fig. 1).

Figure 2 - Extrait de « Machina Arithmetica
            »
Figure 2. Figure 2 - Extrait de « Machina Arithmetica »

GWLB, LH XLII, 5, ffo 1v, 2r.

12Il ne s’agit pas pour Leibniz d’un exercice, d’un passe-temps ou d’une vérification. Par exemple (voir fig. 1, centre), le choix de la soustraction 391 324 – 147 856 n’est pas fortuit : il permet d’illustrer l’apparition d’une retenue à la première étape (en soustrayant 6 à 4) et sa propagation sur quatre unités de numération (des dizaines aux dizaines de milliers). De même, penchons-nous plus particulièrement sur une multiplication longue posée dans le corps du texte (voir fig. 2, droite). En effet, en choisissant de multiplier 365 par 124, Leibniz pose une opération qui requiert en première étape (365 x 4) la propagation d’une double retenue, en seconde étape (365 x 2) la propagation d’une retenue simple et une dernière étape sans retenue32. Ce qu’avance donc Morar, sans s’attarder sur les conséquences véritablement matérielles de son observation, c’est que les nombreuses opérations de papier réalisées par Leibniz relèvent plutôt d’une expérience de pensée visant à épuiser, en les énumérant de manière combinatoire, les cas possibles de génération de retenues – c’est-à-dire de création d’une unité de numération d’ordre supérieur – et leur propagation des dizaines, vers les centaines, etc. En effet, comme l’a montré Jones 33, le principal problème mécanique auquel est confronté l’inventeur est de compter et propager les retenues. Sur un nombre à plusieurs chiffres, cela nécessite non seulement de générer une force suffisante pour se transmettre mécaniquement à travers les unités de numérations, mais encore un système de déplacements discrets permettant de n’avoir toujours affaire qu’à des nombres entiers, plutôt qu’à des décimales. C’est contre ce problème de propagation ou transport des retenues que se battra Leibniz toute sa vie dans la conception de sa machine à calculer.

13Néanmoins, l’origine de ce problème de retenue n’est jamais questionnée, prise pour une évidence tant nous sommes habitués à résoudre ainsi des multiplications longues sur le papier. Cette pratique de résolution par retenues n’est pourtant pas le seul moyen de poser des opérations arithmétiques à l’époque de Leibniz. D’autres méthodes de papier existent, aux matérialités bien différentes, comme la multiplication par glissement qui procède de gauche à droite (des centaines aux dizaines aux unités), de bas en haut (le résultat s’écrit sur la ligne supérieure) et implique d’effacer les chiffres du multiplicande au fur et à mesure – nécessitant parfois un instrument particulier, comme un tableau à sable – ; ou bien encore la méthode de la gelosia, qui repose sur une organisation tabulaire selon deux entrées. Il existe surtout un grand nombre d’outils et d’instruments de calcul que Leibniz ne peut ignorer, des abaques sous toutes leurs formes – de sable, des bouliers… – dont beaucoup de commerçants de l’époque font usage, probablement ces mêmes artisans et horlogers avec lesquels traite Leibniz. Parmi ces abaques figurent notamment les bâtons de Napier qui reposent sur la possibilité algébrique de transformer les multiplications en additions grâce à la fonction logarithme du mathématicien écossais John Napier. Ces bâtons sont de petites réglettes gravées dont la manipulation et la réorganisation sur une table ou dans un cadre permettent de réaliser les quatre opérations arithmétiques de base sur des nombres à plusieurs chiffres ainsi que de calculer des racines carrées. Eux-mêmes traduction matérielle, ou re-médiation, de la méthode de calcul par jalousies, les bâtons de Napier sont d’ailleurs mécanisés par le mathématicien anglais Samuel Morland qui en tire le principe de l’une de ses machines à calculer en cette fin de xvii e siècle 34.

Figure 3 - Dessin du mécanisme
Figure 3. Figure 3 - Dessin du mécanisme

GWLB, LH XLII, 5, fo 23r.

14typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalessciences de la matièrephysiquemécanique acteurs de savoiracteur non humainobjet artificiel construction des savoirsépistémologietechnique pratiques savantespratique intellectuelleclassement inscription des savoirslivremargePourtant, c’est bien la méthode graphique de résolution sur le papier de la multiplication longue qui va donner sa structure à la machine à calculer de Leibniz. En effet, si l’on examine attentivement une esquisse sommaire en marge de la seconde page, seul et unique dessin réalisé par Leibniz dans sa notice (voir fig. 2, gauche), on y retrouve la multiplication précédente (365 x 124), qui cette fois-ci permet de procéder à la matérialisation de chacun des nombres par des schémas de roues à dents variables représentant chacun des ordres de numération – centaines, dizaines et unités. Cette structure, qui reprend les traits fondamentaux de la machine de Pascal 35, figure partout dans les descriptions et schémas de Leibniz : un arbre par unité de numération, chacun muni de roues dentées, dont une roue à dents variables selon la position axiale de l’arbre, le tout animé par la mise en rotation d’une manivelle transversale actionnant un axe qui ressemble à s’y méprendre à la barre horizontale d’une opération posée sur le papier (voir fig. 3). Ainsi apparaît le problème mécanique de propagation de la retenue : il ne s’agit pas d’une compétence purement abstraite d’un esprit immatériel et qui serait essentielle au calcul, il s’agit bien plutôt de la conséquence matérielle de la traduction en roues et engrenages de métal d’une technique spécifique de calcul décimal sur le papier.

Figure 4 - Détails
Figure 4. Figure 4 - Détails

GWLB, LH XLII, 5, ffo 6v, 2r et 23r.

15D’ailleurs, Leibniz a également couché sur le papier d’autres idées de machines à calculer fondées sur des systèmes de numération différents, par exemple dyadique36, mais qui ne verront jamais le jour ; c’est qu’il préfère travailler à l’amélioration de la Pascaline qu’il a pu voir à Paris. Ainsi, l’isomorphisme structurel que l’on ne peut manquer de constater entre l’algorithme de papier, les schémas de fonctionnement de Leibniz, les différents modèles réalisés par ce dernier au xvii e siècle et leurs reconstructions contemporaines (voir fig. 4) illustre bien le travail de re-médiation à même le papier, puis du papier vers le laiton, nécessaire à Leibniz pour construire sa machine à calculer. Renforcée par la comparaison avec d’autres algorithmes de papier et d’autres mécanismes, comme celui de Morland 37, cette isomorphie atteste que Leibniz – contrairement à ce qu’il construit comme rhétorique, nous le verrons – n’a pas entrepris d’externaliser le calcul entendu comme compétence intellectuelle réputée abstraite et désincarnée, mais plutôt de mécaniser, par la traduction d’une forme de matérialité à une autre, la méthode de résolution par étapes (l’algorithme) d’opérations longues sur le papier38.

16Envisager ainsi l’effort d’invention de Leibniz comme un exercice de re-médiation d’une pratique matérielle et incarnée, plutôt que comme simple « implémentation » ou transfert d’information sans perte, permet de mettre en lumière ce que cette machine à calculer doit au substrat de papier sur lequel elle a été pensée et conceptualisée et, réciproquement, comment cette nouvelle matérialisation d’une compétence intellectuelle informe en retour une certaine compréhension de l’intelligence humaine selon Leibniz.

De l’image à l’ekphrasis

17inscription des savoirsvisualisationvisualisation de l’informationschémaLe dessin, ou plutôt le schéma, fait partie des outils graphiques dont se dote naturellement Leibniz comme étape dans le processus de re-médiation des opérations arithmétiques du papier vers le laiton. Il ne reste malheureusement pas trace des échanges qu’Ollivier et Leibniz ont pu avoir en tête-à-tête à Paris et où ils ont peut-être griffonné divers schémas sur des coins de tables et des feuilles volantes, sûrement échangé des pièces de laiton et de bois, étudié et comparé d’autres mécanismes, notamment la machine de Pascal.

Figure 5 - Manuscrit non daté de Leibniz sur
            sa machine à calculer
Figure 5. Figure 5 - Manuscrit non daté de Leibniz sur sa machine à calculer

GWLB, LH XLII, 5, fo 59rv.

18inscription des savoirsvisualisationimagedessinPour juger de la place qu’occupent les représentations visuelles dans le processus d’invention de Leibniz, il subsiste bien peu de documents, mais un folio manuscrit non daté peut nous venir en aide39. Il s’agit d’une feuille volante, écrite sur ses deux faces et dont les marges sont laissées vierges, pour éviter que l’encre de la face opposée ne rende la lecture trop difficile, autant que pour laisser place à des corrections ultérieures comme Leibniz en a l’habitude (voir fig. 5). À nouveau frappe la prédominance du texte qui entoure, presque jusqu’à les noyer, les dessins réalisés par Leibniz. Et puis, lorsque l’on porte plus précisément son attention sur ceux-ci, c’est leur aspect éminemment schématique qui surprend, ils ressemblent à ces figures dont le mathématicien fait usage pour résoudre des problèmes géométriques ou d’analyse et que l’on retrouve dans d’autres de ses papiers de travail40. Ce ne sont donc pas des dessins qui représenteraient de manière naturaliste un artefact technique potentiellement matérialisé, ce sont des schémas filaires détaillant le fonctionnement de principe d’une machine encore à l’état de proposition conceptuelle.

19construction des savoirslangage et savoirsstylelisibilitéUne vision téléologique de l’histoire pourrait nous présenter Leibniz comme le précurseur des schémas cinématiques contemporains, mais ce serait lui prêter une volonté et des compétences anachroniques ; faire de lui, à nouveau, un génie trop en avance sur son temps. Force est de constater plutôt que Leibniz n’est pas maître dans l’art de la représentation visuelle des mécanismes : les pièces n’ont pas d’épaisseur, les proportions ne sont pas respectées, les perspectives sont fausses, lorsqu’elles ne sont pas mélangées à des projections, pas de trait de crayon avant l’encre, que le papier boit jusqu’à devenir difficilement lisible. S’il est vrai qu’il n’existe pas de mode standardisé de représentation des objets techniques à cette époque, il existe néanmoins depuis plus d’un siècle des techniques mathématiques de dessin en perspective utiles à l’ingénieur, comme le disegno en Italie41, des vues en projection, en coupe, ou éclatées42 dont font usage les contemporains de Leibniz, autant que ses collaborateurs directs. C’est le cas en particulier de son élève et secrétaire Rudolf Christian Wagner qui s’est occupé des dernières améliorations de la machine à Helmstedt au tout début du xviii e siècle et a laissé les premières représentations en perspective connues de la roue à dents inégales43, rebaptisée roue de Leibniz au xix e siècle bien qu’elle ait été indépendamment réinventée avant sa redécouverte44.

20Il a souvent été argué qu’il s’agissait là d’un simple problème de communication – entendue en un sens très restreint de transmission sans perte d’une idée lui préexistant –, que Leibniz n’aurait simplement pas su transmettre clairement et distinctement son idée pourtant claire et distincte45. Mais s’arrêter à ce constat c’est donc, d’une part, réduire l’acte de communication à la transmission d’un déjà-là et, d’autre part, postuler que la pratique du dessin serait essentiellement communicationnelle. Selon ces deux réductionnismes imbriqués, le dessin viendrait donc traduire sans perte et sans équivoque une image mentale qui lui précéderait. L’on retomberait alors dans une conception hylémorphique de l’invention, avant même sa matérialisation en artefact technique, qu’il soit fonctionnel ou non.

21construction des savoirsépistémologieSi Leibniz pense géométriquement ou schématiquement, il ne pense pas picturalement. Très myope depuis le plus jeune âge46, il n’a laissé aucune note sur l’art pictural ou l’architecture de son temps malgré son Grand Tour47. Jamais formé au dessin, il ne trace sur ses papiers de travail que des schémas géométriques abstraits qui lui serviront à développer un calcul symbolique qu’il qualifiera, symptomatiquement, de « pensée aveugle48 ». Ainsi le problème de Leibniz n’est pas initialement, ni essentiellement, un problème de communication entre l’inventeur et son artisan, mais bien plutôt un problème épistémologique portant sur ce qu’il est possible de penser dans un medium en fonction de ses compétences pratiques, puis un problème de traduction matérielle d’un medium à un autre. S’il est difficile de nier que de meilleures compétences en dessin auraient facilité la communication de Leibniz, il faut dépasser l’argument communicationnel afin d’envisager la pratique du dessin dans sa matérialité comme une manière de penser, ouvrant un espace des possibles différent de celui ouvert par le schéma ou le texte, un espace qui reste majoritairement interdit à Leibniz.

22Ainsi, puisque Carcavi dit n’avoir rien reçu qui « merite d’estre veu » et qu’Ollivier se plaint de ne pas comprendre ses dessins49, Leibniz se donne un autre moyen, non seulement de communiquer, mais surtout de penser : le texte. Une forme textuelle tellement prédominante qu’elle noie les schémas réalisés par l’inventeur. Cette hiérarchie des media et la nécessité pour Leibniz d’en recourir à la description textuelle étaient déjà visibles dans la notice « Machina Arithmetica », ou encore dans une longue description mise au propre de sa « Machine d’Arithmétique50 » dans laquelle ne figure aucun schéma en huit pages. Le texte est également prééminent dans la rédaction en 1682 d’une « Nouvelle et derniere maniere pour achever ma machine Arithmetique51 », où Leibniz s’essaie à décrire, en six pages pour seulement une esquisse grossière de schéma, de quelle manière il voudrait remplacer sa roue à dents inégales par une « roue de transport » – pièce maîtresse puisqu’elle permet de générer et propager les retenues.

Figure 6 - Extrait de « Ma Machine
            Arithmétique de la maniere que je l’ay fait faire à Paris.
            »
Figure 6. Figure 6 - Extrait de « Ma Machine Arithmétique de la maniere que je l’ay fait faire à Paris. »

GWLB, LH XLII, 5, fo 11r.

23inscription des savoirslivremanuscritMais c’est dans un manuscrit daté de 1685 que le rapport de Leibniz au texte est le plus patent. « Ma Machine Arithmétique de la manière que je l’ay fait faire à Paris l’an 1674 » est un texte de sept pages52, contenant quelques schémas sommaires également noyés dans les mots, auquel est ajoutée en en-tête la mention suivante : « j’ay fait cette description à Hanover l’an 1685 au mois de juillet, ayant la machine devant moy53 » (voir fig. 6). Par le moyen de cette longue ekphrasis, Leibniz entend donc faire la description textuelle de son invention telle qu’il la voit : comme une arborescence d’ensembles (« [la machine] consiste en deux pieces dont l’une est mobile l’autre immobile54 ») et de sous-ensembles (« la partie immobile peut estre consideree comme divisée en autant de parties, qu’il y a de degres dans les chifres ») de pièces liées les unes aux autres par des relations mécaniques (« [l’arbre horizontal] perce la premiere [barre verticale], et n’est qu’appuyé dans la seconde »), des rapports de taille (« aussi longues que la machine ») ou des ressemblances formelles (« en forme de hache »). Les références spatiales, données en fonction de la position de l’observateur (« de droit à gauche (à l’égard de celui qui se sert de la machine) »), sont absolues (« perpendiculaire à l’horizon ») ou relatives sans indication de mesure (« au-delà de »). Les pièces sont nommées en les soulignant (« la roue conte-chifre ») afin de pouvoir les désigner par une lettre de façon univoque lorsqu’elles apparaissent dans un des schémas, tous filaires, sans indication d’échelle et restreints à des sous-parties du mécanisme complet. À titre d’exemple, voici comment est décrit l’axe permettant d’entrer dans la machine les chiffres des nombres à multiplier :

L’arbre vertical est porté par une lame horizontale, attachee a la premiere barre, entre elle et la roue b. et cet arbre vertical a deux roues horizontales egales entre elles aussi bien qu’à la roue b. chacune a dix dens, dont l’inferieure est menée par la roue b et par consequent le canon qui la joint avec la superieure.

24Après avoir décrit une telle arborescence des sous-ensembles du mécanisme, ces derniers sont repris dans l’ordre dans lequel ils sont mobilisés lors de l’usage de la machine. Leibniz s’attèle de cette manière à écrire le récit de son fonctionnement : « jusqu’icy la machine est disposée au transport il faut maintenant l’achever et remettre les pièces de transport dans l’estat ou elles estoient avant la disposition au transport55 ». L’usage de verbes d’action et la mise en série des déplacements permettent alors de détailler chronologiquement le mouvement des pièces ainsi que les causes mécaniques de la transmission du mouvement – donc du transport des retenues, la « chose » se répétant pour chaque unité de numération : « La même chose se fait pour le transport des dizaines aux centaines c’est pourquoy je n’en feray point de redite56. »

25Une fois le manuscrit de Leibniz largement amendé, corrigé, complété, l’invention fonctionne donc, sur le papier. Pourtant, Leibniz s’épanche durant les quatre dernières pages sur « quelques remarques […] utiles à la perfection de la machine57 », c’est qu’il voudrait se passer de la roue à dents inégales afin d’améliorer le mécanisme de propagation des retenues. Sur le même mode exactement que dans les pages qui précèdent, Leibniz décrit un système de pièces mécaniques dont les actions sont maintenant conjuguées au futur ou au conditionnel. Cette description n’est pourtant pas d’un ordre plus prospectif ou fictif que la précédente qui, rappelons-le, se rapporte à un exemplaire fort probablement non fonctionnel. Le medium textuel n’est donc pas seulement un outil de description d’une machine déjà-là – un exemplaire du premier modèle apparemment construit à Paris par Ollivier puis emporté à Hanovre par Leibniz – mais également un espace d’invention.

26inscription des savoirsvisualisationimagedessinAinsi, c’est plutôt par l’ekphrasis que par l’image que Leibniz conçoit sa machine. Mais l’ekphrasis de quoi ? Ici d’un artefact qu’il a sous les yeux, là d’une idée floue et indistincte, de quelque chose qu’il n’arrive pas à mettre sous forme visuelle et matérielle, et qui prend forme textuelle avec d’évidentes difficultés. Puisqu’il relève de l’essence même de l’ekphrasis que de transcrire, de traduire en mots ce qui est vu, ce procédé met en lumière la dépendance matérielle de l’invention leibnizienne à l’égard de ses media et des traductions de l’un à l’autre. La prédominance d’une forme textuelle, qui plus est relativement vague, laisse une grande liberté d’interprétation à son lecteur – qu’il soit horloger parisien du xvii e ou ingénieur allemand du xx e siècle – dans l’opération de re-médiation du papier au laiton58. Si Jones veut attribuer l’usage que fait Leibniz de termes imprécis à sa volonté de laisser suffisamment de marge à ses collaborateurs dans la pratique de leur artisanat, il faut néanmoins pousser plus avant la perspective matérialiste afin de se défaire de l’hylémorphisme résiduel dans l’argument communicationnel : les espaces matériels de pensée ouverts à Leibniz ne lui ont pas permis de traduire son idée en une invention. Peu ou pas formé au dessin et par conséquent incapable de dessiner correctement en perspective, manifestant peu de sensibilité à la culture visuelle de son temps, héraut d’une pensée aveugle dont relève la multiplication longue, il ne manque pas seulement à Leibniz les moyens de communiquer son invention, mais plutôt de la penser. Pour reprendre les termes de l’épistémologie de son temps, son idée est par trop confuse, indistincte59.

Transplanter l’esprit dans l’inanimé

27Tous les récits hylémorphiques de l’invention de la machine à calculer reposent sur l’argument qu’une seule preuve de concept – la machine fonctionne sur le papier – suffit à démontrer que Leibniz a atteint son objectif – la machine en laiton doit fonctionner. Cette forme de raisonnement est soutenue par la rhétorique de Leibniz lui-même qui rédige et publie de nombreux textes décrivant sa machine comme si elle fonctionnait. C’est le cas notamment d’une « Brevis descriptio Machinae » publiée en 1710 dans les Miscellanea Berolinensia de l’Académie des sciences de Berlin60, créée quelques années plus tôt par Leibniz et dont il sera président jusqu’à sa mort. Cette description reprend les brouillons précédents, parfois verbatim, afin d’expliciter textuellement le fonctionnement d’une machine représentée par une gravure qui ne laisse rien voir de son mécanisme, une boîte noire à proprement parler. Une fois de plus, cette ekphrasis présente une machine fonctionnelle. Alors que la machine n’existe manifestement qu’en puissance, cette description se veut preuve de concept de l’existence en acte de l’invention. Ce faisant, Leibniz escamote toutes les opérations de re-médiation – opérations qui pourtant maintiennent sa machine à l’état de projet.

28Il suppose ainsi que le passage de la potentialité à l’actualité peut et doit se faire sans solution de continuité, qu’une traduction parfaite et sans perte de la machine papier en rouages de laiton est possible. Comme il transparaît du dernier contrat que Leibniz rédige et fait parvenir à Ollivier pour signature en 1679, cette matérialisation de son invention ne serait que l’affaire d’un travailleur salarié qui répondrait à une commande sans accroc, ni effort : « Le dit sieur Leibniz m’ayant informé partie par écrit et partie de vive voix et par quelques modelles d’une machine Arithmetique de son invention ; en sorte que je n’y ay plus trouvé aucune difficulté je me suis engagé à l’executer de la manière suivante61 ». S’ensuit une liste numérotée de fonctionnalités, de descriptions textuelles vagues de parties du mécanisme, de mots de contrition que Leibniz met dans la bouche de son artisan au sujet de son travail passé, d’un calendrier (« trois mois ») et de diverses sommes d’argent. Quelques mois plus tard, après qu’Ollivier se soit montré indisponible à Monsieur Hansen, l’homme de confiance parisien de Leibniz, leur collaboration prend fin. Ainsi, comme le montre Jones, Leibniz participe activement de la division du travail et des compétences62, de la dichotomie radicale entre une idée et sa matérialisation – ou son « implémentation » –, donc d’une conception hylémorphique de l’invention. C’est pourquoi il ne peut voir, ou ne veut reconnaître, les effets de la re-médiation.

29Plus encore, ses années parisiennes sont un moment fécond dans le développement de son « imaginaire computationnel63 » avec son travail sur une characteristica universalis. Cette dernière se propose comme un langage universel fondé sur un alphabet de la pensée et de l’action humaines constitué de tous les concepts simples – discrets et en nombre fini – à partir de la combinaison desquels il est possible de retrouver l’ensemble infini des concepts complexes qui représentent le monde sensible. La caractéristique leibnizienne permettrait d’abord de résoudre tout différend philosophique sur un mode combinatoire et computationnel, selon la fameuse injonction : « Calculemus ! 64 ». Elle est également pour Leibniz le moyen de formaliser et coucher sur le papier les pratiques matérielles des artisans de son temps – un « projet de rationalisation des pratiques65 » qui porte aussi le nom de « réduction en art » –, les re-médiant ainsi, prétendument sans perte, du corps de l’artisan dans son atelier au papier du savant dans sa bibliothèque. Sa machine est l’une de ces inventions de papier permettant d’automatiser un labeur qui autrement encombre l’esprit.

30pratiques savantespratique intellectuelleabstraction pratiques savantespratique intellectuellecalcul pratiques savantespratique intellectuelleraisonnementCar pour Leibniz, raisonner c’est calculer : l’exercice de la raison n’est ni plus ni moins qu’un calcul nécessitant un ensemble de symboles – i. e. de signes sensibles dénotant des idées abstraites – et de règles algébriques – celles de la logique notamment. Les opérations arithmétiques sont un genre de raisonnement, leur mécanisation le début de la formalisation d’un calcul propositionnel plus large. Si au xvii e siècle il est le seul tenant avec Hobbes d’une telle épistémologie66, c’est pourtant sur celle-ci qu’est fondée sa rhétorique de l’immédiateté, de la possibilité d’une transplantation parfaite des opérations de la raison dans un artefact : la structure de la raison n’a pas de medium ou de matérialité privilégiée, elle résulte d’un ensemble de règles abstraites, universelles et immatérielles. C’est le cas, en particulier, de la méthode de résolution des opérations longues qui se réduirait à un ensemble de règles de manipulation de symboles dont le papier ne serait que le support neutre.

31Réciproquement, la matérialisation effective des opérations de l’esprit dans une machine de laiton aurait servi de fondement matériel à la démonstration de l’équivalence entre une preuve mathématique et une preuve de concept basée sur la prédiction d’un comportement mécanique. À tel point que l’on pourrait avancer que l’entreprise de Leibniz est tautologique, ou à tout le moins que la construction de sa machine est fortement téléologique, orientée vers une cause finale d’ordre épistémologique, donc formatée dans l’intérêt de satisfaire celle-ci67.

32En escamotant ainsi la nécessité et les effets de la re-médiation d’une pratique matérielle dans un artefact technique, Leibniz déclare possible en acte cette transplantation qui avait mis la puce à l’oreille de Morar :

La machine dont nous donnons icy la description exterieure, fait voir que l’esprit humain peut trouver le moyen de se transplanter de telle façon dans une matière inanimée qu’il luy donne le pouvoir, de faire bien plus qu’il n’auroit fait lui-même : pour convaincre sensiblement ceux qui ont de la difficulté à concevoir comment le Createur puisse loger une apparence d’esprit un peu plus générale dans les corps des bestes qoyque fourni de tant d’organes ; puisque le laiton même a peu recevoir l’imitation d’une opération de la raison qui est à la vérité particulière ou determinée, mais des plus difficiles […]68.

33Ignorer les opérations de re-médiation qui président à cette transplantation, c’est donc jeter un pont entre l’esprit (anima) et la matière inanimée et, pour Leibniz, se poser en « Créateur ».

34

35En s’intéressant ainsi aux matérialités multiples de la machine à calculer de Leibniz, en se penchant sur certaines opérations de re-médiation d’un medium à un autre puis sur les discours qui effacent ces médiations, il devient possible de mettre en lumière des pratiques et opérations intellectuelles autrement négligées par l’historiographie et qui nous renseignent sur les manières de penser d’un savant au xvii e siècle. Au-delà des récits hylémorphiques, une approche média-historique, montre la dépendance matérielle de la pensée de Leibniz à l’égard d’un certain usage du papier – schématique, analytique, discursif. Une dépendance telle que cette pensée a pu se montrer difficilement traduisible pour Leibniz lui-même et ses collaborateurs, autant que pour une petite armée d’ingénieurs contemporains à la suite de la redécouverte du second modèle en 1879.

36À l’aune de ces quelques remarques, on pourrait alors se demander si l’on peut encore qualifier Leibniz d’ingénieur69. Il faudrait prolonger la perspective matérielle dans l’étude des moulins du Harz qui n’ont jamais fonctionné70 et dans celle des autres machines – géométrique, algébrique, analytique – envisagées par Leibniz, dont Jones dit qu’elles ne se réaliseront que dans l’apparente immatérialité de son calcul symbolique71. Il faudrait également doubler le récit de Morar d’une histoire matérielle des reconstructions et reconstitutions, jusqu’aux récentes modélisations 3D présentant une version non moins virtuelle d’une machine à calculer fonctionnant à la perfection, jusqu’à la dépouiller même de son usager, s’animant d’elle-même sans intervention extérieure, complètement automatisée72.

37Si, avec Jones, on veut voir dans ces tentatives les « fondations matérielles d’un âge numérique73 », alors une autre des vertus d’une perspective média-historique sur ces techniques de papier et de laiton est de continuer à déconstruire une distinction trop marquée dans l’histoire des sciences entre logiciel (software) et matériel (hardware), entre histoire des mathématiques et histoire des techniques. En se gardant toutefois de vouloir lui substituer une continuité trop marquée, mais en envisageant plutôt une histoire faite de traductions successives d’un medium à un autre, d’une matérialité à l’autre.

Notes
1.

Akademie Ausgabe (AA) Reihe II, Band 1, N. 65, citée par Antognazza, 2009, p. 109.

2.

Dans deux lettres de juin 1671, Leibniz disserte aussi de théorie du mouvement, de géométrie physique, de chimie ou de philosophie. Il fait également parvenir à Carcavi des exemplaires de ses derniers ouvrages (AA II, 1, N. 66 et 67).

3.

AA II, 1, N. 95, citée par Jones, 2016, p. 115-116 (je souligne). Il est à noter que, dans la même lettre, Carcavi reproche également à Leibniz d’être trop évasif concernant une « feuille d’optique » : « Nous vous en dirons nostr’advis, de mesme que des autres choses que vous voudrez nous envoyer, mais il faut s’il vous plaist que vous les estendiez un peu plus [en] long, et que vous n’en envoyiez plustost que peu à la fois, parce que nos messieurs estant assez occuppez à leurs speculations particulieres, ne veulent pas se peyner à deschifrer les choses embarassées, vous voulez bien Monsieur que je vous parle avec cette liberté, et que je vous dise que ce n’est pas satisfaire une personne que de ne luy rendre qu’en passant et en ne disant rien, la raison de ce qu’elle demande. »

4.

Jones, 2016, p. 63-66.

5.

Antognazza, 2009, p. 162.

6.

Voir notamment Hofmann, 2008.

7.

Jones, 2016, chap. 2.

8.

Les manuscrits sont donc conservés dans les archives sous une cote spécifique ajoutée au catalogue de Bodemann.

9.

Voir notamment Walsdorf et al.,2014, Swade, 2018, ou Lenzen, 2018.

10.

'A true theory would be one that produced an actually working machine. Only this kind of machine could be considered ‘true to the original’, and it only would completely correspond to ‘Leibniz’s intentions’. […] There is no escape from this logic: a non-working machine would simply be rejected as being below Leibniz’s dignity'. (Morar, 2015, p. 142).

11.

'as form precedes matter' (Jones, 2016, p. 9 et passim. Ma traduction.).

12.

'Materiality was social: to be undersocialized often led to designs not being materialized.' (Jones, 2016, p. 6).

13.

Ibid., p. 9.

14.

La proposition théorique ici avancée voudrait prolonger une histoire matérielle nourrie notamment d’anthropologie, de philosophie et de comparatisme, attentive aux lieux, aux pratiques et aux rituels dans leurs matérialités changeantes. Voir notamment Jacob, 2007-2011 et Bert et Lamy, 2021.

15.

Kittler, 1990 (1985).

16.

Mersch, 2018 (2016).

17.

En ne négligeant pas de considérer l’encre et le papier comme des instruments à part entière, ce programme pourrait trouver certains échos dans l’organologie – et ses quatre catégories : 'material disposition, mode of mediation, map of mediations', et telos – proposée par Tresch et Dolan, 2013, mais n’entreprend nullement de construire une taxonomie. Par ailleurs, il ne sera pas non plus question d’adopter une perspective diachronique ou génétique des machines à calculer en général.

18.

C’est aussi une des raisons pour lesquelles de tels dispositifs médiaux sont, par défaut, considérés comme insignifiants par certains courants historiographiques.

19.

Mersch, 2018, p. 15.

20.

Mersch, 2018, p. 264 et suiv.

21.

Dumas Primbault, 2020b.

22.

Lenoir, 1998.

23.

As material devices of knowledge-in-the-making, scientific instruments do more than inscribe: they transmit, materialize, render, transmute, and visualize. Above all, they mediatethe production of what we come to think of as scientific knowledge'. (Greene, 2020, p. 59. Ma traduction, je souligne.).

24.

« Le milieu conçu comme rapport entre un individu et son environnement, le mi-lieu analysé comme moyen et comme medium et, finalement, les milieux décrits comme ambiances, formes de vie et atmosphères. » (Clarizio et al., 2020, p. 13.) Sur un lien possible entre media et milieux de savoirs, voir aussi Dumas Primbault et al., 2021.

25.

Sack, 2019, p. 23.

26.

Bolter et Grusin, 1998.

27.

En particulier en suivant une intuition particulièrement saillante dans un court passage de Morar que je rappelle, détaille et prolonge en première partie.

28.

'the machine was meant to imitate the order in which mathematical operations are done on paper' (Morar, 2015, p. 127. Ma traduction, je souligne.). Paradoxalement, l’approche très positiviste de Walsdorf et al.,2014, laisse également transparaître, mais dans sa partie historique, le problème de la re-médiation en qualifiant les machines de Leibniz d’« expériences de pensée » (Gedankenexperiment) qui ne fonctionnaient que « sur le papier » (auf dem Papier) (p. 37, ma traduction).

29.

Gottfried-Wilhelm-Leibniz-Bibliothek (GWLB), Leibniz Handschriften (LH) XLII, 5, ffo 1r-9v et ffo 67r-69v.

30.

Jordan, 1897. Voir Morar, 2015, p. 138-139.

31.

Smith, 1929, p. 173-181.

32.

Morar, 2015, p. 127.

33.

Jones, 2016, p. 26-29.

34.

Williams, 1983 ; Ratcliff, 2007.

35.

C’est précisément parce que Leibniz reprend la structure fondamentale de la Pascaline que Carcavi le place dans le sillage de Pascal. L’innovation principale apportée par Leibniz réside dans la roue à dents variables, ou roue à dents inégales, qui permet de compter des retenues supérieures à 1 donc d’effectuer des multiplications directement. Disparu en même temps que la machine et les manuscrits, ce type de roue sera réinventé indépendamment par Colmar pour son arithmomètre. C’est lors de sa redécouverte qu’il sera rebaptisé cylindre cannelé de Leibniz (Kistermann, 1999).

36.

En effet, d’autres systèmes de numération, par exemple binaire – ou dyadique selon le terme de Leibniz –, impliquent des systèmes de retenue différents.

37.

L’arithmomètre inventé par Colmar dans le courant du xviii e siècle, par exemple, n’est pas une traduction « fidèle » des opérations longues, la partie fixe et la partie mobile étant échangées.

38.

Cet important détail échappe à Morar qui, trop fidèle à la rhétorique leibnizienne, y voit la transposition de la « faculté de raisonner mathématiquement » ('faculty of mathematical reasoning') par la « mise en métal » ('put to metal') de « toute opération arithmétique » ('all mathematical operations') sans distinction de support, de pratique ou de méthode (Morar, 2015, p. 126). La matière s’est à nouveau dématérialisée.

39.

GWLB, LH XLII, 5, fo 59rv. Probablement antérieures à 1682 car Leibniz y fait encore référence à la roue à dents inégales.

40.

Dumas Primbault, 2018.

41.

Dumas Primbault, 2020a.

42.

Lefèvre, 2004.

43.

Walsdorf et al., 2014, p. 187. Voir aussi Wilberg, 1977.

44.

Kistermann, 1999.

45.

C’est un argument majeur pour les ingénieurs qui s’attèlent aujourd’hui à reconstruire la machine de Leibniz (Morar, 2015).

46.

Leibniz en témoigne dans un récit autobiographique inédit de son vivant (Leibniz, 1847, t. I, vol. 4, p. 169-170).

47.

Robinet, 1988, p. 2.

48.

Krämer, 2012; Dumas Primbault, 2018.

49.

AA III, 2, N. 50, p. 164. Voici ce qu’écrit Jones à propos du mémoire envoyé par Leibniz à Ollivier: 'Leibniz’s memoire is a testament to the difficulty of technical communication before the age of standardized written and pictorial communication practices in engineering. […] Leibniz wrote characteristically in the language of combinations and claimed to demonstrate that the machine so specified would work correctly for all six possible combinations of situations'. (Jones, 2016, p. 69).

50.

GWLB, LH XLII, 5, ffo 54r-57v.

51.

GWLB, LH XLII, 5, ffo 46r-53v.

52.

GWLB, LH XLII, 5, ffo 11r-14v.

53.

Ibid., fo 11r.

54.

Ibid. Ainsi que toutes les citations suivantes jusqu’à précision du contraire.

55.

Ibid., fo 12r.

56.

Ibid., fo 12v.

57.

Ibid., fo 12v et suiv.

58.

'Bringing the carry mechanism into practice would require that Leibniz and his artisans convert all the vague, qualitative descriptions in his working papers—“a reasonable length,” “enough speed”—into physical mechanisms grounded in the properties of available materials'. (Jones, 2016, p. 63).

59.

Bien sûr, cet état de confusion et d’indistinction de la pensée se présente comme une nécessité créatrice pour qui se propose d’inventer mais les essais et échecs répétés de Leibniz qui ne semble pas pouvoir penser sa machine, par exemple, à travers le dessin illustrent bien qu’il se heurte là aux contraintes épistémiques des media qui lui sont propres.

60.

Leibniz, 1710.

61.

AA III, 2, N. 259, p. 598.

62.

Voir aussi Daston, 1994 et 2017.

63.

Gray, 2018.

64.

AA, VI, 4, p. 913. Les philosophes y sont présentés comme des computistas.

65.

Dubourg Glatigny et Vérin, 2008.

66.

jones, 2016, p. 4-5. Et ce n’est pas avant la fin du xix e siècle que ressurgit un discours sur l’équivalence entre raison et calcul.

67.

Sans oublier que la cause finale réelle de l’entreprise leibnizienne est d’abord sociale et politique : la machine à calculer devait lui assurer un poste d’académicien à Paris. 'Leibniz created for his public a complete rhetorical package centered on the idea of utility'. (Morar, 2015, p. 132). C’est là la véritable réciproque de l’immédiateté : une hypermédiation de son invention comme si elle fonctionnait, par une abondante communication publique qui a longtemps fait foi, avant que l’on ne songe à plonger dans sa correspondance et ses papiers de travail.

68.

GWLB, LH XLII, 5, fo 33r.

69.

Malgré sa critique de la conception hylémorphique et son analyse érudite de la part jouée par Leibniz dans la réalisation de cette conception, Jones persiste à le qualifier de « philosophe-ingénieur » (philosopher-engineer) (Jones, 2016, p. 98 et passim, ma traduction). Pourtant, en redonnant à l’artisan ses compétences pratiques, savoir-faire, savoirs tacites et incarnés des matériaux et des mécanismes, il conviendrait, devant l’évidence et dans un mouvement symétrique, de revoir la part de Leibniz.

70.

Wakefield, 2010 et Heinz, 2011.

71.

'geometrical machines were realized not in any physical machine but in his new symbolic calculus that permitted just such transformations of figures' (Jones, 2016, p. 57). Voir Jones, 2016, p. 266, n. 10 pour les cotes des archives traitant de ces machines.

73.

'Material Foundations of a Digital Age' (Jones, 2016, p. 247 et suiv, ma traduction).

Appendix A Sources et bibliographie

Sources manuscrites
  1. Gottfried-Wilhelm-Leibniz-Bibliothek (GWLB), Leibniz Handschriften (LH) XLII, 5.
Sources imprimées
  1. Akademie Ausgabe (AA) Reihe III, Band 2, N. V, 50 et 259 : correspondance entre Leibniz et Ollivier.
  2. AA II, 1, N. 65 : lettre de Carcavi à Leibniz, juin 1671.
  3. AA II, 1, N. 66 et 67 : lettres de Leibniz à Carcavi, juin 1671.
  4. AA II, 1, N. 95 : lettre de Carcavi à Leibniz, décembre 1671.
  5. AA, VI, 4 : Écrits philosophiques.
  6. Leibniz, 1710 : Gottfried Wilhelm Leibniz, « Brevis descriptio Machinae », Miscellanea Berolinensia, 1, p. 317-319.
  7. Leibniz, 1847 : Gottfried Wilhelm Leibniz, Leibnizens gesammelte Werke: aus den Handschriften der Königlichen Bibliothek zu Hannover, 4 Bd., Pertz G.H. (éd.), Hanovre, Hahnschen Hof-Buchhandlung.
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  5. Daston, 1994 : Lorraine Daston, « Enlightenment Calculations », Critical Inquiry, 21, 1, p. 182-202.
  6. Daston, 2017 : Lorraine Daston, « Calculation and the Divison of Labor, 1750-1950 », Report of the 31 st Annual Lecture of the German Historical Institute, Washington DC, p. 9-30.
  7. Dubourg Glatigny et Vérin, 2008 : Pascal Dubourg Glatigny et Hélène Vérin (éd.), Réduire en art. La technologie de la Renaissance aux Lumières, Paris, Maison des sciences de l’homme.
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  10. Dumas Primbault, 2020b : Simon Dumas Primbault, « An Ink-and-Paper Automaton: The Conceptual Mechanization of Cognition and the Practical Automation of Reasoning in Leibniz’s De Affectibus (1679) », Society and Politics, 13, 2, p. 87-113.
  11. Dumas Primbault et al., 2021 : Simon Dumas Primbault, Paul-Arthur Tortosa et Martin Vailly (éd.), Lieux et milieux de savoirs : pour une écologie des pratiques savantes, numéro spécial des Cahiers François Viète, III, 10.
  12. Gray, 2018 : Jonathan Gray, « Computational Imaginaries: Some Further Remarks on Leibniz, Llull, and Rethinking the History of Calculating Machines », dans Amador Vega, Peter Weibel et Siegfried Zielinski (éd.), DIA–LOGOS: Ramon Llull’s Method of Thought and Artistic Practice, Minneapolis, University of Minnesota Press, p. 293-300.
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