Antoine Pietrobelli

Résumé

Le corpus de textesΠερὶ ἀφροδισίων, compilé par le médecin Oribase auIV e siècle de notre ère, n’a longtemps connu qu’un faible lectorat jusqu’à ce que paraissent dans les années 1980 deux ouvrages qui touchèrent un plus vaste public : lePorneia d’Aline Rousselle (1983) et l’Histoire de la sexualité de Michel Foucault (1984). Ces derniers écrits se situent au fondement des études anthropologiques sur la sexualité et le genre. Il m’a semblé intéressant de revenir sur le corpus oribasien, en le retraduisant, en le réinterprétant et en en retraçant l’histoire. LesCollections médicales, rédigées par Oribase à la demande de l’empereur Julien l’Apostat, s’érigent comme un dernier rempart pour défendre le mode de vie hérité de lapaideia grecque contre une morale chrétienne qui prône le renoncement à la chair. Comprendre Oribase, c’est aussi restituer une polémique des médecins et des philosophes grecs autour de la pratique du coït. Enfin, si ce petit corpus eut peu d’échos dans le monde chrétien, il faut signaler l’incroyable fortune qu’il connut dans le monde islamique, donnant naissance dès le IXe siècle à un véritable genre littéraireDe coitu.

1typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesanthropologie acteurs de savoirsexe et genreDans les années 1980 deux ouvrages ont frayé la voie aux études sur la sexualité et le genre : lePorneia d’Aline Rousselle 2 et surtout l’Histoire de la sexualité de Michel Foucault 3. Ces écrits avaient l’Antiquité pour champ, mais par leur approche anthropologique, ils ont créé des concepts opératoires qui ont depuis fait leur chemin dans lesgender studies. Rousselle et Foucault ont notamment exhumé pour le décortiquer un petit corpus de textes Peri aphrodisiôn 4 (Sur les plaisirs de l’amour), compilé par le médecin Oribase au IV e siècle de notre ère.

2pratiques savantespratique intellectuelleconstitution de corpus inscription des savoirslivrechapitreIl s’agit essentiellement de quatre chapitres portant chacun le même titre dePeri aphrodisiôn : l’un est tiré de Galien 5, le deuxième, plus long, est emprunté à Rufus d’Éphèse 6, et les deux derniers7 sont une compilation des informations contenues dans les deux précédents. Pourtant ces quelques fragments de littérature antique, loin de la poésie amoureuse et des épigrammes érotiques, offrent un discours qui questionne notre sensibilité contemporaine. Ils sont les rares témoignages d’un regard scientifique et médical sur la sexualité. Ils déroutent par leur propos distancé, fascinent par leur étrangeté, font parfois sourire par leur apparente absurdité.

3pratiques savantespratique rituelleascétisme typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesphilosophie construction des savoirstraditionreligionchristianismeÀ la lecture de ce corpus oribasien notamment, Foucault a forgé la notion de « scientia sexualis », mais il a surtout développé l’idée que le monde gréco-romain avait perçu l’activité sexuelle comme naturelle, telle une énergie à canaliser, tandis que le christianisme l’avait transformée en acte mauvais et répréhensible. Tout en se mettant lui-même en garde afin de ne pas minimiser les conduites ascétiques et abstinentes déjà érigées en modèles philosophiques à l’époque impériale, Foucault a mis au point un concept clef, en expliquant que les plaisirs sexuels ouaphrodisia n’avaient pas été envisagés par les médecins et les moralistes grecs dans leur aspect qualitatif, mais sur un plan quantitatif. En d’autres termes, leur discours sur la sexualité n’évoquait jamais la nature des actes ou des pratiques sexuelles, mais les abordait « en bloc » d’après des critères de fréquence ou d’intensité.

4Cette approche médicale de la sexualité, si elle est restée quasi-lettre morte dans la chrétienté médiévale, a exercé une grande séduction dans le monde islamique. Les chapitres d’Oribase sur lesaphrodisia firent autorité, dès leur traduction en arabe, au point qu’on les considéra comme des traités à part entière de Galien, de Rufus et d’Oribase, et qu’ils suscitèrent l’efflorescence d’un véritable genre littéraireDe coitu auquel s’essayèrent de grands noms tels qu’al-Jâḥiz, al-Kindî, Râzî, Avicenne ou encore Maïmonide. C’est dire l’incroyable fécondité de ce petit corpus. Modèles et autorités pour les Arabes, hapax pour les modernes, ces extraits forment une sorte de livre du commencement pour tout discours historique sur la sexualité.

Le travail du compilateur Oribase

5pratiques savantespratique lettréecompilationAfin de dévoiler peu à peu l’obscurité qui nimbe ces textes, il faut d’abord en faire l’histoire, comprendre dans quelles circonstances ils furent rédigés et retracer comment ils sont parvenus jusqu’à nous. Établir leur statut et leur identité, c’est d’abord lever une première ambiguïté : A-t-il véritablement existé dans l’Antiquité un genre Περὶ ἀφροδισίων à l’instar des genres Περὶ ψυχῆς (Sur l’âme), Περὶ φύσεως (Sur la nature) ou Περὶ τύχης (Sur le hasard) ?

6On a ainsi pu croire que Galien (129-ca 216), médecin de la cour impériale sous Marc Aurèle, Commode et Septime Sévère, avait rédigé un traitéSur les plaisirs de l’amour. L’édition de référence en vingt-et-un tomes du médecin de Pergame, publié par Karl Gottlieb Kühn au XIX e siècle à Leipzig, produit le texte grec et latin d’un bref opuscule intitulé Περὶ ἀφροδισίων, mis sous le nom de Galien 8. Ceux qui se sont intéressés de près à ce texte ont émis des doutes sur son authenticité : ils en ont fait un pseudo-Galien 9. Toutefois personne n’a fait le lien avec Oribase pour établir définitivement que ce pseudo-traité était en réalité le premier chapitre Περὶ ἀφροδισίων desCollections médicales oribasiennes (VI, 37). De leur côté, les lecteurs d’Oribase 10 ont bien perçu qu’il ne s’agissait nullement d’un texte continu, mais d’une succession d’extraits empruntées à différentes œuvres de Galien, une collection de citations, un florilège de fragments.

7acteurs de savoirprofessioncopisteSi l’on trouve encore aujourd’hui un Περὶ ἀφροδισίων dans les listes du corpus galénique, c’est parce que l’édition de Kühn reprend en grande partie celle effectuée deux siècles plus tôt par René Chartier, médecin royal sous Henri IV et Louis XIII. Chartier 11 publia ce texte inédit sur la foi d’un manuscrit qui se trouvait dans la Bibliothèque royale à Paris (aujourd’huiParisinus graecus 2240) et qui avait été copié un siècle plus tôt par Jacques Diassorinos, lorsque ce Grec de Rhodes travaillait comme copiste à la cour de Fontainebleau pour le compte de François Ier. Jacques Diassorinos est donc en quelque sorte à l’origine de cette méprise qui s’est perpétuée d’éditeur en éditeur. En extrayant un passage d’un manuscrit d’Oribase et en l’isolant pour le mettre sous le nom de Galien, il a fait accroire à la postérité que Galien avait bien écrit un opuscule sur ce sujet.

8pratiques savantespratique lettréecitationLe cas du texte de Rufus est plus problématique, puisqu’on ne dispose pas, comme pour Galien, des ouvrages de Rufus dont pourraient être tirées les citations. Il existe pourtant un lieu parallèle conservé par Aétius d’Amida 12, un médecin du VI e siècle. Le texte d’Aétius, sur lequel nous reviendrons plus tard, préserve un passage de Rufus que l’on retrouve presque à l’identique chez Oribase. Mais outre ce passage commun, Aétius nous a transmis ce qui précédait et qui n’est pas donné par Oribase. Si les deux encyclopédistes byzantins, Oribase et Aétius citent indépendamment une même séquence textuelle, on peut supposer que ce texte de Rufus était continu ou provient en tout cas d’un même traité. Rufus d’Éphèse 13 fut actif durant la première moitié duII e siècle de notre ère, on estime qu’il vécut entre 80 et 150. Il étudia à Alexandrie et exerça peut-être à Rome, à titre de médecin de Trajan.

9L’historien arabe de la médecine Ibn abî Usaibi‘a (†1269) mentionne bien dans la liste des œuvres de Rufus un traitéSur les plaisirs de l’amour 14. Pourtant l’hypothèse a aussi été émise15 que le passage de Rufus conservé par Oribase et Aétius ait, à l’origine, constitué un chapitre de l’œuvreSur le régime, aujourd’hui perdue. Il ne semble donc pas véritablement assuré qu’il ait existé dans l’Antiquité un genre spécifiqueSur les plaisirs sexuels 16, même si les médecins arabes, comme nous le verrons par la suite, prirent modèle sur les chapitres d’Oribase dénommésPeri aphrodisiôn pour produire une centaine de traités sur l’hygiène sexuelle entre le IXe et leXII e siècle. Il convient donc de remonter à l’origine de ces titres, en nous interrogeant sur le rôle qu’a pu jouer Oribase au IV e siècle.

10acteurs de savoirprofessionbibliothécaire typologie des savoirsdisciplinessciences appliquéesmédecine Oribase 17 (ca 325-ca 395) fut le médecin personnel de l’empereur Julien dit l’Apostat 18 qui régna entre 361 et 363. Il fut aussi son fidèle ami et son confident. Il l’accompagna, tout au long de son périple militaire, dès 355 en Gaule alors que Julien venait d’être nommé César — il fut peu de temps après acclamé Auguste par ses troupes à Paris —, jusqu’au jour où ce dernier mourut à la bataille de Ctésiphon en Perse, le 26 juin 363. Originaire de Pergame, comme Galien, Oribase fit ses études de médecine à Alexandrie. Condisciple de Magnus de Nisibe, il eut pour maître le médecin Zénon de Chypre. Ayant rapidement acquis une solide réputation, il fut choisi par Julien comme médecin attitré, mais aussi comme bibliothécaire pour le suivre en Gaule 19. Le médecin fut ainsi en charge des livres offerts à Julien par l’impératrice Eusébie 20, une sorte de bibliothèque itinérante, puisque Julien la transporta dans ses campagnes en Gaule, puis en Perse. Conseiller et homme de confiance, Oribase était encore l’interprète des songes de l’empereur21. Il était enfin païen.

11pratiques savantespratique lettréecompilation espaces savantslieubibliothèqueÀ la demande de Julien, Oribase composa en Gaule, sans doute grâce à cette bibliothèque portative, un premier ouvrage de compilation, un compendium des écrits de Galien 22, qui est aujourd’hui perdu. Devant le succès rencontré par ce recueil auprès de Julien, il effectua pour lui un autre compendium 23 de plus ample dimension, rassemblant les écrits des meilleurs médecins sur l’ensemble de l’art médical. Les deux textes de Galien et de Rufus sont tirés de cesCollections médicales en soixante-dix livres. Cette œuvre était destinée à fournir au lecteur une formation médicale approfondie dans toutes les branches de la médecine. Après la mort de Julien, Oribase rédigea en neuf livres unesynopsis résumant sesCollections à l’intention de son fils Eustathe qui était chrétien. Puis un ouvrage en quatre livres, abrégé fort semblable au précédent, pour le rhéteur Eunape de Sardes 24. Le principe de ces deux épitomés, dont sont tirés les deux derniers textes, est de donner au lecteur en cas d’urgence, en voyage ou en toute occasion, une culture médicale suffisante pour soigner sans le secours d’un médecin.

12matérialité des savoirssupportsupport d’inscriptionficheUne épigramme de l’Anthologie grecque (XVI, 274) qui ornait peut-être un portrait ou un buste du médecin de Julien, décrit poétiquement sa méthode de travail : « C’est le grand médecin de l’empereur Julien (…), le divin Oribase. Il eut comme l’abeille, la même sage idée : butiner çà et là les fleurs des médecins, ses prédécesseurs ». Oribase est le premier grand encyclopédiste médical de la fin de l’Antiquité. Il décrit lui-même son projet dans le prologue desCollections : rechercher (ἀναζητεῖν) et rassembler (συναγαγεῖν) les principaux écrits des médecins qui l’ont précédé25. On comprend clairement sa technique à présent : il rédige, au fil de ses lectures, des fiches thématiques, il met en forme sous une même rubrique des passages tirés d’un ou plusieurs auteurs. Oribase sélectionne les textes à transmettre, il les récrit, les réorganise pour les mettre à la portée de ses contemporains. Son travail est de centraliser des données éparses de la science médicale pour les offrir sous une forme organisée et synthétique. Gardien des livres de Julien, Oribase a ainsi joué un rôle de passeur.

13acteurs de savoiracteur non humainêtre surnatureldivinité construction des savoirstraditionreligionchristianisme Julien doit son surnom d’Apostat au fait qu’il entreprit de restaurer les cultes polythéistes et païens, alors que l’Empire romain était en marche, depuis la conversion de Constantin 26, vers une institutionnalisation de la religion chrétienne. C’est dans un contexte de renouveau du paganisme, mélange de philosophie et de mystique inspiré par le néoplatonisme, qu’il faut comprendre la commande que l’empereur fait à Oribase de compiler sa vaste collection médicale. Pour Julien 27, la médecine est un don des dieux aux hommes, lié au culte d’Asclépios, et elle est une pleine illustration de la supériorité de l’hellénisme sur le christianisme. Julien manifeste dans ses écrits un intérêt certain pour l’art médical, sans doute sous l’influence d’Oribase 28. En 362, il édicta notamment une loi pour confirmer et accroître les privilèges accordés aux médecins29. Julien remit à l’honneur l’enseignement des disciplines philosophique et médicale, comme pour ériger un ultime rempart afin de défendre l’ancienne culture de la paideia contre le christianisme. Il ne faudrait néanmoins pas se contenter d’une image bipolaire, contre laquelle se prémunissait Foucault, en opposant la permissivité sexuelle sous le paganisme à l’austérité sous le christianisme30. L’empereur Julien est connu pour son abstinence et son puritanisme. Comment dès lors comprendre l’origine de ces chapitres ?

14acteurs de savoirqualités personnelles acteurs de savoircatégorie socialeélite acteurs de savoirsexe et genreLes deux premiers textes prennent place au sein du sixième livre desCollections médicales consacrés au régime et plus particulièrement aux exercices physiques. Au sommaire des trente-neuf chapitres de ce livre, on trouve des rubriques sur le sommeil et la veille, la déclamation, l’entraînement sportif, les frictions, la course, la lutte, le jeu de ballon, l’haltérophilie etc. Les deux derniers chapitres (Galien et Rufus) portent sur les plaisirs sexuels. Ils appartiennent donc à un ensemble sur les exercices corporels qui participent du régime de santé prescrit par le médecin, à côté des boissons, des aliments ou des bains. Cette section desCollections d’Oribase sur la diététique, entièrement puisée à des auteurs païens, décrit en quelque sorte une façon de vivre ou un emploi du temps qui correspond au mode de vie hérité de la paideia grecque. Cette vision du monde et ce modèle païens sont, à l’époque d’Oribase, fortement concurrencés par de nouvelles conceptions des rapports entre le corps et l’âme et par les nouveaux exemples d’ascétisme monastique qui laissent peu de place aux exercices physiques31. C’est au IV e siècle que se met en place un « ordre du jour » différent dans les communautés monastiques où l’étude des textes sacrés se substitue à l’étude de la philosophie. À une exaltation du corps en bonne santé fait place un idéal du corps chaste et abstinent. C’est aussi un modèle social qu’impliquent les prescriptions diététiques. Les règles de régime édictées s’adressent à un homme de l’élite, qui est pris par les activités politiques de la cité et qui doit compenser ces fatigues par un régime alimentaire et des exercices physiques adaptés. Préserver ces textes et ces savoirs diététiques, c’est ainsi sauvegarder la culture hellénique en tant que manière de vivre, mais aussi perpétuer une appréhension médicale de l’homme vu comme un lieu où le corps et l’âme doivent demeurer en harmonie.

Discours médicaux sur le coït

1. La polémique : bons ou mauvais pour la santé ?

15Après avoir identifié ces textes et les avoir remis en contexte, il convient de se plonger dans leur contenu et d’entreprendre une exploration en médecine ancienne afin de donner sens à cettescientia sexualis des médecins grecs. Chacun de ces chapitres s’ouvre par une phrase où affleure la polémique. Comprendre Oribase, c’est faire entrer les extraits-sources de Galien et de Rufus en résonance avec les controverses de leur temps. Le texte galénique commence par une critique de la position d’Épicure sur lesaphrodisia 32, tandis que Rufus semble se livrer également à une réfutation quand il déclare dans une litote : « Néanmoins, les plaisirs de l’amour ne sont pas complètement mauvais ».

16acteurs de savoircorpssantéCes extraits de l’époque impériale s’inscrivent dans la sphère d’un débat pour ou contre : les actes sexuels sont-ils bons ou nocifs pour la santé ? Cette façon d’aborder les problèmes innerve la production littéraire de l’Antiquité. Ladiaphonia (« désaccord », « controverse ») est un des modes privilégiés de la pensée antique et bien souvent, les médecins se réfèrent à ce type de problématisation au début de leur raisonnement pour prendre ensuite position au sein du débat. À l’époque impériale, tout texte d’idées prend du relief quand on peut restituer son arrière-plan polémique. Les rivalités entre les quatre grandes écoles médicales stimulent la production scientifique, tout comme l’affrontement des grandes sectes philosophiques alimente la vie intellectuelle. Chez les philosophes et les médecins, d’aucuns encouragent la pratique sexuelle, tandis que d’autres préconisent la chasteté33. Quelles sont les thèses en présence et leurs différents arguments ?

Rufus

17Le passage de Rufus repris par Oribase (Collections médicales VI, 38) présente surtout les avantages des rapports sexuels, mais à l’origine il était précédé d’un récapitulatif de leurs caractères nocifs. Le début du texte de Rufus, non retenu par Oribase, nous est conservé par un autre compilateur dénommé Aétius d’Amida 34, qui vécut au VIe siècle. Rufus y dresse la liste des préjudices que peuvent causer les aphrodisia. Chez les gens faibles, ils endommagent le système nerveux, la poitrine, les reins, l’aine et les pieds35. Ils peuvent créer des problèmes digestifs, altérer la vue, mais aussi l’ouïe et la mémoire chez ceux qui les pratiquent avec excès ou encore provoquer des maladies vésicales ou rénales, voire donner des aphtes et faire cracher du sang. Toutefois, Rufus oppose à ces risques une foule d’avantages. Pratiqués avec modération et au bon moment, les rapports sexuels sont bons pour la santé : ils permettent d’« évacuer le trop-plein, de rendre le corps plus léger, de provoquer sa croissance et de développer sa virilité ». Bons pour le corps, ils le sont aussi pour l’âme : « ils dissipent les idées fixes et calment les colères violentes ». Les aphrodisia sont également profitables aux mélancoliques, aux fous, aux misanthropes ou aux épileptiques. Leur fonction thérapeutique permet à certains malades de recouvrer la santé et l’appétit ou de faire cesser les pollutions nocturnes. Si Rufus présente les différents points de vue, il se positionne clairement en faveur desaphrodisia. Il développe bien plus les avantages que les inconvénients et initialement l’ensemble de son raisonnement était introduit par cette assertion : « Le coït est un acte naturel. Aucune des choses naturelles n’est nuisible »36 — pourvu qu’on veille à la circonstance et à la tempérance.

Galien versus épicure

18Dans les extraits de Galien collectés par Oribase, le discours est de bout en bout favorable auxaphrodisia. Galien souligne le mieux-être qui s’ensuit et les effets positifs sur les sujets flegmatiques ou mélancoliques. Le florilège galénique débute cependant par une diatribe contre Épicure : celui-ci aurait affirmé que les rapports sexuels étaient mauvais pour la santé.

19acteurs de savoirstatutsageOn mentionne d’Épicure 37 deux titres sur le sujet : un Περὶ ἔρωτος aux dires de Diogène Laërce (X, 27) et unBanquet, ainsi que nous le rapporte l’épicurien Zopyros dans lesPropos de table de Plutarque 38. Peut-être s’agissait-il au fond du même texte : on se souvient en effet que leBanquet de Platon porte le sous-titre de περὶ ἔρωτος. Plusieurs témoignages permettent d’établir les préceptes épicuriens en matière de sexualité. Le fondateur du Jardin classe lesaphrodisia parmi les plaisirs naturels non nécessaires. Lesaphrodisia sont des plaisirs et donc en tant que tels, profitables, puisque tout plaisir est bon. Le problème est qu’ils sont plaisirs « de mouvement » (cinétiques). Ils donnent de la joie mais, en contrepartie, du désir, un manque, une insatiabilité : un plaisir furtif et fugace39. Les plaisirs les plus élevés dans l’échelle du sage sont les plaisirs « d’état » (catastématiques), qui sont durables. Ils ne basculent pas dans la souffrance, mais apportent stabilité et ataraxie. Épicure dit : « le coït n’est jamais d’aucune utilité, c’est heureux s’il ne nuit pas »40.

20pratiques savantespratique intellectuelleétude de casChez les médecins Galien et Rufus, tout comme chez le philosophe Épicure, il existe un même souci de régler le bon usage des plaisirs et d’établir une stratégie du besoin naturel, une même recherche de la circonstance appropriée ou encore une même attention au cas particulier, chaque individu devant adopter une conduite différente en fonction de sa nature, de son âge, de son milieu, de ses habitudes etc. Pourtant ce qui différencie fondamentalement la doctrine des médecins de celle du philosophe, c’est leur assise théorique et plus particulièrement leur conception du corps et de ses rapports avec l’âme. Il ne s’agit pourtant pas d’une opposition facile entre médecins et moralistes : Épicure est très influencé par les théories médicales de son temps41 et son système éthique est avant tout fondé sur sa physique atomiste. Dans lesPropos de tables de Plutarque 42, l’épicurien Zopyros expose les arguments physiques, voire physiologiques qui poussent Épicure à condamner les plaisirs sexuels :

Le philosophe craignait les effets de la copulation à cause des mouvements violents, qui jettent dans le corps le trouble et le désordre. Le vin pur suffisait déjà à tirer le corps de son état normal, par la force de son action et le trouble qu’il déclenche ; mais si notre organisme alourdi de cette façon, au lieu de bénéficier du repos et du sommeil, reçoit de nouvelles secousses du fait de la jouissance sexuelle, les principaux liens qui maintiennent la cohésion du corps cèdent à la pression qu’ils subissent, de sorte que la masse risque de perdre tout équilibre, comme un édifice ébranlé de ses fondations.

21Épicure condamne le séisme atomique, le dommage structurel que provoquent, dans les corps, les aphrodisia. Épicure, en définissant un idéal de sagesse, prône avec rigorisme l’abstinence sexuelle, parce que lesaphrodisia créent le trouble et le désordre à l’intérieur du corps par leur mouvement et leur agitation.

Soranos

22Un autre argument vient de Soranos d’Éphèse, médecin méthodique qui exerce à Rome sous Trajan et Hadrien. Sa position est claire : prolonger la virginité le plus tard possible puis préconiser l’abstinence pour les deux sexes afin de rester en bonne santé, car « l’acte sexuel est nocif en soi »43. Si cette idée de virginité perpétuelle semble influencée par la théorie d’Épicure, Soranos présente clairement les arguments des deux parties. Les tenants de la virginité et de l’abstinence insistent sur les méfaits du désir qui entame le corps : pâleur, maigreur et langueur. Ils considèrent toute émission de semence chez l’homme et la femme comme dommageable. Soranos constate que « les hommes qui restent chastes sont plus forts, plus grands et en meilleure santé que les autres » ou encore que « les grossesses et les couches épuisent le corps féminin, le flétrissent en profondeur »44. D’un autre côté, ceux qui estiment salutaire la pratique desaphrodisia pensent que l’accomplissement de l’acte sexuel donne du répit au désir. Pour eux, l’émission de semence sans excès et sans une trop grande fréquence est bonne pour la santé chez l’homme et chez la femme, tandis que la rétention de cette semence amène l’obésité et l’engorgement des fluides du corps humain.

23Si la question faisait débat dans l’Antiquité, ce n’était pas, comme l’a bien vu Foucault, pour des raisons morales. L’acte sexuel n’est pas conçu comme une faute ou un péché, mais dans son rapport avec la santé et dans une perspective hygiénique. Deux soucis reviennent avec insistance au fil de ces textes : les risques d’une perte d’énergie et de sécrétions et le danger lié à la fréquence des actes sexuels. Entrons encore plus avant dans la matière de ces textes, en revenant sur l’image que se font les Anciens du corps humain et sur cette mécanique des fluides qui orchestre leur physiologie.

2. Une mécanique des fluides

24pratiques savantespratique intellectuelleobservationLa physiologie des médecins de l’Antiquité est davantage fondée sur la logique que sur l’observation. Le système repose sur la théorie quaternaire des humeurs et des qualités. Le corps humain est parcouru par quatre humeurs : sang, phlegme, bile jaune et bile noire. Quatre qualités se manifestent dans le vivant : le chaud et le froid, le sec et l’humide. Toutefois, si ces qualités correspondent parfois à des caractères réels de telle ou telle substance, elles décrivent la plupart du temps l’action propre de cette substance sur le corps. C’est ainsi que l’orge, par exemple, est considérée comme froide et humide, même grillée et servie chaude. Globalement, l’intérieur de l’organisme est perçu comme une succession de conduits (artères, veines, nerfs, œsophage, etc.) et de cavités (estomac, intestins et autres organes) par lesquels transitent les différents fluides que sont les humeurs, mais aussi l’air ou les vents. Conduits et cavités peuvent se resserrer ou bien se dilater, se vider ou bien se remplir. Les maladies peuvent ainsi avoir pour cause un trop-plein d’humeurs à tel ou tel endroit, créant une inflammation ou à l’inverse une trop grande vacuité provoquant l’anémie ou le marasme. Les émissions séminales sont considérées comme des phénomènes d’évacuation et de purgation au même titre que les vomissements, les crachements, la défécation, le fait d’uriner ou encore les saignées. Rufus attribue ainsi auxaphrodisia les vertus d’évacuer le trop-plein et de rendre le corps plus léger. Galien et Rufus précisent de conserve que les plaisirs sexuels sont bons pour les phlegmons, car « ils assécheront leur excès de phlegme par l’évacuation des humeurs ». La classification humorale des individus explique que les aphrodisia soient fortement recommandés pour les mélancoliques chez qui prédomine la bile noire. Le surplus d’humeurs mauvaises est évacué avec le sperme. D’un autre côté, si cette perte de semence est utile pour ceux chez qui les humeurs abondent, elle est funeste pour ceux qui en manquent. Plus généralement, lesaphrodisia entraînent dangereusement une dépense d’énergie et une perte de souffle vital. Galien et Rufus écrivent respectivement à ce sujet :

Ceux qui voient leur force affaiblie en viennent, par les rapports sexuels, à un épuisement extrême.
De fait, il est mauvais de faire l’amour après des efforts physiques, même si on croit que cela soulage de ces efforts, c’est à tort, car la faiblesse n’est pas un remède aux fatigues : celles-ci excitent seulement des désirs par la chaleur des nerfs de la région lombaire. Il faut donc se garder des fatigues, des vomissements à venir ou survenus peu auparavant et, de la même manière, des purgations.

25Les deux auteurs insistent sur la fatigue occasionnée par les rapports sexuels. Rufus conseille du repos après l’acte. Dans sesCollections médicales, Oribase, s’inspirant du traitéSur le sperme de Galien, décrit les facultés de la semence45 :

Les testicules ont encore une plus grande importance que le cœur, puisque, outre la chaleur et la force qu’ils donnent aux animaux, ils président à la perpétuité de l’espèce. Car ils communiquent à tout le corps une puissance du genre de la puissance sensitive et motrice qu’impulse le cerveau aux nerfs, et du genre de la puissance pulsatrice que le cœur communique aux artères, et cette puissance est pour les mâles la cause de la vigueur et de la virilité et pour les femmes la cause de la féminité.

26pratiques savantespratique intellectuellerésolution pratiques savantespratique intellectuelleraisonnementLe raisonnement d’Oribase aboutit à la conclusion qu’« on ne doit pas être surpris de ce que les gens qui font un usage immodéré des plaisirs de l’amour s’affaiblissent »46, car ils perdent cette force vitale impulsée par les organes génitaux. Un autre exemple célèbre cité par Platon dans lesLois 47 est celui de l’athlète Issos vainqueur à Olympie qui dut sa victoire au fait que, tant qu’il se consacra à l’entraînement, « il n’approcha jamais, à ce qu’on raconte, ni femme, ni garçon ». Pour les médecins grecs, le sperme est une substance produite par le corps tout entier aussi bien chez l’homme que chez la femme48. Il est composé de sang et d’air ou plutôt depneuma, c’est-à-dire de souffle vital. Ce mélange de sang et depneuma qu’est le sperme obtient sa couleur blanchâtre par la coction qu’il subit dans les testicules. L’incontinence sexuelle provoque donc la déperdition du souffle vital.

27Outre cette hantise de la perte et de l’épuisement, une seconde préoccupation domine les chapitres d’Oribase : celle dukairos ou moment approprié aux plaisirs de l’amour. Ce thème du moment qui convient pour l’amour est la question principalement débattue par le Zopyros de Plutarque. La détermination de ce moment prend en compte différentes divisions temporelles : la saison de l’année, l’âge du sujet, l’heure de la journée. Rufus dit bien que la meilleure saison pour le coït est le printemps, le meilleur âge la jeunesse, tandis que les pires sont l’automne et la vieillesse. Il écrit :

Les natures les plus appropriées aux plaisirs sexuels sont les natures chaudes et humides, et pour cette raison, la saison chaude et humide, tout comme l’âge : la saison du printemps et l’âge de la jeunesse. Le régime chaud et humide est, plus que les autres, favorable aux rapports sexuels. Les moins appropriés sont le régime sec et froid, l’âge de la vieillesse, la saison de l’automne et la nature parfaitement en accord avec ces qualités.

28Au niveau de la journée, le texte de Rufus montre bien que la sexualité intervient parmi d’autres activités du corps que sont l’alimentation, les bains, les exercices physiques (marches, courses, promenades à cheval). Ils sont pris au sein d’une séquence. Foucault 49 parle d’« attention “sérielle” » ou encore de « vigilance “circonstancielle” ». C’est une des grandes leçons de la médecine hippocratique que d’avoir envisagé chaque cas singulier et chaque circonstance particulière. Les traités de diététique prescrivent une méthode, un mode d’emploi, mais sans donner de règle stricte ou de solutions toutes faites. Les prescriptions varient en fonction de la nature du patient, de son âge, de la saison, de la région où il se trouve, de son passé immédiat, de ses habitudes, etc. Si l’activité sexuelle n’est que l’une des composantes du régime, on remarque tout de même qu’elle est fortement liée à l’alimentation. Ce sont les médecins qui se prononcent sur « la manière dont il faut faire usage des plaisirs de la table et du lit », comme le rappelle Foucault 50.

29Le régime préconisé par Rufus est destiné à ceux qui ont une activité sexuelle pour les y préparer avant, éviter une trop grande déperdition pendant, les restaurer après. Le régime sera humide et nourrissant, il privilégiera les nourritures flatulentes qui excitent et assurent un sperme plein depneuma, donc de bonne qualité. Ce qui a peu retenu l’attention des commentateurs est le rapport avec la digestion. Le processus de la digestion est conçu comme une cuisson ou une coction. Les aliments ingérés subissent une transformation durant cette phase, chaque partie attirant ce dont elle a besoin et rejetant les résidus. Cette phase est un moment critique, d’une part parce que la chaleur du corps s’accroît fortement durant le processus, d’autre part parce que c’est de ce moment de transformation du cru en cuit que dépend le bon fonctionnement de l’organisme. Des aliments ou des humeurs qui ne subissent pas la coction pourrissent, s’agglomèrent et engorgent les conduits : ils sont causes de maladies. D’où l’insistance de Rufus à déconseiller le coït quand le processus de coction de la nourriture n’est pas pleinement achevé. L’Épicure de Zopyros conseille également :

Pratiquer la chose lorsque le corps a retrouvé son calme et que se sont achevées la distribution et la circulation de la nourriture qui le traverse et s’en échappe et avant que le corps ne réclame de nouveaux aliments51.

3. Questions de genre

30acteurs de savoirsexe et genremasculinUne autre remarque s’impose à propos de ces chapitres : il va de soi que les discours de Galien, de Rufus et d’Oribase sont faits par des hommes et pour des hommes. On pourrait les qualifier, en utilisant un anachronisme, d’écrits andrologiques. Foucault et Rousselle ont bien analysé les aspects de cette médecine au service de l’homme. Par exemple, les activités extérieures décrites par Rufus : la course, la marche, les promenades à cheval, la lutte et les frictions sont des activités effectuées par des hommes, pour certaines au gymnase. Les deux patients impuissants que Rufus, à la fin de son passage, dit avoir guéris sont aussi deux hommes. C’est certainement du point de vue masculin qu’il faut comprendre que Rufus écrive que le coït avec une femme est moins violent qu’avec un homme :

Le coït avec une femme est moins violent et pour cette raison moins pénible. Le coït avec un homme est plus intense et il oblige à faire de plus grands efforts.

31acteurs de savoirsexe et genreféminin Aline Rousselle s’est attachée à préciser le portrait sociologique de ce patient type. Ses « occupations habituelles » sont celles d’un aristocrate pris par des obligations politiques. Pour lui, le médecin imagine un régime qui pallie son manque d’exercice ou sa vie fatigante. Dans ce cadre, tout le discours médical sur le corps féminin est orienté vers le mariage, la fécondation et la procréation. Ces aspects ont été bien étudiés depuis les années 1980. Il faut toutefois signaler que l’un des extraits qu’Oribase emprunte auSur les lieux affectés (VI, 5) de Galien est tiré d’un développement sur les femmes et les suffocations utérines. Le passage se réfère à des sujets masculins, mais il se situe dans un chapitre dévolu aux femmes. L’idée du passage est de montrer que la continence, dans les cas de veuvage ou de privation, conduit à des suffocations utérines, ce que Galien a pu observer aussi chez les hommes :

Certains, dès leur jeunesse, deviennent faibles immédiatement après les relations sexuelles. Mais d’autres, s’ils ne les pratiquent pas régulièrement, ont la tête lourde, la nausée et la fièvre, ils perdent l’appétit et digèrent moins bien.
Ainsi ai-je connu des individus dotés d’une telle nature, qui, pour s’être abstenus de pratiques sexuelles, tombèrent dans la torpeur et la paresse et d’autres qui devinrent sans raison sombres et désespérés comme les mélancoliques, cet état cessant aussitôt après la pratique des plaisirs de l’amour.
En réfléchissant sur ces cas, il me paraît que la rétention de sperme est très nuisible chez les personnes qui ont par nature un sperme de mauvaise qualité et abondant, qui mènent une vie tant soit peu oisive et qui, après avoir connu une pratique sexuelle tout à fait suffisante, sont devenues brusquement abstinentes.
La cause commune de la maladie chez l’homme et chez la femme en est la rétention de sperme.

32pratiques savantespratique intellectuelleanalogieEn effet, si le discours médical est à coup sûr masculin, la mention du sperme ne renvoie pas uniquement au corps de l’homme car les médecins anciens considéraient qu’il existait un sperme féminin. Foucault observe que lesaphrodisia chez les femmes sont perçus sur la base d’un isomorphisme avec ce qui se passe chez l’homme lors du processus d’éjaculation52. Mais c’est surtout Aline Rousselle qui a étudié cette question de l’impossible sperme féminin53. Aristote 54 avait certes démenti cette théorie du sperme féminin, mais pour Galien et les autres médecins, les femmes ont le même besoin que les hommes d’évacuer un sperme trop abondant ou vicié pour éviter une hystérie de continence.

33L’une des différences majeures avec la pensée chrétienne qui domine jusqu’à la Renaissance et bien au-delà, ce sont sans doute ces bienfaits pour l’âme qu’expose Rufus. Les rapports sexuels tempèrent les colères, ils dissipent les idées fixes, les obsessions et les soucis. Ils soulagent les mélancoliques et les misanthropes. Il y a dans ces conceptions antiques l’hypothèse d’un secret mélange qui unit l’âme au corps55. L’âme est subtilement matérielle, composée elle aussi d’une mixtion d’humeurs et depneuma qui véhiculent les sensations et les informations, tandis que le corps, pétri de facultés sensitives et perceptives, est traversé par les mêmes substances, dont le mélange forme le « tempérament ». La théologie chrétienne avec son idéal monastique et ascétique de virginité, de célibat et d’abstinence a profondément modifié cette vision interactive de l’âme et du corps, sans la détruire absolument, mais en décentrant l’équilibre et en soumettant pleinement les besoins du corps au diktat de l’âme.

Kitâb al-Bâh ou la fortune arabe des chapitres d’Oribase

34Pendant des siècles, les textes de Rufus et de Galien firent peu d’émules à Byzance ou en Occident latin56. C’est la théologie et la morale chrétiennes qui s’emparèrent du discours sur la sexualité avec la condamnation de sa pratique hors mariage. En revanche, dans le monde islamique, on peut être réellement surpris par le nombre de traités sur l’hygiène sexuelle qui voient le jour, suite à la traduction desCollections d’Oribase 57. Ce qui n’était au départ qu’une succession de fragments de Galien et une sélection de passages d’un traité de Rufus Sur le régime, va être considéré, par l’intermédiaire d’Oribase, comme un véritable genre médical et philosophique par les savants arabes58. À partir du IX e siècle fleurit sur les terres desMille et une nuits un discours scientifique et érudit sur la sexualité qui tient autant de la médecine et de la physiologie, que de l’érotisme voire de la pornographie. Entre le IXe et leXIII e siècles se multiplient les lettres, les traités ou les dialoguesSur le coït (fî l-Bâh), bien souvent adressés par des philosophes et des médecins à leurs princes. On peut supposer l’existence d’une centaine d’ouvrages appartenant à ce genre.

35La plupart de ces traités sont encore inédits, mais Manfred Ullmann a précisément répertorié leur tradition manuscrite. Il mentionne des écritsSur le coït d’al-Jâḥiz, de ḥunain ibn Isḥâq, d’al-Kindî, de Râzî 59, d’Avicenne ou encore de Maïmonide : la question devient centrale dans les milieux savants et lettrés. Ces textes, héritiers de la médecine grecque, se fondent sur l’idée que la rétention de certaines humeurs et sécrétions nuit à la santé et sur la conviction que le coït avec l’être aimé assure la santé du corps et celle de l’âme. Dans leDe coïtu de l’historien de la médecine Qustâ ibn Lûqâ 60 (ca 820-912), on retrouve les préceptes de Rufus : il faut prendre en compte l’âge du sujet, les saisons de l’année ou encore les phases de la digestion ; l’idée que la position debout est la plus fatigante est aussi reprise. Avec ces traités pourtant, lascientia sexualis se diversifie : sont adjointes des recettes d’aphrodisiaques61 ou des thérapies contre l’impuissance. On traite des maladies vénériennes, des causes de l’homosexualité masculine ou féminine, du cas des hermaphrodites. Influencée par les médecines indienne et persane, cette littérature tient aussi de l’ars erotica : recettes de cosmétiques pour sentir bon et avoir bel aspect, développements sur les différentes positions, anecdotes lascives ou poèmes obscènes venant illustrer les théories médicales. Sexualité et érotisme deviennent donc des questions de société et d’érudition.

36Samau’al ibn Yaḥyâ 62 (†1180), juif converti à l’islam en 1163, médecin et mathématicien, a laissé un modèle du genre dans sonLivre de conversation amicale sur l’intimité des amants en ce qui concerne la science de la sexualité 63. Dans la première partie, il explique les causes de l’impuissance, de l’homosexualité féminine et de l’homosexualité masculine. La seconde partie traite des aphrodisiaques, des thérapeutiques pour soigner l’impuissance, de la grossesse, des contraceptifs, de l’avortement ou de la dysménorrhée. Le livre s’ouvre sur une discussion comparant homosexualité et hétérosexualité. Samau’al ibn Yaḥyâ rapporte, par exemple, que certains médecins exhortent des hommes éminents à une pratique homosexuelle en alléguant que « l’union sexuelle avec les femmes conduit plus vite à la vieillesse et aux faiblesses de l’âge, provoque podagre et hémorroïdes, alors que les rapports avec les garçons sont moins nuisibles ». L’homosexualité féminine est expliquée par des conformations anatomiques ou par la difficulté à atteindre l’orgasme avec un partenaire masculin. L’auteur y brosse encore ce portrait de femmes étonnant pour l’époque :

Il existe une catégorie de femmes qui surpasse les autres en intelligence et en subtilité. Il y a beaucoup de masculin dans leur nature, si bien que dans leurs mouvements, par le ton de leur voix, elles ressemblent quelque peu à l’homme. Elles aiment être aussi l’élément actif. Une telle femme est capable de vaincre l’homme qui le lui permet. Lorsque son désir s’éveille, elle ne recule pas devant la séduction. N’a-t-elle aucun désir, alors elle n’est pas prête pour le rapport sexuel. Cela la place dans une situation délicate face aux désirs des hommes et cela la conduit au saphisme. Il faut rechercher la plupart des femmes qui possèdent ces qualités parmi les élégantes, les femmes capables d’écrire et de réciter, parmi les femmes lettrées.

37Ce philosophe musulman du XII e siècle, achève son Livre de conversation en rappelant les raisons qui poussent l’humanité au coït. C’est un élan spirituel qu’il assigne à l’acte érotique :

La troisième raison en faveur de l’exercice du coït est qu’il présente l’avantage de délier les entraves que constitue le corps, qu’il permet de passer au travers des murs de sa prison et de mettre en mouvement les pierres du cachot afin de rendre possible la fuite de l’âme hors de cette prison.
Notes
1.

Cet article est issu d’une communication donnée le 21 mars 2009 dans le cadre de l’atelier Éfigies-Antiquité. Je tiens à remercier tous les participants de cet atelier qui m’ont communiqué des pistes pour enrichir ce travail, Pénelope Skarsouli qui a revu avec moi certains points de la traduction ainsi que Tiphaine Samoyault pour son aide à l’écriture de ce texte.

2.

AlineRousselle, Porneia. De la maîtrise du corps à la privation sensorielle II e -V e siècles de l’ère chrétienne, Paris, 1983.

3.

MichelFoucault, Histoire de la sexualité, t. I « La volonté de savoir », Paris, 1976 ;id., Histoire de la sexualité, t. II « L’usage des plaisirs », Paris, 1984 ;id., Histoire de la sexualité, t. III « Le souci de soi », Paris, 1984.

4.

Le motaphrodisia dérive du nom de la déesse Aphrodite. Le mot désigne à l’origine « ce qui concerne Aphrodite », puis les « plaisirs de l’amour ». Dans le contexte médical et humoral de ces textes, il semble nécessaire de rappeler l’étymologie populaire énoncée dans leCratyle (406c) de Platon qui rapproche le nom de la déesse du substantifaphros, l’« écume » et le met en relation avec le mythe de la naissance d’Aphrodite, née de l’écume qui sourd du membre tranché d’Ouranos. Cette étymologie, qui fait partie intégrante de l’imaginaire collectif gréco-romain, apporte sans doute quelque lueur pour comprendre la poétique du corps à l’œuvre dans ce corpus médical.

5.

Ce texte se trouve dans lesCollections médicales d’Oribase à la fin du livre VI : VI, 37. L’édition de référence est celle de IoannesRaeder dans le Corpus Medicorum Graecorum VI 1, 1, Leipzig-Berlin, 1928, ici p. 187-189. Mais il existe une édition plus ancienne due à Ch.Daremberg et U. C.Bussemaker qui est assortie d’une traduction française : CharlesDaremberg et Ulco CatsBussemaker, Œuvres d’Oribase, t. 1, Paris, 1851, ici p. 536-540. J’ai donné une nouvelle traduction de ce texte en appendice (n° 1).

6.

Ce texte est édité par IoannesRaeder dans le Corpus Medicorum Graecorum VI 1, 1, Leipzig-Berlin, 1928, ici p. 189-192 (= CharlesDaremberg et Ulco CatsBussemaker,Œuvres d’Oribase, t. 1, Paris, 1851, p. 540-551). Il s’agit du texte n° 2 de l’appendice.

7.

Pour ces deux autres textes, voir Oribase, Synposis à Eustathe (éd. : IoannesRaeder CMG VI 3, Berlin-Leipzig, 1926, p. 8-9 = Daremberg-bussemaker, t. 5, Paris, p. 9-11) et id., Livres à Eunape (éd. : IoannesRaeder, CMG VI 3, Berlin-Leipzig, p. 329-330 =Daremberg-Bussemaker, t. 5, Paris, 1876, p. 586-588). Ces deux figurent en appendice (n° 3 et 4). Deux autres textes d’Oribase portent un même titrePeri aphrodisiôn : Oribase,Collections médicales. Livres incertains, 24-25 (Ioannes Raeder,CMG VI 2, 2, t. IV, Berlin-Leipzig, 1933, p. 116-117).

8.

VoirKühn V, 911-914.

9.

Voir Giovanni BenitoScarano, «Il “De venereis” di Galeno», Pagine di storia della medicina 10, 6, 1966, p. 85-90 et Véronique Boudon,Galien, Art médical, Paris, 2002, p. 427 (n. 2 de p. 351).

10.

L’éditeur d’Oribase donne comme sources successives à ce chapitre d’Oribase :Ars medica 24 (Kühni, 371-372 =Boudon, 351, 6-352, 5) ;De sanitate tuenda VI, 4, 5 (Kühn VI, 402 =Koch, CMG V 4, 2, 177) ;In Epidemiarum VI, V, 23 (Kühn XVII B, 284 =Wenkebach-Pfaff, CMG V 10, 2, 2, 301) ; De locis affectis VI, 5 (Kühn VIII, 417-419) ;De sanitate tuenda III, 11, 9-15 (Kühn VI, 223-224 =Koch, CMG V 4, 2, 98-99). Voir aussi AlineRousselle, op. cit. (note 2), p. 14-15.

11.

Chartier explique qu’il a édité ce texte parce que des manuscrits de la Bibliothèque royale — il emploie étonnamment un pluriel — l’attribuaient à Galien, mais il mentionne bien également qu’on lit les mêmes mots chez Oribase et dans d’autres livres de Galien, voir RenéChartier, Hippocratis Coi et Claudii Galeni Pergameni archiatron opera, t. VI, Paris, 1639, p. 551 pour la note et p. 509-510 pour le texte.

12.

Livres médicaux, III, 8 ; voir A.Olivieri, Aetii Amideni Libri medicinales I-IV, inCMG VIII, 1, Berlin-Copenhague-Leipzig, 1935, p. 266, 13-268, 9. Sur ce médecin byzantin, voir notamment RobertoRomano, «Aezio Amideno», in AntonioGarzya et Alii (ed.),Medici bizantini, Turin, 2006, p. 255-258.

13.

Sur Rufus d’Éphèse, voir IoannesIlberg, «Rufus von Ephesos. Ein griechischer in trajanischer Zeit»,Abhandlungen der philologisch-historischen Klasse der sächsischen Akademie der Wissenschaften 41, 1, 1930, p. 1-53 ; AlexanderSideras , «Rufus Von Ephesos und sein Werk im Rahmen der antiken Medizin»,Aufstieg und Niedergang der römischen Welt 37, 2, 1994, p. 1077-1253 et p. 2036-2062; Henrike Thomssen , ChristianProst, «Die Medizin des Rufus von Ephesos», Aufstieg und Niedergang der römischen Welt 37, 2, 1994, p. 1254-1292. Un ouvrage plus récent présente une édition du texte duSur la mélancolie de Rufus d’Éphèse conservé uniquement par des citations ainsi qu’une série de brefs essais consacrés au contexte historique et à la fortune de Rufus : Peter Pormann (ed.),Rufus of Ephesos, On Melancholy, Tübingen, 2008.

14.

Voir IoannesIlberg, op. cit., p. 44 n. 18 : «Das Buch vom Coitus». Il existe un fragment de Rufus chez Râzî conservé en latin et portant le titre de « De luxuria », voir AlexanderSideras, op. cit., p. 1201, n. 1220.

15.

Voir Ioannes Ilberg, op. cit. (note 13), p. 26, n. 1

16.

Reinhart Dozy mentionne toutefois une traduction arabe d’un traité Peri aphrodisiôn attribué à Polémon dans un manuscrit de Grenade ; voir ReinhartDozy, «Über einige in Granada entdeckte arabische Handschriften», Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Gesellschaft 36, 1882, p. 342-344, ici p. 342. S’agit-il d’un véritable traité ? Est-il authentique ?

17.

Eunape de Sardes consacre un notice biographique à Oribase dans ses Vies de philosophes et de sophistes, voir Olivier D’jeranian, Eunape de Sardes, Vies de philosophe et de sophistes, Houilles, 2009, p. 136-138. Sur Oribase, voir aussi Heinrich O.Schröder, s. v. « Oreibasios », dans RE VII, 1940, col. 797-812 ; BarryBaldwin, «The Career of Oribasius», Acta Classica 18, 1975, p. 85-97 (repris dans Studies on Late Roman and Byzantine History, Literature and Language, Amsterdam, 1984, p. 157-169) ; Robert J. Penella, Greek Philosophers and Sophists in the Fourth Century A. D. Studies in Eunapius of Sardis, Leeds, 1990, p. 112-114 ;Roberto de Lucia, «Doxographical hints in Collectiones medicae», in PhilipVan der Eijk (ed.), Ancient Histories of Medicine Essays in Medical Doxography and Historiography in Classical Antiquity, Leyde-Boston-Cologne, 1999, p. 473-489 ; AlessiaGuardasole, «Nuovi escerti di Oribasio», in UgoCriscuolo (ed.), Da Costantino a Teodosio il Grande. Cultura, società, diritto, Atti del Convegno internazionale (Naples, 26-28 avril 2001), Naples, 2003, p. 177-196 ; VéroniqueBoudon-Millot et RichardGoulet, s. v. « Oribase de Pergame », in RichardGoulet (éd.) Dictionnaire des philosophes antiques, t. IV, Paris, 2005, p. 800-804 ; Udo Hartmann «Oribasios in Persien», in RobertRollinger et BrigitteTruschnegg (ed.), Altertum und Mittelmeerraum: Die antike Welt diesseits und jenseits der Levante. Festschrift für Peter W. Haider zum 60. Geburtstag, Stuttgart, 2006, p. 343-364 et Roberto De Lucia, «Oribasio di Pergamo», in AntonioGarzya et alii (ed.), Medici bizantini, Turin, 2006, p. 21-29

18.

Sur cet empereur, voir les deux biographies récemment parues en français : Glen W.Bowersock, Julien l’Apostat, Paris, 2008 pour la traduction française et LucienJerphagnon, Julien dit l’Apostat, Paris, 2008.

19.

Julien,Discours au sénat et au peuple d’Athènes (V), 7.

20.

Julien,Éloge d’Eusébie (II), 15 : « Eusébie m’en donna en une fois une telle quantité, œuvres de bons philosophes et de bons historiens, jointes à celles de beaucoup d’orateurs et de poètes, qu’elle me permit de satisfaire ma passion, quelque insatiable qu’elle fût pour ce commerce de l’esprit, et qu’ainsi la Gaule et le pays des Celtes devinrent pour moi, en fait de livres grecs, un vrai musée » (trad. JosephBidez, Paris, 1932, p. 98).

21.

Voir Julien,Lettres, 14 (à Oribase).

22.

Sur ce compendium galénique, voir Photius,Bibliothèque, 216. Il n’est pas impossible que le premier chapitrePeri aphrodisiôn qu’Oribase met sous le nom de Galien reprenne un chapitre du compendium galénique perdu.

23.

Ces informations sont fournies dans l’introduction desCollections médicales dont le texte est également recopié par Photius (Bibliothèque, 217).

24.

Le rhéteur Eunape de Sardes, destinataire de l’abrégé en quatre livres, conclut ainsi la courte biographie d’Oribase dans sesVies de philosophes et de sophistes : « Converser avec Oribase est réservé au véritable philosophe, à celui qui sait quelle est cette chose qu’il devra admirer chez lui avant toutes les autres ; tant l’harmonie, tant le charme se dégagent de sa personne et vous dominent de toutes parts pendant ses entretiens ! » (trad. fr. Olivier D’jeranian, Paris, 2009, p. 138).

25.

Oribase,Collections médicales, prol. 2 : πάντων τῶν ἀρίστων ἰατρῶν ἀναζητήσαντά με τὰ καιριώτατα συναγαγεῖν καὶ πάντα ὅσα χρησιμεύει πρὸς αὐτὸ τὸ τέλος τῆς ἰατρικῆς (Raeder in CMG VI 1, 1 Leipzig-Berlin, 1928, p. 4, l. 7-9). Sur la méthode d’Oribase, voir RobertoDe Lucia, op. cit. (note 17

26.

Voir PaulVeyne, Quand notre monde est devenu chrétien (312-394), Paris, 2007.

27.

Julien, Contre les Galiléens, 235 b-c (ed. Wilmer CaveWright, vol. 3, p. 387-388) ou encoreLettres, 58.

28.

Sur ce point, voir UgoCriscuolo, «Giuliano imperatore e la tradizione medica dans AntonioGarzya et JacquesJouanna (éd.), Les textes médicaux grecs : Tradition ecdotique, Actes du IIIe Colloque International (Naples, 15-18 octobre 1997), Naples, 1999, p. 51-66.

29.

Voir Julien,Lettres, 75a et 75b. Ces deux textes sont en fait tirés d’une loi promulguée le 12 mai 362 par Julien sous la forme d’une lettre adressée aux « archiatres », afin d’exempter les médecins d’impôts. Le premier extrait provient du code Théodosien (XIII 3, 4) et le second est transmis par la tradition des lettres de Julien.

30.

On se souvient des mots de l’empereur philosophe Marc Aurèle, qui fut un modèle pour Julien. Dans sa recherche d’une représentation objective desaphrodisia et d’un discours intérieur libéré de toute subjectivité, il écrit : ἐπὶ τῶν κατὰ τὴν συνουσίαν <ὅτι> ἐντερίου παράτριψις καὶ μετά τινος σπασμοῦ μυξαρίου ἔκκρισις (« à propos de l’union des sexes, c’est un frottement de boyau, avec éjaculation, dans un spasme, de mucosités ») ; voir Pensées, VI, 13 (éd. de GiudoCortassa, Scritti di Marco Aurelio, Turin, 2000, p. 334).

31.

Voir Peter B.Brown, Le renoncement de la chair. Virginité, célibat et continence dans le christianisme primitif, Paris, 1995 pour la traduction française.

32.

Oribase,Collections médicales VI, 37 (= Galien,Ars medica 24) : « Des plaisirs de l’amour, il n’est, selon Épicure, aucune pratique qui soit bonne pour la santé. Pourtant, à dire vrai, la pratique en est bonne si on l’espace assez pour qu’à sa suite, on ne se sente nullement affaibli, mais plus léger qu’on ne l’était et qu’on respire mieux qu’on ne le faisait ».

33.

Sur ce débat, voir GéraldinePuccini-Delbey, La vie sexuelle à Rome, Paris, 2007, p. 267-272.

34.

Voir Aétius d’Amida, Livres médicaux, III, 8 (Daremberg, 318, 1-319, 14 =Olivieri, 265, 13-266, 8,op. cit. note 12).

35.

On retrouve ces éléments dans le texte dédié à Eunape.

36.

Φυσικὸν μὲν ἔργον ἡ συνουσία ἐστίν, οὐδὲν δὲ τῶν φυσικῶν βλαβερόν ; voir Aétius d’Amida, Livres médicaux, III, 8 (Daremberg, 318, 1-2 =Olivieri, 265, 13-14).

37.

Sur la position d’Épicure, voir Montferrat Jufresa, «Love in Epicurism», dansStoria, poesia e pensiero nel mondo antico. Studi in onore di Marcello Gigante, Naples, 1994, p. 299-311 et SalvatoreCerasuolo, «L’usi degli ‘Aphrodisia’ secondo Epicuro», dans SalvatoreCerasuolo (ed.), Mathesis e Philia. Studi in onore di Marcello Gigante, Naples 1995, p. 143-154.

38.

Plutarque,Propos de table III, 6, 1, 653 B.

39.

Chez Épicure et dans l’Antiquité en général, lesaphrodisia sont perçus dans une triade qui lie l’acte au plaisir et au désir de manière indissoluble, triade à laquelle Jean-Claude Milner a consacré un essai : Jean-ClaudeMilner, « Le triple du plaisir », dansConstats, Paris, 2002.

40.

Voir le fragment 62 d’Épicure, tiré duBanquet et transmis par Diogène Laërce (X, 118) et Clément d’Alexandrie (Pédagogue II, 10), dans HermannUsener, Epicurea, Leipzig, 1887, p. 118, l. 19-20. Galien se rémémore ailleurs cette formule épicurienne dans son Commentaire aux Épidémies III, I, 4 (Kühn XVII A, 521 =Wenkebach, CMG V, 10, 2, 1, p. 25, 5-6). Voir aussi Palladius, Commentaire aux Épidémies VI, V, 19 (Dietz, t. II, p. 43).

41.

Voir JulieGiovacchini, La méthode épicurienne et son système médical, Thèse École Normale Supérieure-Paris 10 Nanterre, 2007.

42.

Plutarque, Propos de table III, 6, 2, 653E-654A (éd. et tr. fr. FrançoisFuhrmann, t. I, Paris, 1972, p. 130-131).

43.

Soranos d’Éphèse, Maladies des femmes I, 9, 66-67 (éd. et tr. fr. de PaulBurguière, DanielleGourevitch et YvesMalinas, Paris, 2003, p. 28).

44.

Soranos d’Éphèse,Maladies des femmes I, 9, 14-19. Soranos met ici sur le même plan ce qui est véridique pour les femmes et ce qui semble plus douteux pour les hommes.

45.

Oribase, Collections médicales, Libri incerti, XXII, 2 (Raeder, CMG VI 2, 2, t. IV, p. 92, l. 20-26). Le passage s’inspire de Galien, De semine I 15 (Kühn IV, 585 = De Lacy,CMG V 3, 1, p. 136, l. 9-12).

46.

Oribase, Collections médicales, Libri incerti, XXII, 2 (Raeder, CMG VI 2, 2, t. IV, p. 93, l. 8-10).

47.

Platon,Lois VIII, 840a.

48.

Le traité hippocratiqueDe la génération répète cette conviction : « Quant au sperme de l’homme, il vient de toute l’humeur qui se trouve dans le corps », I, 1 ; « c’est que la plus grande partie du sperme vient de la tête, le long des oreilles vers la moelle » II, 2 ; « Je dis que le sperme se sécrète à partir du corps entier, de ses parties solides, de ses parties molles et de toute l’humeur » III, 1. Au sujet des femmes, il est dit : « La femme aussi éjacule à partir de tout le corps » (éd. et tr. fr. de RobertJoly, Paris, 1970). Sur ce point, voir MichelFoucault, Histoire de la sexualité, t. II, p. 172. Sur la question du féminin, voirinfra n. 52 et 53.

49.

MichelFoucault, op. cit., t. II, p. 140.

50.

MichelFoucault, op. cit., t. II, p. 70.

51.

Voir Plutarque, Propos de table III, 6, 2, 654A (éd. et tr. fr. FrançoisFuhrmann, t. I, Paris, 1972, p. 131).

52.

Voirop. cit., t. II, p. 168-171. Sur cette théorie hippocratique, voir Hippocrate,De la génération IV et V, 1.

53.

AlineRousselle, « Images médicales du corps : observation féminine et idéologie masculine ; le corps de la femme d’après les médecins grecs »,Annales 35, 1980, p. 1089-1115, ici p. 1111-1112 ;ead., La Contamination spirituelle, Paris, 1998, p. 25-68.

54.

Aristote,Génération des animaux II, 4.

55.

Jackie Pigeaud n’a cessé de montrer au cours de ses études que la théorie dualiste de l’âme et du corps était une construction culturelle. Dans son livreMelancholia, il écrit : « La première chose à constater, c’est le triomphe du “dualisme”. On ne comprend rien à rien de l’aventure de la “psychopathologie”, si l’on ne revient toujours à cefait, qui repose sur la victoire du sentiment, en quelque sorte que l’on prenne le mot, que l’homme est deux, une âme et un corps. Ce fait eut des conséquences institutionnelles déterminantes. Si tant de fois je l’ai décrit, c’est pour mettre en évidence que cette scission est un phénomène qui relève de l’Histoire et de circonstances culturelles, et qu’il règle encore, sans que nous le sachions trop, nos conduites et nos pratiques […]. Mais Hippocrate se situe avant cette radicale scission », voir Jackie Pigeaud,Melancholia, 2008, p. 70-72. Si le dualisme s’impose après Platon notamment, les frontières de l’âme et du corps restent bien floues et fluctuantes dans l’Antiquité et dans les textes médicaux en particulier. L’ouvrage de GalienLes facultés de l’âme suivent les tempéraments du corps fournit un bel exemple d’une vision physiologique de l’homme comme lieu où s’enchevêtrent le corps et l’âme.

56.

Sur la diffusion d’un genreDe coitu en Occident latin par le biais de Constantin l’Africain, voir Enrique Montero Cartelle, Constantini liber De coitu. El tratado andrología de Constantino el Africano, Santiago de Compostella, 1983 etid., Liber minor De coitu. Tratado menor de andrología, Valladolid, 1987.

57.

Sur ce phénomène, voir ManfredUllmann, Die Medizin im Islam, Leyde-Cologne, 1970, p. 193-198 et Danielle Jacquart et ClaudeThomasset, Sexualité et savoir médical au Moyen Âge, Paris, 1985, p. 169-179. La traduction d’Oribase doit être datée au plus tard de la première moitié duIX e siècle, voir FuatSezgin, Geschichte des arabischen Schriftums, Bd. III, Medizin-Pharmacie-Zoologie-Tierheilkunde, Leyde, 1970, p. 152-153.

58.

Il faut ici complètement dissiper une équivoque. Dans son livreDie Medizin im Islam (p. 75) paru en 1970, Manfred Ullman considérait qu’il existait un traitéPeri aphrodisiôn de Rufus. Il écrivait à son sujet : «handschriftlich erhalten, nicht gedrückt», sans toutefois indiquer dans quel manuscrit le traité était conservé ; sur cette position, voir également FuatSezgin, op. cit., p. 66. Dans un article ultérieur sur la transmission arabe des textes de Rufus d’Éphèse, Manfred Ullmann ne recense plus un tel traité, mais le titre Περὶ ἀφροδισίων devient plutôt un thème des textes transmis sous le nom de Rufus dans la littérature arabe, voir ManfredUllmann, «Die arabische Überlieferung der Schriften des von Ephesos»,Aufstieg und Niedergang der römischen Welt 37, 2, 1994, p. 1293-1349, ici p. 1348. On peut ainsi remarquer que les fragments de Rufus sur le coït collectés par Râzî ne donnent pas vraiment d’éléments supplémentaires par rapport au texte d’Oribase. Ces fragments sont du reste parfois introduits par la mention : « Oribase et Rufus ont dit », voir CharlesDaremberg et Charles ÉmileRuelle, Œuvres de Rufus d’Éphèse, Paris, 1879, p. 508-512. Si les fragments de Râzî ont pu être rassemblés à partir de diverses œuvres de Rufus, rien n’atteste réellement l’existence d’un traité Περὶ ἀφροδισίων et c’est davantage la traduction d’Oribase qui est à l’origine de l’éclosion d’un genrefî l-Bâh.

59.

Sur le Kitâb al-Bâh de Râzî, voir Peter E.Pormann, «Al-Râzî on the benefits of sex: a clinician caught between philosophy and medicine», inid. (ed.),Islamic Medical and Scientific Tradition, Londres-New York, 2011, vol. 2, p. 134-145.

60.

Voir les éditions et traductions allemandes de GaussHaydar, «Kitâb fî l-bâh wa-ma yuhtâgu ilaihi min tadbîr al-badan fî sti’mâlihi» des Qustâ ibn Lûqâ, Diss. Erlangen, 1973 et Nadjat AliBarhoum, Das Buch über die Geschlechtlichkeit Kitâb fî l-bâh») von Qustâ ibn Lûqâ, Diss. Erlangen, 1974. Je n’ai malheureusement pas pu consulter ces deux éditions. Mes informations sont tirées de DanielleJacquart et ClaudeThomasset, op. cit (note 57), p. 170-171.

61.

Maïmonide, dans l’opuscule d’hygiène sexuelle qu’il adresse au Sultan ʻUmar ibn Nûr ad-Dîn, un des neveux de Saladin, livre un grand nombre de recettes d’aphrodisiaques, voir HermannKroner, Ein Beitrag zur Geschichte der Medizin des XII. Jahrhunderts, an der Hand zweier medizinischer Abhandlungen des Maimonides, Oberdorf-Bopfingen, 1906 etid., «Eine medizinische Maimonides-Handschrift aus Granada. Ein Beitrag zur Stilistik des Maimonides und zur Charakteristik der hebräischen Uebersetzungsliteratur»,Janus 21, 1916, p. 203-247. Pour un autre exemple de recettes aphrodisiaques traduites en français, voir le chapitre II du livreSur la génération du fœtus et le traitement des femmes enceintes et des nouveau-nés du médecin andalou Arib Ibn Saïd al-Kâtib al Qurtubî (ca. 918-980), dans Jean-CharlesSournia, Médecins arabes anciens, X e et XI e siècles, Paris, 1986, p.

62.

Sur Abû Naṣr as-Samau’al ibn Yaḥya ibn ‘Abbâs al-Maġribî al-Isrâ’ îlî, voir Franz Rosenthal, «Die arabische autobiographie», dans Analecta Orientalia 14, 1937 (arabica I), p. 27-28 et AdelAmbouda , «As-Samaw’al ibn Yaḥya al-Magribî (c. 570 H)», Al-Machriq 55, 1961, p. 89-108.

63.

Sur ce Kitâb Nuzhat al-aṣḥâb fî mu‘âšarat al-ḥbâb fî ‘ilm al-bâh, voir LucienLeclerc, Histoire de la médecine arabe, t. II, Paris, 1876, p. 14-17 ; les éditions partielles du traité réalisées par KamalHallak, Partie II, section 6, Diss. Erlangen-Nuremberg, 1973 ; FadiMansour, Partie II, sections 1-5, Diss. Erlangen-Nuremberg, 1975 et TaherHaddad, Partie 1, section 6-8, Diss. Erlangen-Nuremberg, 1976. Comme je n’ai pas eu accès à ces éditions, mes renseignements et mes citations proviennent de DanielleJacquart et ClaudeThomasset, op. cit. (note 57), p. 171-172.

64.
Les quatre textes de l’appendice ont été édités et traduits en français par Charles Daremberg et Ulco Cats Bussemaker auXIX e siècle, voir CharlesDaremberg et Ulco CatsBussemaker, Œuvres d’Oribase, Paris, 1851-1876. Toutefois j’en propose ici une nouvelle traduction française fondée sur l’édition critique qui fait actuellement autorité : IoannesRaeder, Oribasii Collectionum medicarum reliquae, dans le Corpus Medicorum Graecorum VI, Leipzig-Berlin, 1928-1933. Deux raisons ont motivé cette nouvelle traduction : le souci de travailler à partir du meilleur texte grec possible et l’envie de donner un nouveau souffle à ces quelques pages oribasiennes.
65.
Voir Oribase, Collections médicales, VI, 37 (Raeder, CMG VI 1, 1, 1928, ici p. 187-189 =Daremberg-Bussemaker , Œuvres d’Oribase, t. 1, Paris, 1851, ici p. 536-540).
66.

Le substantif λαγνεία est l’un des nombreux mots qui désignent l’acte sexuel. On pourrait le traduire par « salacité », dans le sens de « propension aux rapprochements sexuels », si ce terme n’avait pas en français une nuance péjorative. J’ai donc préféré une expression plus neutre.

67.

On trouve ici une lacune dans le texte d’Oribase tel qu’il est édité par Raeder enCMG VI 1, 1, p. 188, l. 23. Dans l’édition de Daremberg (I, 538-539) on trouve au lieu de cette lacune, le texte suivant : ἀθρόως ἐγκρατεῖς ἐγενήθησαν. C’est ce texte que je traduis. On trouve dans leSur les lieux affectés de Galien qui est la source de la citation : ἀθρόα τις ἀποχὴ τῶν πρόσθεν (Kühn VIII, 419).

68.
Voir Oribase, Collections médicales, VI, 38 (Raeder CMG VI 1, 1, p. 189-192 =Daremberg-Bussemaker, Œuvres d’Oribase, t. 1, Paris, 1851, p. 540-551).
69.

Je traduis ici μέθην, édité par Charles Daremberg et non la leçon θερμήν, choisie par Ioannes Raeder.

70.

J’ai restitué la lacune présente dans le texte grec de l’édition deRaeder (CMG VI 1, 1, Leipzig-Berlin, 1928 p. 189, l. 17) sur la foi des témoignages indirects de laSynopsis à Eusthate I, 6 (Raeder , CMG VI 3, Berlin-Leipzig, 1926, p. 8, l. 19-20) et d’Aétius d’Amida (Olivieri, CMG VIII, 1, Berlin-Copenhague-Leipzig, 1935, p. 266, l. 27-28) qui présentent un passage parallèle. Il faut ici rétablir le grec : <ἐπιτηδειότατον μίσγεσθαι. Καθίστησι δ’εἰς τὸ σωφρονέστερον>.

71.

L’idée qu’à la puberté, les enfants auparavant épileptiques étaient guéris de cette maladie par la pratique du coït était très répandue dans la médecine gréco-romaine ; voir Pline,Histoire naturelle (XXVIII, 10) ; Celse,Sur la médecine (III, 23) et Scribonius Largus,Sur la composition des médicaments (18). Mais Hippocrate, Galien et d’autres médecins attribuaient davantage cette évolution aux changements du corps plutôt qu’à une pratique sexuelle. Le médecin Asclépiade de Bithynie préconisait le coït contre l’épilepsie, mais d’autres médecins défendaient l’abstinence, voire la castration. Une opinion, tantôt attribuée à Démocrite, tantôt à Hippocrate considérait le coït comme une petite épilepsie ; sur ce point, voir CharlesDaremberg et Ulco CatsBussemaker, Œuvres d’Oribase, t. 1, Paris, 1851, p. 667-668.

72.

La chironomie ou gesticulation est un art de mouvoir les mains et les bras pour la danse, la pantomime ou encore la lutte, voirJünther, s.v. «Χειρονομία», dans RE Berlin, 1899, col. 2224-2225.

73.

C’est-à-dire que ces exercices font travailler le haut du corps. La nourriture est ainsi attirée vers la partie supérieure du corps au détriment de la partie inférieure sollicitée par lesaphrodisia. Suivant cette même théorie les médecins Philagrius et Alexandre de Tralles recommandaient les exercices des parties supérieures du corps, comme l’haltérophilie ou le jeu de paume, contre les flux séminaux et le priapisme.

74.

Le grec dit « noirs ». Il s’agit en fait de vin rouge pur, non mélangé à de l’eau.

75.

Les aliments céréaliers (pain, galette, bouillies etc.) constituent le premier mets servi lors d’un repas grec, en quelque sorte l’entrée avant le plat principal (une viande ou un poisson).

76.

Raeder (CMG VI 1, 1, p. 190, l. 30) édite ici une leçon fautive qui résulte de la répétition d’un syntagme qui se trouve juste avant. Daremberg a corrigé, à bon droit, cette réitération fautive des manuscrits (Daremberg-Bussemaker, t. 1, p. 546).

77.

Le castoréum est une sécrétion très odorante produite par des glandes sexuelles du castor. Les médecins gréco-romains lui attribuaient des vertus thérapeutiques et aphrodisiaques.

78.
Voir Oribase, Synopsis à Eustathe (Raeder, CMG VI 3, Berlin-Leipzig, 1926, p. 8-9 =Daremberg-Bussemaker, t. 5, Paris, 1876, p. 9-11). Eusthate est le fils d’Oribase et il est chrétien.
79.

J’ai ici ajouté dans le texte grec le substantif εὐωχία qui améliore le sens du passage sur la foi du passage desCollections médicales qui est ici résumé par Oribase.

80.
Voir Oribase, Livres à Eunape (Raeder, CMG VI 3, Berlin-Leipzig, 1926, p. 329-330 =Daremberg-Bussemaker, t. 5, Paris, 1876, p. 586-588).
81.

Le texte peut paraître corrompu puisqu’on trouve deux états contradictoires : comment ces patients peuvent-ils devenir à la fois humides et secs ? Faut-il donc corriger ὑγραίνονται ? Daremberg propose de lui donner le sens bien attesté de « amollir », « relâcher ».

82.

Onguent à base de cire et d’huile.