Ivonne Manfrini et Nina Strawczynski

Technê et image

1Face à l’insuffisance des sources anciennes, pour les périodes antérieures au IV e siècle notamment, les enquêtes sur les réalités de latechnê en Grèce ancienne se sont beaucoup fondées sur les représentations d’activités artisanales, en particulier celles qui figurent sur les vases attiques de la fin du VI e au premier quart duV e siècles.

2construction des savoirsépistémologietechnique acteurs de savoirprofessionartisanL’analyse de ces représentations s’est donc orientée selon une double perspective, comme source d’information sur les activités artisanales, en suivant une démarche qui se situe dans l’histoire des techniques1, et dans une optique d’histoire sociale, en interprétant les scènes comme des documents sur les statuts des artisans2. D’emblée, est ainsi posé un rapport mimétique de l’image à une réalité qui serait potentiellement reconstructible. Or, non seulement la pénurie d’autres types de sources ne permet pas de faire les recoupements nécessaires à la validation de cette supposée réalité3, mais on a montré depuis longtemps que le rapport des représentations, notamment vasculaires, à la réalité factuelle, est bien plus complexe. En effet, ces scènes devraient être appréhendées davantage comme des visualisations élaborées des différents aspects d’un système culturel, pouvant parfois prêter aux commentaires, que comme de simples illustrations d’une réalité4, le raisonnement circulaire n’étant alors jamais très loin. L’accès aux réalités grecques de la technê, et au statut des artisans en particulier5, rencontre de nombreux obstacles et desa priori résistants. En ce qui concerne les images, l’interprétation récurrente d’une vision dégradante des activités artisanales6, et d’une dévalorisation du statut des artisans, est souvent fondée sur une exploitation excessive et parfois contestée du témoignage des textes du iv e siècle av. J.-C., notamment des discours philosophiques7.

3acteurs de savoirprofessionartisanLecorpus des représentations d’activités artisanales a été constitué une première fois par J. Ziomecki, en 1975, et augmenté par M. Vidale, en 2002 8 ; y figurent des scènes montrant le travail du bois, de l’argile, du métal, de la peau et de la laine si l’on inclut les activités féminines. Il s’agit donc d’un choix, d’une sélection : seules sont données à voir les activités du charpentier, ou de l’ébéniste, du potier, du peintre, du forgeron, du cordonnier et de la tisserande. Pas une image ne se rapporte aux autres activités : les imagiers n’avaient donc pas pour objet de représenter la réalité artisanale athéniennein toto, de même qu’il ne s’agissait pas d’illustrer fidèlement les gestes et les instruments de chacune des activités artisanales choisies, comme on le verra ci-dessous. À ce propos, le cas du cordonnier, dont trois images nous sont parvenues, est particulièrement révélateur. Sur une amphore et une péliké à figures noires (fig. 1b et 2), l’artisan est couronné comme l’est aussi le spectateur de l’une des scènes (fig. 2)9. Sur les deux vases, tantôt une jeune fille, tantôt un jeune homme sont debout sur la table alors que l’artisan s’apprête à découper la semelle. Couronnes, branchages, auxquels s’ajoutent le bassin posé à même le sol et le tabouret sophistiqué, de typeokladias, constituent autant d’indices montrant qu’il ne s’agit pas du quotidien des artisans mais bien d’une circonstance où le rôle de la chaussure possède une efficacité symbolique. Un moment et une efficacité bons à voir comme l’indiquerait la présence des spectateurs sur laquelle on reviendra plus loin. Du coup, la troisième image, un médaillon d’une coupe conservée à Londres (fig. 3)10, qui au premier abord semble très descriptive de la technique du cordonnier, pourrait renvoyer de manière allusive ou métaphorique à une réalité plus complexe11. Ce qui vaut pour les cordonniers vaut également pour les métallurgistes, dont l’activité est figurée au revers de l’amphore montrant la jeune fille chez le cordonnier (fig. 1a).

4Il s’agira, dans les lignes qui suivent, de s’intéresser à un seul vase, emblématique puisque souvent étudié, pour pointer à la fois la difficulté qu’il y a à recourir aux documents figurés comme sources d’information sur la technê et pour souligner l’intrinsèque polysémie des images.

La coupe du peintre de la Fonderie entre technique et société (fig. 4a-c)12

5C’est une coupe des années 480 av. J.-C., un objet pensé, élaboré par le potier et par le peintre pour fonctionner dans le cadre du symposion, à Athènes, mais peut-être utilisé dans un autre contexte, ailleurs, comme offrande aux dieux ou aux morts13. Pièce à conviction indispensable dans tout ouvrage sur l’artisanat en Grèce ancienne, cette coupe, due au pinceau du peintre de la Fonderie, ainsi désigné par la scène qu’il a élaborée, est conservée aujourd’hui à Berlin après avoir été découverte, en 1834, dans une tombe de Vulci. Pour qui s’intéresse à l’histoire de la technique, à la hiérarchie du travail dans un atelier ainsi qu’au statut social des artisans, ce vase est incontournable. Il figure ainsi dans tous les ouvrages qui portent sur l’étude de la métallurgie grecque antique, puisque, au médaillon et sur la panse du récipient, sont représentées des opérations liées à la production de pièces d’armurerie et de « statues »14.

6On voit ainsi, sur la gauche de la face A (fig. 4a), deux hommes s’occupant d’un four ; un jeune actionne le soufflet alors qu’un artisan barbu, assis sur un tabouret bas, « encadré » par deux marteaux et une scie, attise le feu. Dans le champ, à droite du four, sont figurés des branchages, des pinakes et deux têtes, suspendus à des cornes de chèvre. Suit un ouvrier au repos puis un autre artisan lui tournant le dos qui, marteau en main, s’active sur une grande « statue » de jeune homme nu, posée sur un monticule. La tête de celle-ci, pourvue de cheveux et d’yeux, se trouve entre les pieds de l’ouvrier occupé à fixer la main droite. Dans le champ, sont figurés deux marteaux ainsi que deux pieds, à moins qu’il ne s’agisse d’une main et d’un pied. Sur la face B (fig. 4b), deux artisans munis de racloirs polissent une « statue » colossale de guerrier disposée sur un podium surmonté d’un cadre souvent interprété comme un échafaudage15. De part et d’autre, deux hommes barbus et couronnés, vêtus d’un himation, sont représentés debout, appuyés sur leur canne. Dans le champ, devant le personnage de gauche et derrière celui de droite, sont représentés des strigiles et des aryballes alors que, devant celui de droite, sont figurés un marteau et un racloir. Au médaillon, la scène est interprétée comme le moment où Héphaïstos donne à Thétis de nouvelles armes, casque, cnémides, bouclier et peut-être lance, pour son fils Achille, conformément à ce que rapporte l’Iliade (Il. XVIII, 417-453).

7matérialité des savoirssupportsupport d’inscriptionbâton espaces savantslieuatelierJusqu’ici, les analyses proposées par les archéologues se partagent entre la recherche d’informations sur la réalité de la pratique de la fonte à la cire perdue et celles qui tentent d’apporter un éclairage sur l’organisation du travail dans les ateliers, voire sur le statut des artisans dans la société athénienne16. Par exemple, l’étude de C. Mattusch, publiée en 1980, interprète les scènes figurant sur la paroi extérieure de la coupe comme une attestation fiable, voire comme une preuve, des modalités de fabrication de « statues » de bronze et de la variété des styles de la sculpture du début du v e av. J.-C. 17. La main et le pied (ou les deux pieds), accrochés dans le champ de l’image, sur la face A, sont ainsi identifiés comme des modèles dont le bronzier prendrait une empreinte pour procéder ensuite à la technique de la fonte à la cire perdue. Une technique dont l’usage serait attesté par des textes, à partir du iv e av. J.-C., et dont la coupe de Berlin constituerait une preuve de l’antériorité du procédé18. De la même manière, l’auteure voit dans la diversité des formes des deux images de « statues » un reflet fidèle de la diversité des tendances stylistiques de la production statuaire du début du v e av. J.-C. Quant aux deux personnages appuyés sur un bâton, qui encadrent la scène de la face B (fig. 4b), ils sont identifiés, à la suite d’études antérieures19, comme le propriétaire de la fonderie, soit le fondeur, accompagné du sculpteur attestant ainsi de la division du travail et donc de la séparation entre la conception artistique et la production manuelle. Les deux personnages, après avoir procédé à leurs ablutions et s’être enduits d’huile, comme l’attesterait la présence des aryballes et des strigiles dans le champ de l’image, donneraient aux ouvriers, autres indices de la hiérarchisation des tâches et des statuts, les dernières instructions avant de quitter l’atelier20. Le postulat sous-jacent à ce type d’analyses pose que les images sont un reflet « photographique », descriptif, d’une réalité qui n’est, par ailleurs, confirmée par aucune autre source sûre, qu’elle soit écrite ou matérielle.

8acteurs de savoirqualités personnellescompétence typologie des savoirssavoirs non canoniquesoccultismemagieUn même postulat oriente l’identification des objets accrochés dans le champ de l’image à proximité du four, sur la face A. Il s’agit depinakes illustrées et de deux têtes, ou de deux masques, l’une féminine et l’autre masculine, le tout accroché à une paire de cornes de chèvre. Ces objets ont été presque unanimement identifiés comme desapotropaia, tels les baskania, mentionnés par Pollux (VII, 108)21, offerts aux divinités protectrices des métallurgistes pour écarter le mauvais œil et assurer ainsi aux artisans leur bienveillance lors des étapes du difficile travail de transformation du métal en fusion jusqu’à la finition, ici, de la « statue ». Un témoignage, soit dit en passant, qui porte atteinte à la lecture laïcisante de l’activité technique. Pour M. Vidale, la représentation des baskania serait en revanche un indice de la coexistence d’implications apotropaïques et dionysiaques, puisque certainespinakes semblent renvoyer à cet univers, « avec les exigences d’une illustration plus profane des capacités techniques et de l’activité des bronziers »22. En effet, pour ce qui est des deux têtes, l’auteur n’exclut pas la possibilité de les interpréter comme des esquisses de projet de statues voire comme des parties déjà terminées. Indépendamment du bien-fondé de cette interprétation, une fois encore invérifiable, elle suppose pour l’image un fonctionnement qui s’écarte de la description photographique, de l’illustration fidèle d’une réalité matérielle. Envisager la convergence, le tressage, de la référence à une pratique religieuse et de la référence au faire du bronzier, c’est considérer l’image comme un véritable montage d’éléments empruntés au monde du quotidien matériel des artisans. Une manière, pour le peintre, d’affirmer la complémentarité de la protection divine et du savoir-faire humain. Dans la pratique de l’atelier, le bronzier dispose d’autres moyens pour mettre en valeur l’excellence de ses compétences que celui qui consisterait à juxtaposer parties de statues et apotropaia. Cette interprétation fonde la thèse de M. Vidale pour qui : « la représentation des techniques et des instruments, en Grèce, entre la fin du v e et le début duiv e siècle av. J.-C., ne fut pas l’objectif des iconographies, il s’est agi plutôt d’un langage complexe et nerveux utilisé pour exprimer des affirmations, des négociations (contrattazioni) et des réflexions sur les rapports de production impliqués dans la sphère du travail artisanal »23. En bref, pour Vidale, ces images constituent une forme d’expérimentation tentant de visualiser les changements de statuts des artisans, dans le cadre de la démocratie athénienne ; un statut qui s’affirme par la valorisation de gestes légers (il lavoro lieve) pour se démarquer de la réalité d’un travail pesant qui déforme le corps, le marquant ainsi de la servitude matérielle et donc sociale. Pour ce qui a trait aux images se référant au travail de la métallurgie en général, entre les sixième et cinquième siècles av. J.-C., M. Vidale constate une transformation des tâches qui passent du travail lourd de la forge, qu’il qualifie de banausique, aux travaux requérant davantage de minutie et de précision, qui l’incite à parler de travail léger, voire sacralisé lorsque les dieux sont représentés24. L’option sociologique qui est la sienne présente l’intérêt de pointer le « travail » de mise en image de l’activité artisanale.

9En effet, sur un certain nombre de vases, ont été relevés des gestes, des détails, révélant des incongruités techniques qui marquent un écart avec la réalité. Ainsi, sur la coupe de Berlin, la tête, encore séparée du corps, sur la face A, est représentée avec des yeux alors que, dans la réalité, ce délicat travail d’insertion intervient au terme du processus. De la même manière, le polissage de la « statue » sur la face B, par ailleurs problématique puisqu’il devrait intervenir sur les parties non encore assemblées25, devrait précéder l’adjonction du bouclier, du casque et de la lance. Et encore, la longue scie dentelée représentée verticalement, à côté de l’ouvrier assis, est également incongrue, puisqu’elle ne peut pas être associée au travail du métal26. Le four, du même type de ceux qui figurent sur d’autres images évoquant la forge, fait également problème, mais la perplexité des interprètes résulte peut-être de la méconnaissance de la réalité concrète. Quoiqu’il en soit, il évoque plutôt la fusion de petites quantités de métal nécessaires aux travaux de finition, un travail léger donc, par opposition à celui, périlleux, de la préparation de l’alliage27. La nudité éphébique de l’ouvrier, si c’en est un, debout dans une attitude de repos, sur la face A, est une autre manière de creuser l’écart avec la réalité matérielle et sociale des artisans, en le rapprochant des images vasculaires de jeunes athlètes, de futurs citoyens, caractérisés par un corps façonné par les exercices de la palestre opposés au corps de la réalité quotidienne des artisans déformés par le travail physique28. Ces incongruités ne sont pas propres à la coupe de Berlin puisqu’on les retrouve sur d’autres représentations d’activités artisanales29.

10La coupe de Berlin, comme la plupart des représentations du travail artisanal entre 520 et 460 av. J.-C., révèle donc d’une part le peu d’intérêt que les imagiers portent au rendu précis des gestes de la technique et, d’autre part, le choix de montrer des actes privilégiant la minutie et ménageant par conséquent le corps. La sacralisation du travail par l’intervention, dans l’image, des dieux, tels, ici, Héphaïstos et Thétis, serait en outre, selon M. Vidale, un autre moyen de « requalifier », de valoriser, le travail et le statut des artisans en les rapprochant du forgeron divin et de l’épisode fabuleux de la fabrication des armes d’Achille. Une manière d’inscrire visuellement la hiérarchie du travail avec au sommet Héphaïstos, puis les patrons de forge, soit le fondeur et le sculpteur, suivis des ouvriers plus âgés, supérieurs aux jeunes, puisqu’ils sont représentés deux fois, de part et d’autre du vase, pour finir, au bas de l’échelle, par les apprentis, figurés sur la face A, dont l’un s’affaire avec le soufflet, derrière le four, alors que l’autre regarde l’ouvrier occupé avec le feu30.

11Ainsi les huit figures correspondraient, selon certains, dont M. Vidale 31, à six acteurs, dont deux figureraient sur les deux côtés de la coupe. En clair, l’artisan assis près du four, sur la face A, serait le même que celui qui, accroupi et coiffé du même « bonnet », dupilos, polit la statue, sur la face B, alors que le compagnon de ce dernier serait aussi celui qui ajuste les mains de la « statue » sur la face A. Deux ouvriers, les plus âgés, seraient ainsi affectés à des tâches différentes, et délicates, ce qui a été interprété par M. Vidale comme un signe d’importance et donc un indice de hiérarchie.

12acteurs de savoircatégorie socialeesclaveLes signes ne semblent pourtant pas si clairs et offrent d’autres possibilités de lecture, puisque J. Neil croit pouvoir identifier une différence de statut entre les deux artisans âgés de la face B ; celui qui est entièrement nu et accroupi serait l’assistant de son compagnon debout et vêtu d’un pagne. Son statut inférieur serait indiqué par sa position, par sa nudité et par son visage marqué, signe de son extériorité à la communauté athénienne, voire de son état d’esclave32. De même, les ouvriers près du four, auraient un statut inférieur à celui de ceux, qui sur la même face, sont occupés à des tâches plus légères ; mais, dans le même temps, l’auteure suggère que le personnage debout appuyé sur le maillet pourrait être le fils de celui qui est accroupi devant le feu. Le fils serait donc supérieur au père et l’ancienneté ne ferait plus sens. L’identification de la hiérarchie semble conduire aux mêmes types d’apories que l’identification des procédés techniques.

13construction des savoirstraditionreligionEn outre, selon ce type de lecture, axé sur la recherche de l’organisation et de la division du travail, l’allusion au divin est réduite à une valeur paradigmatique, puisqu’elle se limiterait à « transposer les activités techniques sur le plan transcendental », dit M. Vidale, et cela dans un contexte politique qui voit l’affrontement entre les Athéniens et les Perses, où tout ce qui touche à la valeur guerrière, et donc à l’armement, assume une importance vitale33. De fait, cette lecture inscrit à la fois une hiérarchie et une césure entre le faire des dieux et le faire des hommes, l’allusion à l’intervention des premiers, sur les parois extérieurs du vase, se limitant à la mention des apotropaia, desbaskania, identifiés dans les objets accrochés dans le champ de l’image, près du four.

14Pour qui envisage l’analyse iconographique dans son interaction avec les éléments formels, en tenant compte de la forme du vase ainsi que de son utilisation dans le contexte dusymposion, la coupe de Berlin offre d’autres perspectives herméneutiques. Dans les lignes qui suivent seront proposées deux lectures fondées sur les jeux d’images familiers aux peintres et aux usagers antiques. La première proposition explore la manière dont le peintre pourrait inviter le spectateur ancien à un exercice de la glose sur le faire métallurgique des dieux et des hommes et sur les produits issus de ce faire. La deuxième observe le caractère réflexif du travail pictural qui s’exprimerait en particulier à travers une évocation particulière de la fabrication, de la figuration et de la perception des corps.

Entre métallurgie divine et humaine

15À l’époque classique, la laïcisation de la technique serait chose faite ; contrairement à la pratique agricole marquée par le religieux, l’activité de l’artisan « appartient à un domaine où s’exerce une pensée déjà positive […]. L’artisan ne met plus en jeu des forces religieuses ; il opère au niveau de la nature, de laphusis […]. Il ne doit son succès qu’à ce savoir pratique, acquis par l’apprentissage et qui constitue pour toute activité spécialisée, les règles du métier »34. Tel serait le témoignage des sources écrites, celui de Xénophon et de Platon surtout, à la fin du v e et au début du iv e siècle av. J.-C. 35. À travers l’exemple de la coupe de Berlin, datée, rappelons-le, de 490-480 av. J.-C., il s’agira de repérer les indices imagés susceptibles de rendre compte, sur ce point, des réalités antiques.

16Les images ne sont pas des illustrations fidèles de la réalité, on l’a dit, et un vase n’est pas une page, les scènes ne sont donc pas visibles, lisibles, de la même manière que celles figurant sur un support à deux dimensions. Ainsi, les deux faces du récipient et le médaillon ne peuvent être vus simultanément comme le permettent aujourd’hui les photographies et les dessins. De plus, la coupe est conçue pour fonctionner dans le cadre du banquet, peu importe si elle est utilisée dans un autre contexte. Elle fait partie des objets en mouvement, qu’il s’agisse des gestes du buveur qui la manipule ou de ceux des buveurs lorsqu’elle passe de main en main. Dans l’espace du banquet, sous le patronage de Dionysos, circulent donc le vin, les images et la parole, commentaire d’images compris, des images qui, souvent, se prêtent à des jeux d’allusion et d’énigmes36. Il faut donc considérer notre coupe et les représentations qu’elle porte dans cette perspective.

17L’appel au commentaire sur le vase de Berlin est évident. Les inscriptions disent « Diogenes kalos naichi », de part et d’autre du jeune homme appuyé sur son maillet (face A, fig. 4a), et « ho pais kalos naichi » dans le champ de l’image encadrant la « statue » de guerrier (face B, fig. 4b). « Naichi », une affirmation, et un nom précis, « Diogenes est vraiment beau », sur l’autre paroi, « le jeune homme est beau » en inscrit une autre, mais plus générique ; au médaillon, « ho pais kalos » est de l’ordre du constat sans emphase37. Les inscriptions, les commentaires fonctionnent par rapport au spectateur et dans le cadre de l’image où plus d’un personnage parle, comme l’atteste la bouche ouverte ; ainsi, Héphaïstos s’adresse à Thétis, le spectateur-client-patron de la fonderie s’adresse à son compagnon, comme se parlent les ouvriers occupés à polir la « statue ». L’interprétation « réaliste » y verra une allusion à la réalité des conversations se déroulant dans l’espace de l’officine, et pourquoi pas38, mais la pratique du commentaire d’images dans le cadre du banquet, et ailleurs39, est également une réalité. Reste à tenter d’élucider ce que la coupe offre à l’exercice de la glose.

18Le spectateur antique ne pouvait que remarquer le déroulement de la composition, de la face A à la face B, ou vice versa, et l’effet de torsion qui en résulte. Sur la paroi A, un effet de frontalité est marqué par le four, par l’ouvrier qui, derrière, active le soufflet, par celui qui est assis, à côté, ainsi que par les deux têtes accrochées aux cornes de chèvre. Le spectateur de l’image est ainsi directement interpellé. Le personnage central, qui suit, est présenté partiellement de face, mais la tête est tournée vers le four alors que la main sur la hanche s’ouvre ostensiblement dans la direction opposée. Cette double articulation correspond à celle de la main (ou du pied), frontale, et du pied, de profil, à gauche, dans le champ de l’image. À partir de ce point, la frontalité cède la place au profil comme le montrent d’abord l’artisan et la « statue » couchée, puis les figures de la face B, à commencer par le personnage au manteau présenté avec le torse de face, pour terminer par son compagnon qui tourne le dos, de trois quarts, à qui regarde l’image. Entre les deux, la « statue », est elle aussi curieusement représentée en vrille. La torsion semble être un procédé familier au peintre de la fonderie mais dans ce cadre elle semble être explorée de manière délibérée. Ainsi encore, l’escabeau sur lequel est assis le polisseur de la face B, qui est représenté en oblique, à la fois au premier plan et derrière la « statue », obligeant ainsi le corps à un position peu réaliste et cela de la part d’un peintre dont le réalisme est considéré comme une caractéristique fondamentale40. Cet effet de torsion, à la fois global et propre à certaines figures, n’est pas isolé sur cette coupe ; comme on le verra, il pourrait être une manière d’évoquer l’oblicité de l’aspect et du faire d’Héphaïstos. Cet effet de torsion accentue également quelque chose de l’ordre du mouvement et du changement, qui caractérise également le dieu, sur un objet déjà destiné à tourner lorsque les convives se le passent de main en main.

19Au mouvement, potentiel, de l’objet et de l’image s’ajoute un effet de brouillage stimulant l’acribie de la mémoire et de la glose. Soit les quatre artisans plus âgés distribués sur les deux faces : s’agit-il de quatre ouvriers anonymes, indistincts, ou subtilement qualifiés, ou encore de deux qui se dédoublent, comme l’ont proposé certaines interprétations ? Il n’est pas sûr que la question se pose en ces termes.

20L’artisan barbu et assis de la face B est nu et il porte un bonnet, lepilos, comme celui de la face A. Dans l’impossibilité de regarder les deux figures simultanément, c’est un trait dont le spectateur grec pouvait, devait, se souvenir. Un regard plus attentif pouvait ensuite tenter de repérer l’écart éventuel entre les traits marqués de l’un par rapport au visage moins caractérisé de l’autre41. Les deux personnages se ressemblent mais ils sont différents, seul l’exercice du regard et du commentaire peut le relever. Un autre écart, incontestable celui-ci, différencie les deux artisans. Contrairement à son collègue, le personnage nu et coiffé dupilos, de la face A, est assis sur un coussin ; or ce coussin est à la fois très proche mais différent, il en est une version nettement moins élaborée, de celui sur lequel est assis Héphaïstos, vêtu de l’exomis et sanspilos, représenté au médaillon, autre détail que l’utilisateur de la coupe était susceptible d’enregistrer dans sa mémoire. Sur les parois du vase, le peintre joue donc avec la ressemblance et la dissemblance et introduit par conséquent un brouillage sémantique autour du divin et de l’humain. L’ouvrier près du four partage certains traits à la fois avec le dieu du médaillon et avec le personnage de la face B.

21pratiques savantespratique corporelleposition du corpsIl y a peut-être plus, la position frontale de la figure sur la face A, n’est pas une invention du peintre de la coupe, et elle induit le même effet d’ambiguïté. Cette position apparaît sur des images représentant Héphaïstos, hors du contexte de la forge, et sur d’autres associées au travail de la métallurgie, il s’agit donc d’un code iconique connu de tous, mémorisé42. Dans la forge, toujours près du four, tantôt cette posture est celle d’Héphaïstos, tantôt elle est celle d’un artisan ou alors elle inscrit l’entre-deux, l’ambiguïté ; bien évidemment, le brouillage ne peut opérer qu’à partir de codes bien établis. Quelque chose d’Héphaïstos, d’héphaistéen, est donc présent sur la paroi A de la coupe. Du coup, la dissociation de la sphère divine et humaine ne paraît plus si évidente, seule cependant l’observation attentive de la résonance des signes iconiques permet de la repérer. Une observation attentive qu’exerce, par exemple, le chœur de servantes athéniennes devant le temple d’Apollon à Delphes (Eurip.,Ion, 187-218).

22typologie des savoirssavoirs non canoniquesoccultismemagieOn peut risquer de pousser le déchiffrement de cette frontalité encore plus loin. La nudité frontale, exhibant les organes génitaux, dans ce type de position en particulier, fait sens. Elle peut avoir une fonction magique et apotropaïque, à l’instar du phallus. Son effet est double, soit de protéger du mauvais œil, soit de le provoquer et elle est caractéristique surtout des hermes, des satyres et des personnages appartenant à cette configuration, un univers apparemment éloigné de celui du dieu forgeron43. Sur certaines images, dont celle qui nous occupe, le paradoxe réside cependant dans le fait que le sexe exhibé est en même temps contrôlé, puisqu’il est dûment infibulé, comme celui des jeunes éphèbes policés, et cela contrairement à ce que peuvent montrer d’autres images44. Un contrôle qui « qualifierait » l’artisan de la coupe de Berlin, qu’il soit divin ou humain.

23Dans son étude sur Héphaïstos, Marie Delcourt observe que les imagiers ont le plus souvent ennobli la figure du forgeron divin en éliminant tout ce qui est de l’ordre de la « laideur ou du ridicule », traits qui sont alors attribués aux êtres qui l’entourent45. Elle cite ainsi, les mulets ithyphalliques, qui servent parfois de monture au dieu, ou encore un vase de Lydos, représentant le retour d’Héphaïstos dans l’Olympe, sur lequel ce sont les Satyres qui portent les instruments de la forge et qui sont pourvus de traits grotesques : « Celui qui regarde cette composition pense moins au thème qui y est traité qu’au caractère volontairement bouffon du décor qui offre,stylisés et relevés sur le plan de l’art, les objets mêmes qui composent les amulettes ». Les amulettes, ce sont lesapotropaia, les baskania, lesgeloia des métallurgistes disposés, dans la réalité de l’atelier, sur le four (Pollux, VII, 108). Des objets qui protègent les artisans des démons dont l’action pourrait entraver, perturber, la bonne marche des opérations ; des objets qui « obligent à rire, c’est-à-dire à rompre un état de stupeur ou de passivité », jugulant ainsi l’action néfaste des démons. En clair, selon M. Delcourt, le dieu des images serait plus noble que celui des textes, l’aspect ridicule étant délégué à d’autres signes qu’évoqueraient alors lesgeloia. Le rire apotropaïque suscité par la vue des amulettes des artisans ne ferait ainsi qu’exprimer un aspect du dieu commegeloion 46.

24Sans adhérer à tous les points de la proposition de M. Delcourt, on peut se demander si les images de la coupe de la fonderie pouvaient susciter le rire des spectateurs antiques. La présence des amulettes semble presque faire l’unanimité. Les objets, lespinakes, accrochés aux cornes de chèvres, près du four, sont en effet identifiés comme des apotropaia, bien que d’autres voient dans les deux têtes des modèles pour l’artisan. Mais, vus de près, ils n’évoquent pas de manière évidente le registre comique et inquiétant appartenant au monde des démons47. Il n’y a rien du réalisme d’une tablette du vi e siècle av. J.-C., découverte à Penteskouphia, où l’on voit un potier fasciné par le spectacle d’un petit personnage, tenant son sexe en érection, posé sur le four48. Dans les images vasculaires, ces mêmespinakes, figurées dans le champ, parfois associées aux cornes de capridé, sont en revanche fréquentes à proximité des hermes et cela dans la même disposition49. Le peintre « monte » donc une image qui associe l’imagerie hermaïque à celle de la pratique métallurgique, un montage que le spectateur antique devait percevoir sans effort50. Si il y a du rire héphaistéen sur cette coupe, il résulte peut-être de ce montage. L’herme est en effet associé au phallus qui peut en être le substitut51 ; pour les Athéniens, c’est une réalité culturelle établie. De par son aspect et au vu de la présence des pinakes, le four glisse ainsi visuellement du côté de l’herme. Le lien entre Héphaïstos et le phallus étant attesté52, on peut se demander si le signe « four » n’est pas une manière oblique de suggérer l’association du phallus et de l’herme, une suggestion qui naît de la proximité avec la figure assise de manière policée. Le four et l’artisan pourraient donc être une manière d’évoquer lesgeloia, le four assumant la « phallicité » que l’infibulation de l’ouvrier héphaistéen, à moins qu’il ne s’agisse du dieu ouvrier, contrôle. Inscrire une réalité pour aussitôt la détourner, convoquer un jeu de signes fondé sur la mémoire visuelle et l’association, l’opération imagière du peintre de la Fonderie n’a donc rien de commun avec la fonction illustrative de la tablette de Penteskouphia. On peut risquer de pousser le répérage du jeu d’image encore un peu plus loin en voyant dans le jeune ouvrier caché derrière le four, une manière de donner à voir le soufflet vivant d’Héphaïstos, capable de donner vie, et donc souffle, à la matière inanimée, en l’occurrence le four qui devient ainsi un phallus, et imaginer le formidable éclat de rire du spectateur grec53. Un jeu de signes qui, une fois encore, évoquerait le dieu sans le représenter.

25L’effet d’animation n’est pas limité au four, les instruments, inscrits dans le champ de l’image, sur la paroi A, sont également en mouvement. Cette disposition n’est pas propre au peintre de la Fonderie, on la retrouve sur d’autres vases représentant le travail de la forge. Par exemple, sur la paroi qui fait pendant à la scène de cordonnerie examinée ci-dessus (fig. 1a) et sur une oenochoé, datant de 510-500 av. J.-C. (fig. 7)54. À l’univers ordonné de l’espace imagé du cordonnier correspond le chaos du monde des métallurgistes55. Une manière peut-être de rendre visuellement à la fois la sonorité et le mouvement des forces qui agissent le faire du forgeron, divin et humain, qui doit domestiquer ces énergies, incontrôlables, que sont le feu, l’air, les minerais et le temps. Sans s’attarder davantage sur ce point, il faut cependant remarquer l’absence des tenailles qui sont pourtant l’instrument par définition d’Héphaïstos même sur des images représentant les aspects légers du travail des métallurgistes. Mais représenter ne se confond pas avec une opération illustrative. Le déchiffrement des images par les spectateurs anciens est un jeu qui exige temps et précision, la tenaille pourrait être présente de manière très allusive.

26acteurs de savoiracteur non humainêtre surnatureldivinité pratiques savantespratique corporelleposition du corpsposition deboutLe personnage debout, à côté du préposé au four, dont la torsion a déjà été soulignée, est également codé. Sur un autre vase, l’œnochoé à peine mentionnée ci-dessus (fig. 7), cette attitude de repos caractérise une figure de profil qui semble correspondre à un artisan humain. Plus tard, cette position est également celle que le dieu assume dans le cadre d’une épiphanie divine. Lorsqu’il assiste, sur un stamnos athénien, à la naissance de son fils Érichthonios, l’ancêtre de tous les Athéniens ou, sur un vase campanien, lorsqu’il salue la naissance de Pandore 56.

27acteurs de savoirprofessionpeintreCette permanence des schémas, inscrits dans les mémoires, favorise les jeux d’images fondés sur l’association. On verra plus bas, que la naissance et l’univers des métaux peuvent entretenir certaines proximités justifiant ainsi des parentés iconographiques. Sur la coupe de Berlin, le peintre utilise donc un code connu tout en introduisant cet écart que constitue la torsion. Ce personnage à l’orientation divergente, une particularité formelle qui appartient au répertoire du peintre, a ici une efficacité puisqu’il articule, on l’a déjà dit, les deux parties de la face A, vers le four et vers l’ajusteur de la « statue » en cours de montage. Ses deux mains ont un aspect qui pourrait faire sens. Celle qui est posée sur le maillet est pourvue d’un index démesurément long pointant dans la direction du four, alors que l’autre, appuyée sur la hanche est ouverte « en sébille » vers la gauche de l’image. La maladresse du peintre de la Fonderie a été relevée plus d’une fois, y compris, à propos de cette main57, elle n’est pas à exclure d’emblée. Mais, sur le même vase, les mains sur la hanche des deux patrons-spectateurs de la face B, sont représentées de manière conforme. Par contre, la main gauche d’Héphaïstos, au médaillon, présente la même « anomalie » que la droite de la figure en torsion de la face A ; non seulement l’index gauche est long, trop long, mais, dessiné avec beaucoup de minutie, comme le reste de la main, il se confond avec la bordure du casque. Il ne s’agit donc pas de tics de peintre, ou si c’est le cas, ils sont exploités au profit d’une efficacité sémantique qu’il s’agit de cerner.

28Kullôma est un mot qui désigne ce qui est courbé, plié ; peuvent l’être le pied, la cuisse, l’oreille ou la main. Lorsque celle-ci est ainsi désignée, il s’agit d’une main en sébille, d’une main déformée comme celle de notre personnage et peut-être comme celle du dieu sur le médaillon58. Une main déformée qui, pour les Grecs, évoque la pince du crabe ; « karkinoun tous daktulous, c’est recourber les doigts, les tordre en dedans, se faire une main de crabe ». Le crabe est associé aux Cabires, divinités de la mer et de la métallurgie, originaires de Lemnos et de Samothrace, et enfants, ou descendants, d’Héphaïstos. Or « crabe » se dit karkinos qui, en grec, signifie également les tenailles du forgeron, ces tenailles qui sont, semblent, absentes de l’image. « Kullos désigne aussi bien le pied-bot que la main crochue… »59 ; le même mot sert à qualifier la forme du pied d’Héphaïstos et l’animal qui, comme le dieu, ne marche pas droit comme n’est pas droit notre personnage tordu et fortement déhanché, comme un boiteux, comme le boiteux qu’est le dieu qui suscite le rire des Olympiens lorsqu’il leur sert d’échanson (Iliade, I, 596sqq.). Quant à l’index, recourbé et démesuré, parent de celui du dieu dans le médaillon, il contribue à inscrire visuellement cette configuration du courbe dans laquelle s’inscrit également la torsion. Sur la paroi A du vase, aucune figure ne représente le divin forgeron mais il pourrait être présent dans plus d’une, de manière allusive.

29Selon les sources écrites, Héphaïstos ne travaille pas seul, dans sa forge ; il y est entouré d’une foule de personnages. Outre les Cabires, il y a les Dactyles, les Telchines et Kédalion. Les Dactyles, les doigts, sont les inventeurs de l’usage du feu et de l’art de travailler les métaux ; par son index droit démesuré, le personnage au repos, ajoute peut-être une touche dactylienne à son côté cabirien60. Quant aux Telchines, ils sont connus essentiellement par des textes d’époque alexandrine, à la seule exception du texte de Stésichore. Ils sont décrits comme les enfants de la mer, comme des démons, porteurs de mauvais œil ; sans cesse dans le mouvement de la métamorphose, ils assument tantôt une forme animale, celle d’un phoque ou d’un serpent, par exemple, tantôt celle d’un monstre, ou encore celle d’un humain. Comme les Cabires et les Dactyles, ils ne font pas l’objet d’une iconographie clairement identifiable ; Strabon (X, 3, 7, 466 ; X, 3, 19, 472) rapporte en effet qu’il n’est pas facile de distinguer entre eux les différents démons de la métallurgie. Diodore de Sicile (V, 55, 2) attribue aux Telchines l’agalmatopoiia, la technique de fabrication desagalmata, fabrication de ce que nous appelons des statues, ce que confirment d’autres sources alors que, dans d’autres textes tardifs, ils sont considérés comme spécialistes de la finition61. Il ne serait pas pertinent de vouloir identifier de manière catégorique les Telchines dans l’ajusteur et les polisseurs de notre coupe. Cette indistinction relève de leur nature intrinsèque d’êtres en métamorphose, aussi insaisissables que les matériaux qu’ils utilisent, mais elle relève également du jeu d’allusion qui pourrait être propre au fonctionnement de cette image, voire de toute image. Ce qui est donné à voir pourrait donc être de l’ordre du « telchinien », sans plus, sans exclure, comme pour toutes les autres figures, une allusion au faire humain.

30On peut encore tenter d’explorer un peu plus loin cette allusion visuelle au courbe et au mouvement propres à la métallurgie d’Héphaïstos et de ses associés. On a déjà relevé ci-dessus le jeu de ressemblances et de dissemblances qui caractérise les deux figures assises de la face A et B (fig. 4a-b) : nudité, position assise, port dupilos des forgerons sont des traits communs aux deux pesonnages, mais communs également à d’autres figures d’Héphaïstos sur d’autres vases62. Mais le peintre introduit de légères différences dont l’identification exigeait du spectateur antique un effort de mémoire qui devait l’engager à tourner le vase et à commenter, sans forcément pouvoir toujours distinguer.

31Kédalion, le maître du feu, pourrait s’inscrire dans ce dernier jeu d’oscillation. Sur une fresque pompéienne, datée de 70 apr. J.-C., et conservée au musée de Naples, est représenté l’épisode de la fabrication des armes d’Achille. Héphaïstos, vêtu d’une courte tunique, comme sur la coupe de Berlin, est assis sur un siège face à Thétis, assise elle aussi mais sur un trône. Le dieu termine le bouclier, que tient un personnage debout, alors qu’à ses pieds, un autre artisan s’affaire à la finition du casque. Ce dernier, coiffé dupilos et vêtu d’un pagne, est identifié à Kédalion. Un bas-relief, situé entre le i er et le ii e siècle apr. J.-C., conservé au musée du Louvre, reproduit la même scène, avec quelques variantes, dont l’absence de Thétis et la présence de deux Satyres, l’un tenant le bouclier alors que l’autre termine une cnémide. On y retrouve le même personnage, barbu et coiffé dupilos, occupé à la finition du casque d’Achille, mais son aspect est celui d’un nain. La proximité des deux images a suggéré l’existence d’un même modèle, aujourd’hui perdu, qui daterait du iii e siècle av. J.-C. et qui s’inspirerait d’un drame satyrique de Sophocle 63. D’après les textes, c’est à Kédalion, à Naxos, qu’Héra aurait confié Héphaïstos, juste après sa naissance à Lemnos, pour qu’il lui apprenne à travailler et à forger les métaux. Suivant les époques, certains traits des nains, voire des Satyres, pourraient avoir caractérisé l’aspect des démons de la métallurgie. Du coup, on peut se demander si le polisseur, peut-être « telchinien », représenté assis, sur la face B, pourrait évoquer une appartenance à l’univers de Kédalion. Le port dupilos, les traits du visage, l’oblicité excessive de sa position l’inscrivent dans une configuration héphaistéenne, mais sans qu’il soit possible, pour le spectateur moderne, d’identifier une allusion plus circonscrite qui serait fondée sur d’autres indices que la convocation de la simple vraisemblance.

32Ce qui paraît moins contestable, en revanche, c’est le jeu de brouillage des ressemblances. Si le port dupilos, on l’a dit, induit une proximité entre les deux artisans, représentés de part et d’autre de la coupe, simultanément cette proximité est ébranlée par d’infimes différences introduisant peut-être d’autres possibilités d’interprétation s’inscrivant cependant dans une nécessaire contiguïté sémantique. À l’instar du coussin qui rapproche l’artisan assis près du four du dieu représenté au médaillon, alors que la coiffure et le vêtement les distinguent. La continuité narrative ne serait donc pas linéaire mais construite par le regard, et par le commentaire64, du/des spectateur/s. Du coup, on peut tenter de rechercher d’autres indices susceptibles de rapprocher et/ou d’écarter le polisseur, possible évocation des divinités de la métallurgie, du dieu figuré au médaillon. L’écho visuel et indiciel, fondé sur un savoir mythique partagé, passe peut-être par un subtil jeu d’allusions à la corporéité particulière d’Héphaïstos. Un dieu boiteux, aux jambes grêles qui font contraste avec le développement du thorax, siège de la puissance divine65. Un dieu dont l’apparence physique est décrite par tout ce qui évoque le courbe, le tronqué et la double orientation66. Que fait l’image de cette différence ? Au médaillon, un œil attentif remarquera l’écart : le corps est solide, bien proportionné, la chevelure et la barbe sont soignées, mais l’index est très, trop, recourbé et allongé, le pied gauche est peut-être lui aussi démesurément long (il s’agit peut-être d’un effet perspectif) ; quant au torse, il est présenté de manière très frontale, en rupture avec le bas du corps, en torsion donc, une fois encore.

33Les yeux et la mémoire du spectateur antique pourraient avoir été exercés à parcourir l’image de manière non linéaire, à la recherche d’un jeu fondé sur la similitude et la dissemblance qui, par touches allusives, instaure des connexions visuelles et référentielles en même temps qu’elle les défait. Un jeu qui engage le corps du spectateur, via ses gestes, et qui sollicite l’acuité, la précision du regard et de l’esprit portée au déchiffrement du tressage de l’aspect formel et de l’iconographie ainsi qu’au repérage des multiples détournements et glissements de signes et de sens67. En l’occurrence, une manière d’inscrire la mouvance et la pluralité des acteurs du faire divin dans celui des mortels.

34À la clarté de la scène du médaillon s’opposerait ainsi, sur les parois, un jeu fondé sur l’ambiguïté. Une fois encore, les choses pourraient être plus complexes. La scène est identifiée comme la remise à Thétis des armes qu’Héphaïstos a forgées pour Achille, une proposition qui limite le statut de l’image à une illustration des vers d’Homère (Iliade, XVIII, 458-9). Dans le poème, la déesse demande un bouclier, un casque, des cnémides et une cuirasse. L’image omet la cuirasse mais montre une lance que la déesse tient dans sa main droite ; en outre, le bouclier héroïque, de type béotien, ne correspond pas du tout à celui que décrit Homère. Y figure en épisème, un aigle en vol tenant dans son bec un reptile à la place de la scène de labour mentionnée dans le texte68. On peut convoquer la fantaisie, ou les limites, de l’imagier mais on peut aussi tenter de percer une autre manifestation du jeu allusif que nous avons tenté de percevoir sur les parois de ce vase.

35Pour cette image, il a déjà été suggéré de reconnaître Athéna plutôt que Thétis 69 ; Athéna dont Apollodore rapporte qu’elle est descendue dans la forge d’Héphaïstos pour y chercher des armes. La lance serait donc l’attribut de la déesse, représentée ici sans l’égide comme c’est aussi le cas ailleurs70. Mais d’autres images attribuent de manière incontestable la lance à la mère d’Achille, en présence d’Athéna. Sur une péliké à figures rouges, conservée au Musée de la Villa Giulia, de la même époque que la coupe de la fonderie, Héphaïstos retouche un casque, devant Thétis debout tenant un bouclier et une lance, alors qu’Athéna, munie elle aussi de sa lance, tend au dieu un panache destiné à compléter ce casque. Cette iconographie semble caractéristique du tout début duV e siècle, précisément des années 490-480 av. J. -C 71, et pourrait avoir eu comme fin de souligner visuellement l’importance d’un élément, la lance, de l’armement des soldats Athéniens engagés dans la lutte contre les Perses et de suggérer le patronage d’Athéna, protectrice à la fois des Achéens et des Athéniens, nouant ainsi le temps de la guerre de Troieà celui du présent. Au tressage du divin et du quotidien, sur les parois extérieures de la coupe, correspondrait un même tressage, au médaillon. Le paradigme mythique opérerait ainsi sans césure, en liant la dimension militaire et politique, véhiculée par Thétis à la lance, à celle des réalisations du faire métallurgique divin. Dans ce contexte historique particulier, les objets produits par une technique d’origine divine, inscrite dans celle des hommes aidés par la bienveillance ambivalente des démons, exprimeraient ainsi quelque chose de l’ordre du politique.

36La manière de montrer la fabrication des deux « statues » pourrait confirmer cette lecture. L’une, sur la face B, est clairement identifiable comme celle d’un jeune guerrier, d’un hoplite, héroïsé puisque dépourvu de cuirasse et de jambière, représenté avec la charge vitale qui est propre à ce que doivent suggérer lesagalmata, ce que nous appelons « statue ». Des objets de brillance qui manifestent l’énergie de lacharis divine dont bénéficient les mortels qui se sont distingués par leurs exploits72. Sur l’image, ce nécessaire éclat est souligné par l’homologie que le peintre inscrit entre les instruments qui évoquent les soins du corps de l’athlète, les paquetages, constitués du strigile et de l’aryballe, accrochés dans le champ, à proximité des deux patrons-spectateurs, et le racloir accompagné du marteau, figuré devant le personnage sur la droite de l’image. Le strigile et l’onction d’huile rendent les corps des athlètes brillants, parfumés, plaisants pour les dieux et pour les hommes, comme le travail de polissage, suivi d’une onction d’huile, donne sa nécessaire brillance au corps de bronze assurant l’immortalité de la mémoire des exploits accomplis par les héros, dont Achille, et par ces guerriers-citoyens que sont les Athéniens.

37L’autre statue, sur la paroi A, est plus énigmatique73. La vitalité s’exprime par les yeux et par la bouche ouverte, une manière de rendre l’énergie de l’agalma au détriment de la vraisemblance technique. M. Vidale a proposé de reconnaître dans la masse sur laquelle est déposée le corps de bronze, non pas de l’argile mais un roc, conformément aux codes de l’imagerie attique74. À partir de ce constat, on peut aller plus loin ; si la pierre nous éloigne de la vraisemblance technique, elle nous rapproche peut-être de l’imaginaire. En cours d’assemblage, d’ajustage, la statue est presque achevée, contrairement à celle du guerrier qui est en cours de finition. À unagalma d’hoplite en devenir sous le regard de citoyens affirmés s’oppose celui d’un jeune éphèbe, voire d’un adolescent, à naître, offert au regard direct des spectateurs antiques. Dans les images, le geste des bras, tendus vers l’avant et vers le haut, est celui des enfants dans les bras de leur mère. Il est également celui d’Érichthonios qui, sur des vases plus tardifs, émerge de la terre, dans les bras de Gaia 75. Il n’est pas question de reconnaître sur la coupe de Berlin l’épisode de la naissance du premier Athénien, connue en images depuis le vi e siècle av. J.-C. 76, mais bien, plutôt, une évocation de l’autochthonie des citoyens-soldats athéniens. Une « naissance métallurgique », en résonance avec l’épiphanie d’Érichthonios, né de la terre, du sol rocheux de l’Acropole d’Athènes sur les flancs méridionaux de laquelle se trouvaient des forges77 ; s’il y avait allusion à cette réalité elle devait être de l’ordre du symbolique et non du topographique.

38Une naissance comme uneanodos ; émerger du sol accompagné, aidé, par les Satyres marteleurs comme le montrent d’autres images, comme le suggère le satyre armé d’un marteau figurant sur l’une des pinakes accrochée aux cornes de chèvre, près du four78 ? Lespinakes, à sujets dionysiaques79, contribueraient ainsi à l’économie générale du sens de l’image. Inscrites dans le contexte hermaïque, on l’a dit plus haut, qui est celui des images, elles seraient détournées pour signifier à la fois la « phallicité » du four, par association avec l’herme, et une épiphanie, une anodos citoyenne.

39matérialité des savoirsmatériaumétalIl y a peut-être plus. Dans l’imaginaire antique, les métaux sont des produits de la terre. Les minéraux et les métaux sont vivants, voire sexués, ils naissent du sol et sont ainsi associés aux divinités de la fécondité dont Dionysos fait partie80. Au risque de la surinterprétation, on peut suggérer que la face A présente une suite de métamorphoses, de naissances, celle des métaux et celle des hommes, de l’enfance à l’éphébie puis à la citoyenneté. Quant à l’inscription qui suscite le commentaire « Diogenes kalos naichi », elle pourrait situer le référé du côté du divin et du mortel.Diogenes est un nom propre sans doute commun, mais c’est un nom qui signifie « fils de Zeus », or Zeus est le père de presque tous les autochthones81. Du coup, le « ho pais kalos naichi » de la paroi B pourrait, dans ce contexte, se référer à l’anonymat glorieux du soldat-citoyen athénien. Quant à l’inscription au médaillon, elle tresserait l’appréciation concernant Achille à celle des citoyens athéniens.

40Proposer ce type de fonctionnement de l’image, c’est supposer de la part des usagers grecs une capacité à jouer avec la pluralité sémantique et avec les ambiguïtés, comme lors des représentations tragiques où un auditeur « à l’attention mobile » s’exerçait à « entendre la profondeur ambivalente des mots »82. Pour le spectateur d’images, il s’agissait de se prêter au jeu de décodage des ressemblances et des différences, au jeu d’oscillation et de brouillage, qui élargit l’éventail des possibles en favorisant la fluidité et la mise en réseau de significations toujours en mouvement. Quelque chose qui serait de l’ordre d’une technique explorant un « langage complexe et nerveux », pour reprendre les termes de M. Vidale, fondé sur la perturbation des analogies et sur le jeu des métamorphoses. Un exercice apparenté au déchiffrement desgriphoi, des énigmes, ces « paroles de crabe » (Ménandre, frgt. 525), « parce qu’elles sont obliques et ne vont jamais droit au but », un exercice que l’on pratiquait également dans le cadre du banquet où circulaient le vin, les chants, la parole et les images83.

41Si l’on suit la lecture proposée ici, la coupe du peintre de la Fonderie pouvait donc se voir et se commenter à la fois en référence à la réalité de la pratique socio-technique, en tant que faire héphaistéen, comme elle pouvait se prêter au déchiffrement d’un jeu de signes donnant à voir les productions de l’activité des métallurgistes comme une métaphore du politique inscrite dans le contexte des guerres médiques. Autrement dit, il s’agissait de donner à voir la fabrication d’un jeune adolescent, un autochthone athénien destiné à devenir un hoplite-citoyen. Cette proposition revient à placer l’accent sur la valeur d’usage, celle des « statues », autant que sur celle du faire des bronziers. Un donné à voir cependant issu de latechnê du peintre, sans doute à son tour objet de commentaires.

Façonnages des corps, façonnage de l’image

42À la fin du VI e siècle et dans le premier quart duV e, les coupes recouvertes de vernis noir deviennent le support principal des activités artisanales, représentées au médaillon, seule surface décorée du vase84. Dans ce dispositif qui met particulièrement en valeur l’activité poïétique, l’artisan est le plus souvent un jeune adolescent85, comparable à ceux qui sont courtisés ou s’exercent dans la palestre. Placé au cœur du vase manipulé (potentiellement au moins) par le buveur, l’ouvrier est digne de regard et valorisé, notamment lorsqu’il est représenté nu86. Ainsi le peintre figuré au médaillon d’une coupe du peintre d’Antiphon (fig. 5)87 participe aux valeurs des « bons citoyens » grâce à la canne et au paquetage de l’athlète qui l’accompagnent. Les offrandes d’artisans trouvées sur l’Acropole témoignent également de la « fierté » des artisans et de leur désir de reconnaissance88. C’est d’ailleurs sur l’Acropole qu’a été trouvée la seule autre coupe connue, avec celle de Berlin, qui présente des activités artisanales sur le pourtour externe (fig. 6)89. Les fragments qui subsistent montrent Athéna assise90 entre un peintre de vase qui est peut-être couronné par la divinité féminine, et un forgeron. Il n’est pas possible de déterminer avec certitude si le cheval représenté sur un autre fragment est une statue91. La scène ne montre pas l’espace unifié d’un atelier92 mais juxtapose des motifs « typiques » du travail artisanal pour témoigner de son importance et peut-être également exprimer une certaine « proximité » entre des métiers ou bien des collaborations éventuelles93.

43La coupe de Berlin s’intègre donc dans ce corpus de coupes montrant le travail artisanal, mais elle s’en écarte toutefois de manière importante. En effet, le vase dans son ensemble est ici décoré, le médaillon étant moins un point focal que la reprise de la thématique artisanale sur le mode du mythe. Cet écart permet au peintre d’insister davantage sur la fabrication et sur les « produits » : c’est le faire et la statue qui sont dignes de regard, les artisans, qui ne sont pas dénigrés non plus, ne sont que des « agents »94.

44L’avers de la coupe présente deux points focaux, la mise en activité du four à gauche et l’assemblage de la statue à droite. L’ouvrier figuré au centre articule les deux motifs : tourné vers le four, dans la position de celui qui s’apprête à modeler/battre le métal comme sur une oenoché à figures noires (fig. 7)95, il signale l’ajustage à venir effectué avec le même type de marteau que sur lequel il s’appuie96. L’espace de l’assemblage, contrairement à l’espace autour du four qui est plus clos et délimité comme une aire sacrée, est signifié par un monticule probablement rocheux qui « soutient » le corps en devenir.

45S’il est difficile de définir la nature des pieds (ou du pied et de la main) suspendus dans le champ97, leur présence renforce, avec la tête qui va être fixée à la statue en cours, l’aspect « pièces détachées » de la statue, ce que soulignent également les outils figurés dans le champ, marteaux et scies, utilisés pour le découpage et l’assemblage98. Les statues de bronze, comme en témoignent celles de Riace, étaient moulées en plusieurs parties séparées99. Certaines statues de marbre étaient de même faites de morceaux assemblés100. La petite excroissance sur le pied figuré de profil dans le champ pourrait d’ailleurs faire penser à un tenon qui viendrait s’encastrer dans une mortaise creusée dans la cheville. Le four de gauche, qui n’est absolument pas adapté à la fusion de grandes quantités de métal101, convient bien mieux à la fusion des petites quantités nécessaires à la jointure des diverses pièces102 ou éventuellement au moulage des parties de petite taille. Dans la statuaire de marbre, ce sont souvent les avant-bras détachés du corps et la tête qui sont sculptés séparément et assemblés par tenons et mortaises avec du plomb fondu. Toute l’habileté des artisans, aussi bien dans les statues de marbre que dans celles de bronze, était requise dans la délicate mission d’effacer ces traces de joints, comme ceux qui sont visibles encore sur le poignet et l’avant-bras de la statue en cours de fabrication sur la coupe de Berlin 103. Contrairement à la plupart des scènes autour d’une forge qui mettent l’accent sur le métal, manipulé avec des pinces, figurées parfois dans le champ, la transformation de la matière n’est pas soulignée sur la coupe de Berlin, car c’est moins la fabrication des pièces que leur assemblage qui intéresse le peintre104.

46Au revers, ce sont justement les dernières touches qui permettent l’effacement des traces du processus de fabrication qui sont montrées, en même temps qu’est évoquée la patine satinée des statues105, analogue aux corps oints des athlètes. La composition focalise notre regard sur la statue placée au centre de l’image, manipulée par les deux artisans et observée par deux hommes appuyés sur leur canne qui encadrent la scène. Ceux qui perçoivent la coupe de Berlin comme l’espace unifié d’un atelier du v106, s’interrogent sur l’identité de ces deux hommes, et interprètent leur taille, posture et attributs athlétiques comme une marque de hiérarchie sociale107 : ce seraient les propriétaires de l’atelier (peut-être des sculpteurs), voire des citoyens clients108. Mais si on prend en compte les diverses échelles, on peut aussi percevoir la scène comme une juxtapositions d’espaces : un espace « délimité » partiellement par la construction, où l’activité artisanale est mise en scène et un autre espace, non pas un lieu mais un espace signifiant qui est celui du « fonctionnement » de la statue, l’espace de sa vision par des spectateurs. Le corps de la statue du guerrier est admiré comme le corps des jeunes athlètes, car les « spectateurs » ici font directement référence aux scènes de palestre ou de concours athlétique, autant par leur posture que par les strigiles et aryballes figurés dans le champ. La taille du racloir (et du marteau) figurés aussi dans le champ est comparable à celle des strigiles (alors que les artisans sont plus petits), pour souligner encore l’analogie du corps de la statue et du corps des athlètes. Et les inscriptions laudatives109 qui interpellent le spectateur du vase renforcent encore cet aspect. C’est l’œuvre qui est admirée, elle « dépasse » en quelque sorte ces auteurs110, presque de manière littérale ici par l’effet d’échelle, sans que l’on puisse déceler une trace d’une éventuelle infériorité des artisans. Sur la coupe de Berlin, les spectateurs relaient le regard du spectateur de statues anciennes, mais aussi celui de l’usager du vase.

47Sans reprendre ici le vaste dossier des « spectateurs » ou « bystanders »111, il semble nécessaire d’évoquer comme on vient de le faire les images où ces personnages regardent les jeunes athlètes, mais aussi d’autres scènes qui sont proches de la coupe de Berlin par leur sujet, à savoir les scènes de travail artisanal. En effet, si sur les médaillons de coupes à figures rouges déjà mentionnés, les artisans sont « isolés » dans leur travail, plusieurs vases à figures noires contemporains des premières figures rouges, des amphores ou des pélikés, montrent d’autres personnages dans les ateliers, généralement interprétés comme des clients. Sur l’amphore du peintre de Plousios qui présente respectivement une forge et une cordonnerie (fig. 1)112, ces clients-spectateurs sont au nombre de trois : un vieillard qui tend le bras vers le cordonnier, relayé par le geste de la femme qui se fait fabriquer des chaussures et deux hommes barbus qui regardent les forgerons, dont l’un tend le bras de la même manière que le vieillard. Le peintre a disposé les deux hommes en léger décalage ce qui donne un effet de gradins à leur position113. Dans la scène de cordonnerie figurée sur une péliké du peintre d’Eucharidès (fig. 2)114, dont la composition est proche de celle du peintre de Plousios, un client-spectateur assiste debout au travail du cordonnier, alors que le jeune homme qui se fait fabriquer des chaussures tend le bras comme dans les scènes précédentes. Plusieurs scènes d’activités artisanales ou commerciales apparaissent sur des pélikés à figures noires. Dans un article consacré à ce type de vase115, Shapiro rapproche ces scènes desagones musicaux qui y sont également largement représentés, et qu’il met en relation avec les Panathénées116. Les musiciens seraient ainsi « des artisans talentueux, admirés pour leur habileté ». Au niveau de la composition, les auditeurs des concerts, qu’ils soient assis ou debout, sont analogues aux spectateurs-clients des activités artisanales. D’ailleurs pour G. Zimmer, le spectacle d’une activité artisanale était considéré comme aussi respectable que le spectacle d’unagôn musical117. Ce regard n’est pas qu’admiration, car si le plaisir de la vision ou l’érotique du regard sont destopoi de la pensée grecque, la vision est aussi liée à l’acte de juger, d’évaluer : être vu, c’est être évalué118. Au théâtre, à l’Assemblée, dans les tribunaux et ailleurs, le citoyen regarde et juge en même temps119. De son côté, R. Neer 120 ancre latechnê dans le contexte de rivalité et compétition entre les artisans, cadre qui peut parfaitement se superposer au type de regard que l’on vient de préciser.

48Sur une autre coupe du peintre de la Fonderie (fig. 8)121, cette articulation entre l’activité poïétique, la perception du produit terminé et son « évaluation » est très clairement exprimée. Sur l’une des faces, on y voit un homme vêtu d’un pagne qui tient un burin et un marteau. Il s’agit donc d’un artisan, ce qui permet d’interpréter le cheval qui l’accompagne comme une statue. Il faut noter également le geste ample d’Athéna, qu’on peut interpréter comme une sorte d’approbation de l’œuvre122. C’est peut-être en ce sens aussi que l’on peut comprendre les gestes des clients-spectateurs mentionnés plus haut : leur regard s’accompagne de l’évaluation et de l’approbation du travail effectué.

49L’artisan avec le cheval se présente devant un homme assis près d’un arbre, vêtu d’un long chiton et d’un himation, tenant une canne. La scène est construite comme une scène de dokimasie (fig. 9)123, évocation renforcée ici par l’absence de socle qui identifierait clairement le cheval comme une statue. La représentation de l’examen du cheval « vivant » se superpose ainsi à l’examen de la représentation d’une « statue » de cheval. La dokimasie de la coupe de Munich possède alors un degré de fiction supérieur par rapport à la simple représentation peinte d’une dokimasie, mais toutes deux thématisent l’articulation entre regard et évaluation.

50Revenons à la coupe de Berlin. Au médaillon, si l’image mythologique est plus banale puisqu’elle fait partie d’une petite série cohérente dans le sujet et la chronologie, la mise en scène souligne la panoplie d’Achille, toute entière (cnémides, lance, casque et bouclier) disposée au centre supérieur du médaillon. Les armes disent le Péléide et participent à l’évocation du corps, non figuré, du héros à la gloire éternelle. Chaque face de cette coupe présente donc une mise en scène de lapoiêsis du corps : le corps héroïque évoqué par les armes au médaillon, le corps façonné à l’avers et le corps objet mémoriel admiré et évalué au revers. À cette étude sur le façonnage des corps, se superpose la réflexion sur la représentation : l’image d’un athlète statufié124 et l’image d’une statue de guerrier témoignent ainsi de la fabrication d’images. Comme dans la description du bouclier d’Achille dans l’Iliade, où le poète souligne l’aspect artificiel de la représentation figurée tout en animant la scène de manière à lui donner un statut de « réalité » vivante125, le peintre souligne ici le caractère fictif126 de toute représentation : il abolit et simultanément met en scène le rapport aux divers référents, l’athlète, le guerrier, leurs statues, leurs figures peintes…127 Ces figures peintes qui évoquent la statuaire et ces statues (le guerrier de la coupe de Berlin ou le cheval de la coupe de Munich) présentées comme des figures « vivantes », mais que l’on sait être peintes128, ébranlent la perception de la scène : par cet effet de brouillage129 et de mise en abîme, le peintre attire notre attention sur son habileté et met en scène sa propretechnê 130.

51La composition de la coupe de la Fonderie peut se lire comme une mise en scène du façonnage des corps et leur perception dans divers espaces de visualisation, de manière à « confondre » les catégories du vivant, du fabriqué et du figuré, comme sur une autre coupe du même peintre conservée à Munich. Contrairement à une perception souvent trop réaliste de la coupe de Berlin, celle-ci ne présente pas simplement l’espace d’un atelier, mais des « lieux » pertinents : celui de la fabrication des corps (et moins l’espace de fabrication qu’un lieu où se « joue » le faire image/représenter) et celui de la perception de cette image, l’espace des spectateurs (spectateurs de statues, de corps athlétiques, spectateurs de la représentation peinte sur la coupe, etc.). Ainsi les diverses échelles utilisées dans la composition du revers de la coupe de Berlin ne sont pas des signes utilisés pour créer quelque chose de l’ordre de la perspective ni pour témoigner d’une hiérarchie sociale mais permettent d’évoquer plusieurs espaces à l’intérieur d’un même champ pictural : celui de la statue avec les artisans qui la polissent, mais aussi, dans un champ pictural plus large, l’espace où des spectateurs regardent la statue. Pour en souligner la proximité, les racloirs des artisans dans le champ adoptent la taille des strigiles : on est dans les deux espaces, en même temps. Sur la coupe de la Fonderie, comme sur la coupe de Munich du même peintre, le figuré par la peinture est donc travaillé à travers des représentations de statues mises en scène de manière à faire affleurer un discours sur le fait de représenter.

52Les images sont fréquemment appréhendées dans une perspective illustrative, et la coupe de la Fonderie, en particulier, a souvent été utilisée comme un témoignage sur la réalité d’un atelier de bronziers au Ve siècle. Les deux interprétations proposées ici suggèrent une pratique de l’image qui souligne l’activité du regard et de l’esprit du spectateur antique. La première analyse interroge ainsi les indices offerts à l’exercice de la glose qui pourraient suggérer une évocation de la dimension magico-religieuse de l’activité artisanale dans un contexte politique précis. La seconde proposition porte sur le « discours » du peintre sur sa propretechnê, élaboré à travers la fabrique des images et leur perception, dans le cadre d’une culture agonistique où s’exercent les pratiques de regard des spectateurs anciens. Ces analyses permettent de souligner le fonctionnement des images que le peintre offre à l’évaluation des citoyens dans l’espace de la cité.

Figure 1a - Amphore à figures noires attribuée au peintre de
            Plousios, Boston 08.8035
Figure 1. Figure 1a - Amphore à figures noires attribuée au peintre de Plousios, Boston 08.8035
Figure 1b - Amphore à figures noires attribuée au peintre de
            Plousios, Boston 08.8035
Figure 2. Figure 1b - Amphore à figures noires attribuée au peintre de Plousios, Boston 08.8035
Figure 2 - Péliké du peintre d’Eucharidès, Oxford 563
Figure 3. Figure 2 - Péliké du peintre d’Eucharidès, Oxford 563
Figure 3 - Médaillon de coupe du peintre d’Euaichme, Londres
            E 86
Figure 4. Figure 3 - Médaillon de coupe du peintre d’Euaichme, Londres E 86
Figure 4a - Coupe du peintre de la Fonderie, Berlin
            F2294
Figure 5. Figure 4a - Coupe du peintre de la Fonderie, Berlin F2294
Figure 4b - Coupe du peintre de la Fonderie, Berlin
            F2294
Figure 6. Figure 4b - Coupe du peintre de la Fonderie, Berlin F2294
Figure 4c - Coupe du peintre de la Fonderie, Berlin
            F2294
Figure 7. Figure 4c - Coupe du peintre de la Fonderie, Berlin F2294
Figure 5 - Médaillon de coupe du peintre d’Antiphon, Boston
            01.8073
Figure 8. Figure 5 - Médaillon de coupe du peintre d’Antiphon, Boston 01.8073
Figure 6 - Coupe du peintre d’Euergides, Acropole 166
Figure 9. Figure 6 - Coupe du peintre d’Euergides, Acropole 166
Figure 7 - Oenochoé attribuée à la Keyside Class, Londres
            1846.6-29.45
Figure 10. Figure 7 - Oenochoé attribuée à la Keyside Class, Londres 1846.6-29.45
Figure 8 - Coupe du peintre de la Fonderie, Munich
            2650
Figure 11. Figure 8 - Coupe du peintre de la Fonderie, Munich 2650
Figure 9 - Coupe du peintre de la Dokimasie, Berlin F
            2296
Figure 12. Figure 9 - Coupe du peintre de la Dokimasie, Berlin F 2296
Notes
1.

Par exemple, C. C. Mattusch, « The Berlin Foundry Cup : The Casting of Greek Bronze Statuary in the Early Fifth Century B. C. »,American Journal of Archaeology 84, 1980, pp. 435sqq.

2.

Entre autres, N. Himmelmann,Realistischen Themen in der griechischen Kunst des archaischen und klassischen Zeit, Berlin-New York, 1994, pp. 6-7sqq. et le chapitre « Banausoi ». Pour Ph. Jockey (« L’artisan, l’objet et la société : à propos d’un éventuel “blocage” des techniques dans l’antiquité : le contre exemple de la sculpture »,Le travail et la pensée technique dans l’Antiquité classique, Technologies/Idéologies/Pratiques, Revue d’Anthropologie des Connaissances, XV, 1, A. Balansard [éd.], Ramonville, 2003, pp. 70sqq.), les images vasculaires montreraient une vision dégradante des artisans (marqués comme assis, courbés, petits, esclaves, exécutants,…) même s’il reconnaît que certains indices témoigneraient d’une vision qui ne « peut être réduite à la seule dévalorisation du travail ».

3.

Comme le dit A. Stewart,Art, desire, and the body in ancient Greece, Cambridge, 1997, p. 57 : « la poterie peinte subvertit obstinément toute illusion de vraisemblance, depuis le début ».

4.

Pour des analyses qui réfutent l’approche « photographique », voir J. Bazant,Studies on the Use and Decoration of Athenian Vases, Prague, 1981 ; F. Lissarrague, A. Schnapp, « Imagerie des Grecs ou Grèce des imagiers »,Le temps de la réflexion 2, 1981, pp. 275sqq. ; P. Schmitt Pantel et F. Thelamon, « Image et histoire. Illustration ou document »,Image et Céramique Grecque, F. Lissarrague et F. Thelamon (éds.), Rouen, 1983, pp. 9sqq., pp. 12-13 ; R. Osborne, « Introduction »,Art and Text in Ancient Greek Culture, S. Goldhill et R. Osborne (eds.), Cambridge, 1994, pp. 1sqq.

5.

Pour une vue générale sur le statut des artisans, voir A. Burford,Craftsmen in Greek and Roman Society, Londres, 1972 ; R. J. Hopper,Trade and Industry in Classical Greece, Londres, 1979, p. 126sqq. ; H. Philipp, « Handwerker und bildende Künstler in der griechischen Gesellschaft », Polyklet. Der Bildhauer der griechischen Plastik, H. Beck, P. C. Bol, M. Bückling (eds.), Franckfort, 1990, pp. 79sqq. et pp. 512sqq. ; P. Vidal-Naquet, « Étude d’une ambiguïté. Les artisans dans la cité platonicienne »,Le chasseur noir, Paris, 1983, pp. 289sqq.

6.

On trouvera chez J. Ziomecki,Les représentations d’artisans sur les vases attiques, Wroclaw, 1975, pp. 70-73, les arguments, basés sur l’imagerie attique, qui montrent que ni le vêtement, ni le bonnet, ni la pose ne sont des signes distinctifs d’un statut, et encore moins dévalorisant. M. Vidale,L’idea di un lavoro lieve : il lavoro artigianale nelle immagini della ceramica greca tra vi e iv secolo a. C., Padoue, 2002, p. 218 n. 32, réfute également ces interprétations qui se basent sur les traits supposés grotesques, les postures ou les vêtements.

7.

LaRue Van Hook, « Was Athens in the Age of Pericles Aristocratic ? »,The Classical Journal 14, 1919, pp. 480sqq., s’insurge ainsi contre l’utilisation des écrits philosophiques du iv e qui ne reflèteraient pas la vision athénienne mais un idéal philosophique ; M. Balme, « Attitudes to Work and Leisure in Ancient Greece »,Greece & Rome 31, 1984, pp. 150sqq., montre que l’attitude dépréciative se limitait à une poignée d’intellectuels prééminents dans notre littérature. Pour Ph. Jockey, art. cit. n. 2, lapoiêsis ne serait condamnée qu’à la fin du v e siècle, par certains penseurs dont on ignore d’ailleurs la portée sociale.

8.

Op. cit. n. 6. Voir aussi G. Zimmer,Antike Werkstattbilder, Berlin, 1982 et M. Pugliara, « Alcune riflessioni sull’iconografia degli artigiani mortali e divini nella ceramica attica di vi e v secolo a. C »,Iconographia 2001,Studi sull’immagine, Atti del Convegno (Padova, 30 maggio - 1 giugno 2001), I. Favaretto, F. Gedhini (éds.), Padoue 2002, pp. 135-150.

9.

Amphore à figures noires attribuée au peintre de Plousios (von Bothmer), Boston 08.8035,CVA 1 pl. 37 et péliké du peintre d’Eucharidès, Oxford 563,ABV 396/21. À noter que les spectateurs représentés au revers de l’amphore, dans la forge (fig. 1a), sont également couronnés.

10.

Médaillon de coupe du peintre d’Euaichme, Londres E 86,ARV 2 786/4.

11.

J. Ziomecki,op. cit. n. 6, pp. 35, 113, 116 et 123 ; P. Schmitt Pantel et F. Thelamon, art. cit. n. 4, pp. 9sqq. et pp. 12-13 ; M. Vidale,op. cit. n. 6, pp. 135sqq.

12.
Coupe du peintre de la Fonderie, Berlin F2294,ARV 2 400/1. On trouvera une bibliographie détaillée chez M. Vidale,op. cit. n. 6, pp. 211-212, n. 4. Un long chapitre est consacré à cette coupe, avec des discussions des diverses interprétations.
13.

Il est toujours difficile de déterminer le contexte d’utilisation des vases. Pour les coupes, l’usage est potentiellement sympotique, même dans le cas d’une offrande funéraire ou votive. On peut signaler cette coupe à figures noires (New York 44.11.1) décorée d’une imagerie guerrière mais dont l’inscription incisée témoigne qu’elle a été le prix pour un concours de cardage de laine : M. J. Milne, « A prize for wollworking »,American Journal of Archaeology 49, 1945, pp. 528-533, qui cite également un canthare béotien offert par son mari à une femme, et S. Lewis, « Slaves as viewers and users of Athenian pottery »,Hephaistos 16/17, 1998-1999, p. 71.

14.

Plusieurs termes grecs désignent ce que nous appelons « statue » : utiliser ce dernier sans la nécessaire distance revient à projeter notre réalité sur celle des Grecs. Sur ce point, voir É. Benveniste, « Le sens du motkolossos et les noms grecs de la statue »,Revue de philologie 6, 1932, pp. 119sqq. ; G. Nick, « Die Athena Parthenos : Studien zum griechischen Kultbild und seiner Rezeption »,Mitteillungen des Deutschen Archäologischen Institut, Athenische Abteilung, Beiheft 19, pp. 11sqq. ; A. A. Donohue,Greek Sculpture and the problem of Description, Cambridge, 2006 ; I. Manfrini, « Sculpture antique, entre refus et nécessité de la couleur », à paraître dans M. Carastro (éd.),L’Antiquité en couleurs.

15.

M. Vidale,op. cit. n. 6, p. 234, rejoint la plupart des commentateurs qui identifient ce portique comme un échafaudage en bois pour le transport ou pour les travaux de finition.

16.

Pour un état des lieux récent sur la question, accompagné d’une bibliographie exhaustive,cf. M. Vidale,op. cit. n. 6, qui propose une interprétation portant sur la promotion du statut des artisans.

17.

C. C. Mattusch, art. cit. n. 1, pp. 435sqq.

18.

Cf. M. Vidale,op. cit. n. 6, p. 227.

19.

Pour le dossier bibliographique concernant ce vase,cf. M. Vidaleop. cit. n. 6, pp. 211sqq.

20.

H. A. Thompson, « A Note on the Berlin Foundry Cup »,Essays in Memory of Karl Lehmann (Marsyas Sup. I), New York, 1964, pp. 323sqq.

21.

Pour la traduction du texte,cf. G. M. A. Richter,The Craft of Athenian Pottery, New Haven, p. 96.

22.

M. Vidale,op. cit. n. 6, pp. 224sqq., p. 227.

23.

Id., p. 35.

24.

Id., pp. 307sqq. et p. 309 ; M. Pugliara, art. cit. n. 8.

25.

M. Vidale,op. cit. n. 6, pp. 233sqq.

26.

Pour la proposition de reconnaître dans cette scie une allusion à l’utilisation de modèles en bois,cf. K. R. Cavalier, « An old saw »,From the Parts to the Whole, vol. 1, Acta of the 13th International Bronze Congress held at Cambridge (Ma), May 28 - June 1, 1996,Journal of Roman Archaeology, Suppl. 39, 2000, pp. 75sqq.

27.

C. C. Mattusch,The art and craft of Greek and Roman Statuary, Ithaca-Londres, 1996, p. 18 ; M. Vidale,op. cit. n. 6, pp. 220sqq.

28.

Cf. J. Ziomecki,op. cit. n. 6, pp. 80sqq., pp. 135sqq. ; C. Masseria, « L’aristeia del banausos : l’athlon di uno scudo per Atena »,Ostraka IX, 1, 2000, pp. 65sqq.

29.

Quelques exemples cités par M. Vidale,op. cit. n. 6, p. 190, fig. 29 : armurier intervenant avec une scie sur une cnémide terminée ; p. 201, fig. 35, couteau pourvu d’un manche alors que la lame est en cours de fabrication ; p. 209, fig. 37 a. b. : présence incongrue d’un vilebrequin et de son archet. Contrairement à l’imagerie vasculaire, despinakes votifs, des vii e et vi e siècles, trouvés à Penteskouphia, dans la région de Corinthe, représentent avec beaucoup de réalisme le travail des potiers,cf. G. Zimmer,op. cit. n. 8 et M. Vidale,op. cit. n. 6, pp. 237sqq.

30.

Id., pp. 307sqq., p. 310.

31.

Id., pp. 217sqq.

32.

J. Neils, « Who is who on the Berlin Foundry Cup »,From the Parts to the Whole, op. cit. n. 26, pp. 75sqq.

33.

K. Friis Johansen,The Iliad in early Greek Art, Copenhague, 1967, pp. 178sqq., cité par J. Neils, art. cit. n. 32, p. 75, n. 1.

34.

J-. P. Vernant, « Travail et nature dans la Grèce ancienne »,Mythe et pensée chez les Grecs, Paris, 1971, pp. 16sqq., p. 23 et « Remarques sur les formes et les limites de la pensée technique chez les Grecs »,id., pp. 44sqq., p. 45, p. 61.

35.

Contre cette interprétation laïcisante, voir l’article de J. Svenbro dans ce recueil ; L. Fiorini, « Per fondere i metalli. Su alcune rappresentazioni vascolari attiche con scene di officina »,Iconografia 2001,op. cit. n. 8., pp. 151sqq. Pour la remise en cause du témoignage des philosophes, voir aussisupra n. 7.

36.

F. Lissarrague,Un flot d’images. Une esthétique du banquet grec, Paris, 1987 ; D. Martens,Une esthétique de la transgression. Le vase grec de la fin de l’époque géométrique au début de l’époque classique, Bruxelles, 1992, pp. 11sqq. ; Vidale,op. cit. n. 6, pp. 107sqq., pp. 125sqq. ; R. T. Neer,Style and Politics in Athenian Vase-Painting. The Craft of Democracy, ca. 530-460 B. C. E., Cambridge, 2002, pp. 9sqq.

37.

Pour les inscriptions en général,cf. T. B. L. Webster,Potter and Patron in Classical Athens, Londres, 1972, pour Diogenes en particulier, pp. 66-67.

38.

R. Buxton,La Grèce de l’imaginaire. Les contextes de la mythologie, Paris (trad. fr.), 1996, p. 57, cite Hésiode,Travaux, 493sqq., où la forge apparaît comme le lieu où l’on se retrouve, en hiver, pour parler.

39.

J. Svenbro,Phrasikleia, anthropologie de la lecture en Grèce ancienne, Paris, 1988, pp. 13sqq. ; dans Euripide,Ion, 187-218, le chœur s’exerce à reconnaître les figures du fronton du temple d’Apollon à Delphes.

40.

J. D. Beazley, « Un Realista Greco »,Adunanze Straordinarie per il Conferimento dei Premi della Fondazione A. Feltrinelli, I. 3, Accademia Nazionale dei Lincei, Rome, pp. 53sqq. (réédité dansGreek vases : lectures by J. D. Beazley, D. C. Kurtz. (ed.), Oxford, 1989).

41.

J. Neil, art. cit. n. 32, attribue un nez camus au polisseur accroupi de la face B, mais ce détail ne résulte pas de l’évidence incontestable.

42.

Retour d’Héphaïstos assis frontalement sur une mule : vêtu, cratère, Louvre G. 162,ARV 2 186/47,LIMC s. v. Hephaistos n° 117 ; nu, cratère, Univ. of Mississippi 1977.3.89,ARV 2 597,LIMC n° 149. Personnage nu près du four : coupe, Acropole 166,ARV 2 92/64 (M. Vidale,op. cit. n. 6, p. 179, fig. 23) ; Héphaïstos nu : cratère, Caltanisseta 20371,Para. 354/39b,LIMC n° 15.

43.

Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, s. v. Fascinus, col. 986. L. Bonfante, « Nudity as a Costume in Classical Art »,American Journal of Archaeology 93, 1989, pp. 543sqq.

44.

Sur l’infibulation comme manière de contrôler les effets d’une visualisation excessive de la nudité, voir R. Osborne, « Men Without Clothes. Heroic Nakedness and Greek Art »,Gender and History 9/3, 1997, pp. 504sqq. ; pour l’exhibition non contrôlée des organes génitaux, voir K. J. Dover,Homosexualité grecque, Grenoble, 1982, pp. 154sqq. Voir aussi, la manière de représenter le sexe des artisans sur les tablettes de Penteskouphia,cf. G. Zimmer, art. cit. n. 8, figg. 12, 14. Pour les représentations de potiers,cf. M. Vidale,op. cit. n. 6, pp. 327sqq.

45.

M. Delcourt,Héphaistos ou la légende du magicien, Paris, 1982, p. 114.

46.

Sur Héphaïstos et le rire, voir C. Collobert, « Héphaïstos, l’artisan du rire inextinguible des dieux »,Le rire des Grecs, Anthropologie du rire en Grèce ancienne, M.-L. Desclos (éd.), Grenoble, 2000, pp. 133sqq.

47.

Aux cornes de chèvre ornées de guirlandes, sont accrochées despinakes représentant, de gauche à droite, une figure féminine debout et portant deux objets, puis, après les deux têtes, un personnage masculin courant avec un marteau dans la main. À la rangée inférieure, la plaquette de gauche représente une chèvre courant et, enfin, un personnage masculin assis. Qui, selon M. Vidale (op. cit. n. 6, p. 226), pourraient évoquer à la fois un satyre marteleur dans les scènes d’anodoi et des figures appartenant au monde dionysiaque.

48.

G. Zimmer, art. cit. n. 8, fig. 14.

49.

LIMC s. v. Hermes (G. Siebert), pp. 300sqq., figg. 92, 95b, 95c, 97a, 97b, p. 208, figg. 102bis, 106a, 107, 111 ; D. Jaillard, « Le pilier hermaïque dans l’espace sacrificiel »,Mélanges de l’École Francaise de Rome 113, 2001, pp. 341sqq. Sur ces plaquettes, le motif du satyre dansant est fréquent.

50.

Sur la présence des hermes dans les images représentant des activités artisanales, voir M. Eisman, L. Turnbull, « Robinson’s Kiln Skyphos »,American Journal of Archaeology 82, l978, pp. 394sqq., p. 398. Outre le skyphos Robinson, sur lequel figure l’atelier de potiers où se trouvent deux hermes, les auteurs mentionnent une hydrie à figures noires, conservée à Munich, montrant un autre atelier de potier où le four est un herme dionysiaque. Mais ces deux exemples datent de la fin du vi e siècle av. J.-C.

51.

Real Encyclopädie,s. v. Phallos (H. Herter), col. 1691.

52.

M. Delcourt,op. cit. n. 45, p. 57, p. 152. ;Real Encyclopädie,s. v. Phallos (H. Herter), col 1698.

53.

Sur le soufflet vivant, voir M. Delcourt,op. cit. n. 45, pp. 53, 55. F. Frontisi-Ducroux, « Avec son diaphragme visionnaire : ἰδυίῃσι πραπίδεσσιν,Iliade XVIII, 481. À propos du bouclier d’Achille »,Revue des Études Grecques 115, 2002, pp. 463sqq., pp. 474sqq.

54.

Oenochoé attribuée à la Keyside Class, Londres B 507 (Londres 1846.6-29.45),ABV 426/9, M. Vidale,op. cit. n. 6, p. 181, fig. 24.

55.

Pour d’autres images montrant l’animation des outils dans la forge,cf. M. Vidale,op. cit. n. 6, figg. 22a, 22b, 24, 25, 27, 33a.

56.

Stamnos à figures rouges, Munich 2413, 460 av. J.-C.,ARV 2 495/1 ; LIMC,s. v. Hephaistos, n. 217. Amphore campanienne à figures rouges, British Museum F147, fin v e av. J.-C., LIMC,s. v. Hephaistos, n. 225.

57.

Sur l’efficacité des maladresses du peintre de la Fonderie,cf. W. van Ingen, « The Kylix by the Foundry Painter in the Fogg Museum »,Harvard Studies in Classical Philology, 46, 1935, pp. 155sqq.

58.

M. Delcourt,op. cit. n. 45, pp. 110sqq.

59.

M. Detienne, J. -P. Vernant,Les ruses de l’intelligence, la mètis des Grecs, Paris, 1974, pp. 253, 255.

60.

Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, s. v. Dactyli (L. de Ronchaud) ; J. Overbeck,Die antiken Schriftquellen zur geschichtender Bildenden Künsten bei den Griechen, Hildesheim, 1959, pp. 6-7 ; F. Frontisi-Ducroux,Dédale, mythologie de l’artisan en Grèce ancienne, Paris, 1975, pp. 58, 149 ; U. von Wilamowitz-Moellendorf,Der Glaube der Hellenen, 7e éd., Darmstadt, 1994, p. 274 ; L. Brisson, « Artisan »,Dictionnaire des mythologies, Y. Bonnefoy (dir.), Paris, 1981, p. 84a.

61.

Real Encyclopädie, s. v. Telchinen (H. Herter), col. 203, 204.Id., s. v. Telchinia, col. 224. Overbeck,op. cit. n. 60, p. 7sqq. ; Detienne et Vernant,op. cit. n. 59, pp. 242sqq., pp. 252sqq. ; von Wilamowitz,op. cit. n. 60, p. 274 ; Brisson,op. cit. n. 60, p. 85a.

62.

M. Pipili, « Wearing an Other Hat : Workmen in Town and Country »,Not The Classical Ideal : Athens and the Construction of the Other in Greek Art, B. Cohen (ed.), Leiden-Boston-Cologne, 2000, pp. 153sqq.

63.

LIMC s. v. Kedalion (R. Vollkommer).

64.

Sur la relation entre l’oralité, la mémoire et l’image dans le contexte amérindien du xix e siècle, voir l’étude de C. Severi,Il percorso e la voce. Un’antropologia della memoria, Einaudi, 2004.

65.

F. Frontisi-Ducroux, art. cit. n. 53.

66.

M. Delcourt,op. cit. n. 45, p. 110 ; M. Detienne et J.-P. Vernant,op. cit. n. 59, pp. 255sqq. ; L. Brisson, art. cit. n. 60, p. 84a ;LIMC s. v. Hephaistos (A. Jacquemin), p. 628.

67.

R. Neer,op. cit. n. 36.

68.

M. Delcourt,op. cit. n. 45, p. 48, voit dans l’aigle et le serpent un signe apotropaïque.

69.

J. Neils, art. cit. n. 32, p. 75 ; M. Vidale,op. cit. n. 6, p. 317, note 17.

70.

LIMC s. v. Athena (P. Demargne), nos 40, 48, 480.

71.

Sur un certain nombre de vases à figures noires du vi e siècle, des scènes représentent Thétis armant Achille, lance comprise. Dans ce cas, ces images sont interprétées comme l’armement du héros avant le départ pour Troie, voir K. Friis Johansen,op. cit. n. 34, pp. 93sqq. Pour l’épisode de Thétis et d’Athéna chez Héphaïstos, voirid., pp. 178sqq. ;LIMC s. v. Hephaistos (A. Jacquemin), nos 1-5 ; la péliké est illustrée dans Vidale,op. cit. n. 6, p. 193.

72.

D. T. Steiner,Images in Mind. Statues in Archaic and Classical Greek Literature and Thought, Princeton, 2003, pp. 20-23, 188-189, 194-198, 206-207. Nous ne revenons pas ici sur les propositions d’identifications formelles et/ou iconographiques proposées pour cette figure ; M. Vidale,op. cit. n. 6, fait le point sur ce sujet, pp. 235sqq.

73.

Id., pp. 228sqq., fait le point sur les interprétations proposées jusqu’ici.

74.

Id., p. 230.

75.

N. Loraux,Les enfants d’Athéna. Idées athéniennes sur la citoyenneté et la division des sexes, Paris, 1981, pp. 35sqq., figg. 4-10. S. Darthou, N. Strawczynski, « Naissance, reconnaissance, légitimation : les gestes de filiation dans la céramique attique »,L’expression des corps. Gestes, attitudes, regards dans l’iconographie antique, L. Bodiou, D. Frère, V. Mehl (éds.), Rennes, 2006, pp. 49sqq., p. 54sqq.

76.

A. H. Shapiro, « Autochtony and the Visual Arts in Fifth-Century Athens »,Democracy, Empire and the Arts in fifth century Athens, D. Dickmann Boedeker, A. Kurt Raaflaub (eds.), Cambridge, 1998, pp. 127sqq.

77.

L. Fiorini, art. cit. n. 35, p. 158.

78.

Pour le lien entre l’autochthonie et les satyres,cf. C. Bérard,Anodoi. Essai sur l’imagerie des passages chthoniens, Rome, 1974, pp. 41sqq., cf. aussi pp. 31sqq., pour Dionysos,cf. pp. 103sqq.

79.

Cf. supra note 47.

80.

L. Fiorini,art. cit n. 35, pp. 152sqq.

81.

N. Loraux, « Origines des hommes »,Dictionnaire des mythologies,op. cit. n. 60, p. 201 (repris dansNé de la terre. Mythe et politique à Athènes, Paris, 1996, p. 25). Diogenes est un nom qui apparaît sur d’autres vases, voir Webster,op. cit. n. 37.

82.

N. Loraux,op. cit n. 75, pp. 19sqq., p. 20 ; J.-P. Vernant, « Ambiguïté et renversement. Sur la structure énigmatique d’Œdipe-Roi », J.-P. Vernant, P. Vidal-Naquet,Mythe et tragédie en Grèce ancienne I, Paris, 1972, pp. 103-131.

83.

M. Detienne et J.-P. Vernant,op. cit. n. 59, pp. 288sqq. ; F. Lissarrague,op. cit. n. 36 ; R. Neer,op. cit. n. 36 ; C. Darbo-Pechanski, « Plaisirs de l’énigme, plaisirs du savoir »,Mètis N. S. 1, 2003, pp. 35sqq. À titre de comparaison, pour les jeux d’images dans les manuscrits du Moyen Âge voir : M. Camille,Images dans les marges. Aux limites de l’art médiéval, Gallimard, 1997.

84.

On retrouve une composition analogue sur une pyxide vernie de noir (Petit Palais 382,ARV 2 81/1) : un jeune fabricant de casque y est représenté en figures rouges sur la surface circulaire du couvercle

85.

Remarquer le duvet sur les joues d’un fabricant de cnémides sur une coupe attribuée à Phintias, Florence PD 117,ARV 2 24.13.

86.

De même J. Ziomecki,op. cit. n. 6, pp. 135sqq. qui voit une valorisation de l’artisan, non seulement par l’érotisation du corps juvenile nu, mais aussi par les bandeaux et les couronnes qui ceignent leur tête. Les divinités qui assistent ces artisans témoigneraient d’une sorte d’héroïsation, à l’instar de Thésée ou Héraclès. Pour Ph. Jockey,op. cit. n. 2, p. 70, par contre, la nudité refléterait dans certains cas les conditions réelles du travail et participerait de la vision dégradante des corps. Plus loin l’auteur reconnaît cependant plusieurs indices de la valorisation des artisans, dont la nudité.

87.

Coupe du peintre d’Antiphon, Boston 01.8073,ARV 2 342/19. Pour J. Ziomecki,op. cit. n. 6, p. 132, cet artisan, potentiellement un homme libre, « rêve d’une vie cossue ». Ph. Jockey, art. cit. n. 2, p. 71, confond l’herminette à long manche du médaillon de Copenhague 967 (ARV 2 75/59), analogue à celle du médaillon de Londres E23 (ARV 2 179/1), avec une canne qui serait un « symbole aristocratique de la jeunesse dorée ».

88.

I. Scheibler, « Griechische Künstlervotive der archaischen Zeit »,MüJb 30, 1979, pp. 7-30 ; C. Wagner, « The Potters and Athena : Dedications on the Athenian Acropolis »,Periplous : Papers on Classical Art and Archaeology Presented to Sir John Boardman, G. R. Tsetskhladze, A. J. N. W. Prag, et A. M. Snodgrass (eds.), Londres, 2000, pp. 383-387. Plusieurs identifications d’artisans et notamment de potiers faites par A. E. Raubitschek,Dedications from the Athenian Akropolis,A Catalogue of the Inscriptions of the Sixth and Fifth centuries B. C., Cambridge (Mass.), 1949, ont cependant été mises en cause récemment par K. Keesling, « Patrons of Athenian votive monuments of the archaic and classical periods, three studies »,Hesperia 74, 2005, pp. 415sqq.

89.

Coupe du peintre d’Euergides, Acropole 166,ARV 2 92/64. J. D. Beazley,Potter and Painter in Ancient Athens (Londres, 1944), repris dansGreek Vases, Lectures, D. C. Kurtz (ed.), Oxford, 1989, p. 41, fait remarquer que la coupe décorée ici par le peintre est plutôt du type des « petits maîtres », donc un modèle ancien pour le peintre d’Euergides.

90.

Il s’agit bien entendu d’une Athéna qui est simultanément « vivante » et « statuesque ».Cf. N. Strawczynski, « Quel archaïsme ? À propos des représentations de statues sur la céramique attique »,Ktèma 31, 2006, p. 169.

91.

J. D. Beazley,op. cit. n. 89.

92.

On ne peut prétendre comme M. Pugliara, art. cit. n. 8, p. 139, qu’il s’agit d’un seul atelier qui serait représenté, comme si l’image s’ancrait obligatoirement dans un lieu déterminé.

93.

J. Muccigrosso, « Painters on Pots »,AIA 108th Annual Meeting Abstracts 30, 2006, pense que ce n’est pas une coupe en terre-cuite mais en métal qui est représentée : tout l’atelier serait donc consacré à ce matériau.

94.

Pour la perception ancienne de l’artisan comme « secondaire » par rapport à l’œuvre (et au matériau travaillé), voir en dernier J. Tanner,The invention of art history in Ancient Greece. Religion, society and artistic rationalisation, Cambridge, 2006, pp. 49sqq.

95.

Oenochoé attribuée à la Keyside Class,supra n. 54.

96.

S. Casson,The Technique of Early Greek Sculpture, Oxford, 1933, pp. 227-229, souligne que les marteaux sur la coupe de Berlin sont destinés à une battue légère, typique du travail du bronze contrairement à celui du fer.

97.

Sur leur identification comme modèles ou comme parties de statues de bois, de terre-cuite ou de bronze, voir M. Vidale,op. cit. n. 6, p. 227. G. Zimmer,op. cit. n. 8, p. 16, pense qu’il s’agit de modèles pour la fabrication en fonte à la cire perdue, permettant la reproduction répétée d’après un même modèle, procédé utilisé pour les bronzes de Riace.

98.

Pour J. Ziomecki,op. cit. n. 8, p. 84, cette scie rappelle celles servant à découper les planches. M. Vidale,op. cit. n. 6, p. 219, met la scie en relation avec le portique du revers. Il indique aussi que les marteaux figurés dans le champ, plus légers que ceux des forgerons, serviraient à des battues légères, comme l’insertion de tasseaux de réparation. Les outils représentés semblent donc davantage liés au travail du bois.

99.

Pour les bronzes de Riace, la tête, les bras (en deux parties), et diverses autres pièces (scrotum, sexe, parties antérieures des pieds et les orteils médians ont été fabriqués séparément du torse-jambes-pieds).

100.

Voir A. Hermary, « Les têtes rapportées dans la sculpture grecque archaïque »,Bulletin de Correspondance Hellénique 122, 1998, pp. 53sqq. ; A. Claridge, « The ancient techniques of making joins in marble statuary »,Marble Art. Historical and Scientific Perspectives on Ancient Sculpture, M. True et J. Podany (eds.), Malibu, 1990, pp. 135-162.

101.

Voir la remise en cause de certaines restitutions (et notamment de l’usage à cet effet qui est fait de la coupe de Berlin) par le fondeur Nigel Konstam, http://www.verrocchio.co.uk/greek_sculpture/ancient_bronze_tech.html. Konstam propose pour les grands bronzes des fours à cheminées contenant le moule, qui seraient adossés à une colline. La tête, le pénis et l’avant des pieds étant moulés séparément.

102.

Ce four est analogue à ceux représentés dans les scènes de forge.Cf. M. Vidale,op. cit. n. 6, pp. 220-221. G. Zimmer,op. cit. n. 8, p. 15, pense également à la préparation de métal pour la soudure.

103.

J. Ziomecki,op. cit. n. 8, p. 111 pour qui ces traits soulignent que la statue n’est pas encore finie.

104.

F. Frontisi-Ducroux,Dédale. Mythologie de l’artisan en Grèce ancienne, Paris 2000 (19751), p. 78, signale que dans son acception la plus étroite,daidalon dénote un travail de découpage, valeur à laquelle s’associerait immédiatement la notion opposée et complémentaire d’ajustage.

105.

M. Vidale,op. cit. n. 6, pp. 233-234 qui revient sur les diverses hypothèses propose également l’application d’une feuille d’or, d’une patine ou d’une protection. À noter la remarque de P. Ducati, cité par Vidale (p. 233), qui dit que les artisans lissent la statue et lui confèrent la « lucentezza brillante », la brillance satinée.Cf. aussi G. Zimmer,op. cit. n. 8, p. 11.

106.

Cette opinion est largement répandue. Voir en dernier lieu, M. Vidale,op. cit. n. 6, pp. 216-217.

107.

M. Vidale,op. cit. n. 6, p. 236, conclut ainsi l’interprétation de la coupe : le revers montrerait la réalisation finale d’une œuvre de prestige dans un contexte d’interaction sociale entre artisans et citoyens aisés. On distinguerait ainsi une nette hiérarchisation des rôles et des statuts.

108.

M. Vidale,op. cit. n. 6, p. 231, qui recense les diverses interprétations, propose d’y voir des membres de l’aristocratie athénienne peut-être liés à la commande ou des surintendants. G. Zimmer,op. cit. n. 8, p. 12, propose d’y voir des citoyens, allant ou venant de la palestre, qui visitent le quartier des artisans pour discuter de problèmes d’art et de technique.

109.

Ho pais kalos au médaillon,Diogenes kalos naichi sur la première face etHo pais kalos naichi au revers. Le termenaichi (certes), renforce encore le caractère admiratif.

110.

Cf. ci-dessus n. 94.

111.

Sur le motif des spectateurs dans la céramique attique, voir en dernier lieu, M. Stansbury-O’Donnell,Vase-Painting, Gender, and Social Identity in Archaic Athens, Cambridge, 2006.

112.

Amphore à figures noires attribuée au peintre de Plousios,supra n. 9.

113.

G. Zimmer,op. cit. n. 8, p. 12, pense que ces spectateurs sont assis « pour mieux suivre l’événement ».

114.

Péliké du peintre d’Eucharidès,supra n. 9. Même pose (et couronne de feuillage) pour le spectateur d’une audition de citharède sur une autre péliké d’Eucharidès (Samothrace,ARV 2 232/1). Sur une autre péliké du même peintre (Gela 124b,CVA 4 pl. 8-9), le spectateur de la compétition musicale est assis. Il est ceint de feuillages, comme les musiciens.

115.

H. A. Shapiro, « Correlating Shape and Subject : The Case of the Archaic Pelike »,Athenian Potters and Painters : the Conference Proceedings, J. H. Oakleyet al. (eds), Oxford, 1997, pp. 63-70.

116.

Il est à noter que l’on doit au peintre d’Eucharidès des amphores panathénaïques et pseudo-panathénaïques dont une large part a été trouvée sur l’Acropole :cf. E. Langridge, « The Panathenaic Amphorae Attributed to the Eucharides Painter »,American Journal of Archaeology 96, 1992, p. 369.

117.

G. Zimmer, « Les ateliers de fabrication des grands bronzes »,L’artisanat métallurgique dans les sociétés anciennes en méditerranée occidentale : techniques, lieux et formes de production (Colloque, Ravello 04/05/2000), A. Lehoërff (éd.), coll. EFR 332, Rome, 2004, p. 350.

118.

S. Goldhill, « Placing theater in the history of vision »,Word and Image in Ancient Greece, N. K. Rutter, B. A. Sparkes (eds.), Edimbourg, 2000, pp. 169sqq. Dans le même ouvrage, J. Tanner, « Social structure, cultural rationalisation and aesthetic judgement in classical Greece », p. 196, n. 12, fait remarquer la convergence chez les écrivains grecs, entre juger des corps et juger des œuvres des artistes.

119.

A. M. Lanni, « Spectator sport or serious politics ? οἱ περιεστηκότες and the Athenian lawcourts »,Journal of Hellenic Studies 117, 1997, pp. 183-189, a montré que des spectateurs-auditeurs qui ne participaient pas directement aux séances de l’Assemblée ou aux procès, étaient aussi invoqués comme « juges » de ce qui est en jeu dans les débats.

120.

R. Neer,op. cit. n. 36.

121.

Coupe du peintre de la Fonderie, Munich 2650,ARV 2 400/2.

122.

Geste analogue de la déesse par exemple lors du vote pour l’attribution des armes d’Achille. Cf. A. Boegehold, « A Signifying Gesture : Euripides,Iphigeneia Taurica 965-966 »,American Journal of Archaeology 93, 1989, pp. 81-83. Sur une coupe à figures rouges (Villa Giulia 5993,ARV 2 625/102), un homme placé derrière un athlète vainqueur ceint de bandelettes tend son bras vers celui-ci, paume vers le bas comme dans l’amphore de Boston. Il tient de l’autre main une bandelette enroulée. Ce geste, lié à la victoire, pourrait témoigner de la maîtrise de l’artisan, de satechnê.Cf. M. Detienne, « Athena and the Mastery of the Horse »,History of Religions 11, 1971, p. 167, à propos du geste d’Athéna qui étend son bras au dessus du four dans le fameux poème des potiers.

123.

Par exemple la coupe du peintre de la Dokimasie, Berlin F 2296,ARV 2 412/1.

124.

Et non une statue d’athlète qui serait le modèle. D. T. Steiner, « Moving Images : Fifth-Century Victory Monuments and the Athlete’s Allure »,Classical Antiquity, 17, 1998, p. 131 revient sur cette formule et insiste sur le regard statufiant des spectateurs à la palestre. J. Ziomecki,op. cit. n. 8, p. 111, parle « d’adolescent statufié ».

125.

D. T. Steiner,op. cit. n. 72, pp. 20-23.

126.

Le terme « fiction » recouvre toutes sortes de fabrications. Comme le dit très justement M. Wood dans son prologue àLies and Fiction in the Ancient World, C. Gill et T. P. Wiseman (eds.), Exeter, 1993, p. xvi, « It is invention which knows it is invention ; or which knowsand says it is invention ; or which, whatever is knows and says,is known to be invention. ».

127.

On trouvera chez R. Neer,op. cit. n. 36, p. 78sqq. une conclusion qui va dans le même sens, malgré nos différences dans le commentaire de la représentation, notamment le caractère facétieux, ironique ou obscène de certains éléments. Je retiens de son analyse que cette coupe s’exprime d’une certaine manière sur la fabrication d’images, elle se présente comme un commentaire, dont la stratégie rhétorique serait de confondre la distinction entre l’objet et sa représentation.

128.

Voir Neer, p. 82sqq. et 120sqq. et N. Strawczynski, art. cit. n. 90.

129.

Comme le fait remarquer D. Arasse,On n’y voit rien. Descriptions, Paris 2003 (2000), p. 201, pour les Ménines : « En faisant glisser l’attention de l’objet représenté […] aux conditions de sa représentation, le dispositif de Velásquez a eu pour effet de rendre incertain l’objet même de sa représentation […] ».

130.

Voir sur ce sujet, l’excellent article de R. Neer « The Lion’s Eye : Imitation and Uncertainty in Attic Red-Figure »,Representations 51, 1995, pp. 118-153, et plus particulièrement pp. 125sqq.