Marine Bretin-Chabrol

Résumé

Partant d’une hypothèse animiste d’Antoine Meillet sur l’origine du genre grammatical féminin des noms d’arbres en latin, nous nous demandons si Varron, puis Ovide, ont perçu ce genre comme motivé sur le plan sémantique. Si le grammairien rejette l’hypothèse d’une motivation sémantique dans leDe lingua Latina, il est frappant de constater, en revanche, que la mise en scène des métamorphoses végétales par le poète n’implique jamais la transformation d’un homme d’âge viril en arbre. L’inspiration « antiquaire » et la dimension didactique des Métamorphoses transparaissent dans ce choix de réserver le motif de la métamorphose végétale à des récits implicitement reliés au culte des nymphes ou fondés sur un jeu de mot étymologique. Cependant les arbres des Métamorphoses ne se caractérisent pas par la fertilité qu’A. Meillet plaçait au fondement de leur nature féminine. Ils incarnent au contraire le devenir d’êtres en retrait de la sexualité, qu’il soient nés masculins ou féminins.

1acteurs de savoiracteur non humainêtre surnatureldivinité acteurs de savoirsexe et genreféminin acteurs de savoiracteur non humainvégétal construction des savoirslangage et savoirslanguelatinEn latin, les noms d’arbres sont majoritairement de genre grammatical féminin. Il est de tradition scolaire de justifier ce phénomène de deux façons : l’arbre serait perçu par les Romains comme un être féminin parce qu’il porte des fruits, ou bien parce qu’il abrite une nymphe, divinité féminine. Dans les deux cas, le genre grammatical est décrit comme motivé par des représentations ou par des croyances qui classent l’arbre parmi les êtres de nature féminine1. Cette explication usuelle trouve son origine dans une hypothèse formulée par Antoine Meillet à propos du genre des noms en indo-européen :

acteurs de savoirsexe et genreIl est curieux que, en général les noms d’arbres indo-européens soient de genre féminin, et les noms de fruits du genre neutre : l’arbre était considéré comme une sorte de femelle qui produit des fruits2.

2typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessciences du langagelinguistiqueLe linguiste poursuit en montrant comment cette règle s’est maintenue fermement en latin, alors qu’elle s’effaçait en grec :

Leurs conceptions [aux Grecs] sont déjà modernes, et les vieilles conceptions animistes n’existent plus chez eux qu’à l’état de traces3.

3typologie des savoirsdisciplinessciences appliquéesagronomie acteurs de savoirprofessionnaturalisteFaut-il sous-entendre qu’elles sont plus vives chez les Romains ? La référence à des croyances animistes est proposée ici par un linguiste moderne et n’est pas nécessairement consciente chez les locuteurs anciens du latin. Les naturalistes ou les agronomes romains considèrent en effet un certain nombre d’arbres commesteriles, sans pour autant refuser d’accorder cet adjectif au féminin4. Et l’on rencontre à l’inverse, dans quelques rares textes, des noms d’arbres fruitiers employés au masculin comme celui du figuierficus 5.

4typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessciences du langagegrammaireNous saisirons cependant le prétexte des formules idéologiquement marquées d’Antoine Meillet 6 pour nous demander si, à l’époque historique, le genre grammatical des noms d’arbres est perçu par les locuteurs du latin comme ayant un fondement sémantique. Deux ouvrages seront rapprochés ici, le traitéDe la langue latine de Varron et lesMétamorphoses d’Ovide, en ce qu’ils sont tous deux attentifs à l’étymologie des mots et à l’explication des cultes archaïques.

5pratiques savantespratique artistiquepoésieDans la mesure où Varron envisage l’existence d’un « genre naturel » déterminant le genre grammatical de noms se référant à plusieurs objets de la nature que nous qualifierions aujourd’hui d’inanimés, il dispose d’un système d’explication d’ordre sémantique qui aurait pu le conduire à formuler l’hypothèse animiste de Meillet. Son rejet probable d’une telle explication pour le groupe des noms d’arbres est d’autant plus significatif. Cette attitude contraste avec les choix esthétiques d’Ovide qui, en relatant sous forme d’étiologie la métamorphose en arbres d’êtres humains, et plus particulièrement celle de jeunes femmes et de nymphes, paraît vouloir remonter à la source de l’animisme et rappeler l’essence vitale de ces arbres ainsi que leur nature féminine. Dans le détail, nous verrons que le dispositif est plus complexe et plus riche, car ce que le poète décrit en jouant avec le genre grammatical des noms d’arbres n’est pas tant l’essence des objets naturels que celle du changement qui les affecte.

6typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalessciences de la vie et de l’environnementsciences de la vie par type d’organismesbotaniqueLa présente étude nous permet de poursuivre une réflexion initiée ailleurs sur le rôle des catégories du masculin et du féminin (mas etfemina) dans le domaine de la botanique antique7. Bien loin de se limiter à une représentation unique des arbres qui en fasse des êtres féminins, les textes botaniques ou agronomiques romains témoignent d’une grande souplesse d’utilisation de ces deux qualificatifs, selon le contexte et la qualité qu’ils veulent mettre en valeur. Ces catégories peuvent servir à opposer, au sein des arbres, différentes espèces (vigne au corps humide, de « nature » féminine, et olivier au corps sec, de « nature » masculine ; vigne « mariée » à un orme, dont l’attitude et le rôle sont féminins, et orme qui la porte, comme un époux soutient sa compagne), ou, au sein d’une même espèce, différentes variétés (tilleul mâle, au corps plus foncé, et tilleul femelle, au corps clair). Les qualificatifsmas etfemina, lorsqu’ils sont appliqués aux plantes, visent moins à décrire une propriété absolue de l’objet, qu’une tendance perçue par différence avec un objet similaire, dans le contexte déterminé d’une comparaison portant sur une seule qualité de la plante : la nature de son bois ou l’abondance de ses fruits8.

7Les catégories grammaticales que le latin désigne au moyen des mêmes qualificatifs mas etfemina, de leurs dérivésmasculinum etfemininum (genus), ou des adjectifsuirilis etmuliebris, peuvent-elles jouer le même rôle d’opérateur intellectuel, d’outil de connaissance ? Et, dans ce cas, ce couple de contraires permet-il de saisir des propriétés conçues comme inhérentes à l’arbre, ou bien des qualités interactionnelles, liées à l’usage que l’on veut faire de la plante dans un contexte déterminé ?

Les arbres inanimés de Varron

8acteurs de savoirsexe et genreLe genre des noms, gender en anglais, etgenus en latin, est une catégorie grammaticale qui n’existe pas dans toutes les langues, et peut se développer de façon très différenciée dans les langues qui la possèdent : des deux genres que nous connaissons en français à la vingtaine de genres observés en fula, langue du Niger, il y a place pour des classifications qui ne se limitent pas, loin de là, aux seules catégories du masculin et du féminin, et qui ne les incluent pas nécessairement9. Ce qui définit le genre, c’est l’accord des mots accompagnant le nom ou s’y substituant, articles, adjectifs, ou pronoms. L’attribution d’un genre à un nom repose sur deux types de critères, inégalement utilisés selon les langues : des critères sémantiques, selon lesquels par exemple de nombreux termes ayant pour référent un être humain mâle seront masculins en français, tandis que ceux ayant pour référent un être humain femelle seront féminins (le docteur/la doctoresse) ; et des critères de formes, qui imposeront notamment, dans cette même langue, un genre féminin aux mots dérivés au moyen du suffixe -té, quel que soit leur sens (la virilité, la maternité).

9Dans de nombreuses langues le sens du mot suffit à déterminer son genre. Par exemple, en tamil (langue dravidienne du sud de l’Inde et du Sri Lanka), les noms désignant les dieux et les êtres humains de sexe masculin sont masculins, ceux désignant les déesses et les femmes sont féminins, tous les autres sont neutres. Parfois, le système paraît moins cohérent à première vue mais il repose sur une conception du monde qui le rend tel aux locuteurs de la langue en question : en alamblak, langue de Papouasie-Nouvelle-Guinée, le genre masculin regroupe à la fois les noms d’hommes et celui des crocodiles, des pythons ou des flèches, c’est-à-dire, en fait, de tous les animaux et objets de forme allongée ; le genre féminin regroupe les noms de femmes et celui des objet plus petits ou de forme plus ramassée, tortues, grenouilles ou chaises10.

10Dans les langues indo-européennes, en revanche, les critères formels l’emportent sur les critères sémantiques, si bien qu’à l’exception des noms d’êtres humains ou de certains animaux dont le sexe est clairement identifiable, l’attribution d’un genre à un nom estarbitraire du point de vue de son sens11.

11Dans les remarques qu’il fait sur la catégorie du genre grammatical, dans le traitéDe la langue latine, Varron préfigure les conclusions des linguistes modernes. Comme l’a souligné Jean Collart :

Varron constate que l’étude du genre grammatical nous montre combien nature et convention peuvent s’allier dans le langage. Certains êtres animés en effet sont désignés par un mot, masculin ou féminin, qui convient à leur genre « naturel » ; mais souvent la distinction des genres repose sur l’emploi, conventionnellement distribué, des trois « articles » :hic,haec ouhoc 12.

12Pour Varron toutes les choses ont un genre qui leur est donné par la nature : ce genre est masculin, féminin ou neutre – le mot « neutre » signifiant « ni l’un ni l’autre ».

Negant, cum omnis natura sit aut mas aut femina aut neutrum, < non > debuisse ex singulis uocibus ternas figuras uocabulorum fieri, ut albus alba album; […]. Ad haec dicimus, omnis orationis quamuis res naturae subsit, tamen si ea in usum non peruenerit, eo non peruenire uerba: ideo equus dicitur et equa: in usu enim horum discrimina; coruus et corua non, quod sine usu id, quod dissimilis naturae 13.

13Varron ne distingue pas les termes désignant le « genre » grammatical et le « sexe » d’un être vivant, qu’il nomme tous deuxgenus. L’étymologie qu’il donne du mot « genre » l’associe en effet très clairement à la notion de reproduction. Pour lui, les êtres masculins et féminins de la nature sont capables d’engendrer.

Varro dicit « genera dicta a generando. Quicquid enim gignit aut gignitur, hoc potest genus dici et genus facere » 14 .

14Cette répartition entre les genres masculin et féminin dans la nature ne se limite pas, selon lui, aux êtres humains ou aux animaux : le feu est masculin par nature, car il contient un semen, graine, semence, ou aliment. Voilà pourquoi le nom du feu,ignis, est un nom masculin. De façon similaire, l’eau est féminine par nature, car elle encourage la production de fruits. Le nom de l’eau,aqua, est donc un nom féminin :

Mas ignis, quod ibi semen; aqua femina, quod fetus ab eius umore 15.

15Varron pourrait analyser de la même façon le genre des noms d’arbres, et justifier l’emploi du féminin en affirmant que les arbres sont des êtres féminins par nature, puisqu’ils produisent des fruits. Pourtant, pour autant que l’on puisse en juger malgré le caractère fragmentaire du traitéDe la langue latine, Varron ne range pas les arbres dans une catégorie d’êtres dont le genre serait par nature un genre animé. Discutant la possibilité d’établir des règles d’accord fondées sur la seule forme des mots, il affirme en effet :

Sic dici uirum Perpennam ut Alfenam muliebri forma et contra parietem ut abietem esse forma similem, quom alterum uocabulum dicatur uirile, alterum muliebre et utrumque natura neutrum sit. Itaque ea uirilia dicimus non quae uirum significant, sed quibus proponimus hic et hi, et sic muliebria in quibus dicere possumus haec aut hae 16.

16Pour Varron, un arbre comme le sapin (abies) est donc, naturellement, de genre neutre, et son genre grammatical féminin lui est imposé par convention.

Les arbres animés des Métamorphoses

17typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessciences du langageétymologieLes jeux d’Ovide avec l’étymologie des mots et l’étiologie des cultes, son intérêt pour les limites de l’identité sexuelle chez certains personnages, sa tendance à peupler de divinités un monde que Lucrèce s’était attaché à rendre plus matériel, font desMétamorphoses le poème où pourrait le mieux se trouver mise en scène, à Rome, l’hypothèse d’une essence féminine du végétal, dans la réactivation du lien grec rituel entre arbres et culte des nymphes. Les transformations en plantes constituent en effet une catégorie de métamorphoses bien référencée dont le poème présente une vingtaine d’exemples, la moitié concernant des arbres.

18inscription des savoirsgenre éditorialcatalogueIl faut ajouter à cette série le catalogue des arbres attirés par la lyre d’Orphée au début du chant X. Dans ce passage, les vingt-six espèces d’arbres énumérées sont le plus souvent qualifiées par un adjectif ou une périphrase. L’utilisation d’adjectifs de la première classe permet seule de révéler clairement le genre grammatical du nom de l’espèce, tandis que les autres tournures utilisées le masquent. Or, toutes les formules mentionnant les fruits portés par la plante reposent sur l’utilisation d’un adjectif de la première classe :curuata glandibus ilex, « l’yeuse courbée sous le poids des glands » (v. 94),bacis caerula tinus, « le laurier-tin aux baies noirâtres » (v. 98),amictae uitibus ulmi, « ormeaux vêtus de vigne » (v. 100)17,pomo onerata rubenti arbutus, « arbousiers chargés de fruits rouges » (v. 101-102), par opposition aux formules désignant d’autres caractéristiques telles quefraxinus utilis hastis, « le frêne propre à faire des javelots » (v. 93),enodis abies, « le sapin sans nœuds » (v. 94),platanus genialis, « le platane, abri des jours de liesse » (v. 95). Dans la même liste, d’autres adjectifs de la première classe rappellent l’origine féminine de certains arbres dont les métamorphoses ont été racontées antérieurement dans le poème : celle de Daphné,innuba laurus, « le laurier virginal » (v. 92), celle de Lotis, aquatica lotos, « le lotus ami des eaux » (v. 96). Bien que toutes les formules ne puissent donner lieu à une interprétation aussi transparente, cette série de qualificatifs nous encourage à poser la question de l’existence d’un jeu étymologique d’Ovide sur le genre grammatical des noms d’arbres.

1. Hamadryades et âges de la femme

19acteurs de savoiracteur non humainêtre surnatureldivinitéOn évoque souvent le lien entre le genre grammatical féminin des noms d’arbres et le culte des nymphes, divinités archaïques de la croissance de tous les vivants, personnification des forces naturelles qui y président. La religion populaire grecque révère à date très ancienne des nymphes des eaux, des montagnes ou des champs, auxquelles s’ajoutent, après Homère, des hamadryades, nymphes des arbres qui naissent et meurent avec eux18. Ces divinités féminines sont liées aux rites de passage marquant les différentes étapes de la vie des jeunes femmes : passage de l’enfance à la puberté, de la virginité au mariage, du statut de jeune épouse à celui de mère19.

20Or, les nymphes peuplent lesMétamorphoses, et parmi elles le poète met en scène plusieurs hamadryades, dont il souligne le double lien avec le végétal et le féminin. Pomone, au chant XIV, paradoxalement qualifiée d’hamadryade du Latium au vers 623-624,Latinas inter hamadryadas, préside ainsi à la reproduction des arbres fruitiers sans habiter aucun arbre. Son nom est interprété par les Anciens dont Servius comme dérivé du motpomum, arbre fruitier ou fruit de ces arbres20.

21Le chêne coupé par Érysichthon au chant VIII, abrite, lui, une nymphe répondant aux descriptions traditionnelles. L’arbre gémit sous la hache, ses feuilles et glands pâlissent, son tronc saigne, et la dryade fait entendre sa voix pour maudire son assassin : Nympha sub hoc ego sum Cereri gratissima ligno, « Je suis, sous ce bois qui me cache, une nymphe très chère à Cérès » (v. 771-773). L’anecdote, empruntée à l’Hymne à Déméter de Callimaque, est modifiée par Ovide de façon à renforcer la cohésion entre l’arbre, la nymphe qui l’anime et ses compagnes, par un jeu de mot étymologique. Comme le souligne Andreas Michalopoulos 21, le poète romain transforme le peuplier de Callimaque (αἴγειρος, v. 37) en un chêne, quercus, dont l’un des noms grecs, δρῦς, forme la racine du nom dryade.

22La présence possible d’une nymphe dans le corps de chaque plante est mise en avant par le poème, dans l’avertissement que donne Dryope à son fils :

Stagna tamen timeat nec carpat ab arbore flores
et frutices omnes corpus putet esse deorum
22.

23Ce tour généralisant véhicule un propos nettement animiste qui pourrait justifier les hypothèses d’Antoine Meillet, à ceci près que les légendes rapportées ici par Ovide mettent en scène des personnages définis comme grecs par leurs noms et leurs séjours.

24pratiques savantespratique artistiquepoésieD’autres personnages féminins du poème sont qualifiés de nymphes par Ovide, et adoptent la forme d’un arbre à l’issue d’une métamorphose. On pourrait se demander s’il s’agit bien d’hamadryades au sens strict. L’introduction d’une métamorphose dans la vie d’une divinité de ce type pose en effet un problème de temporalité : si la nymphe vit et meurt avec son arbre, comme la définit Servius, elle devrait aussi naître avec lui. Mais la dimension étiologique desMétamorphoses permet au poète d’envisager un temps d’avant le temps, où se prépare la mise en place des rythmes naturels : avant l’arbre, il y aurait eu une jeune fille, qui le définirait comme un être féminin par essence. De plus, il ne s’agit pas ici d’explorer l’authenticité des informations fournies par Ovide sur le culte historique des nymphes, mais d’apprécier la tendance du poète à caractériser les arbres comme des êtres animés de genre féminin.

25La métamorphose de Daphné en laurier au premier chant du poème est paradigmatique. Vierge en âge de se marier, désignée à plusieurs reprises comme une nymphe par Ovide 23, Daphné est poursuivie par le désir d’Apollon, auquel elle échappe par sa transformation en arbre. L’épisode constitue une étiologie de l’utilisation du laurier dans le culte d’Apollon, et repose sur l’étymologie du nom grec de la plante, ἡ δάϕνη. Au chant X, comme on l’a vu, le poète qualifie l’arbre d’innuba laurus. En utilisant un adjectif de la première classe, il choisit de marquer le genre féminin du nom de l’arbre. Le termeinnuba, ensuite, est formé sur une racine de mots qui ne sont employés que pour les femmes, puisqu’en latin, en matière matrimoniale, la femme estnupta quand son époux estmaritus. Le choix de cet adjectif permet peut-être, enfin, un jeu de mot étymologique sur une explication ancienne de nupta que Paul, abrégeant Festus, rattache au grec νύμϕη 24. Cette brève formule du catalogue des arbres renvoie à la déclaration que le poète avait prêtée à Apollon au chant I et à cette alternative étonnante :At quoniam coniunx mea non potes esse,/arbor eris certe, dixit, mea, « Eh bien, dit-il, puisque tu ne peux être mon épouse, du moins tu seras mon arbre » (v. 557-558). Le corps de l’arbre se substitue ici à celui d’une jeune fille nubile qui refuse le mariage et la sexualité.

26Le « lotus », dont Dryopé cueille malencontreusement les fleurs au chant IX, a connu le même destin. La plante est habitée par une autre nymphe, Lotis, ainsi métamorphosée pour échapper aux assiduités de Priape. Sa présence se manifeste par des gouttes de sang tombant de ses fleurs, et par un frisson parcourant les branches blessées. Ovide invente, semble-t-il25, la métamorphose deLotis enlotus, en la modelant sur celle de Daphné, à partir d’un nouveau jeu de mot étymologique : le personnage de Lotis voit son nom rapproché par homophonie de celui du lotus, dont le nom est masculin en grec, mais féminin en latin. Tout se passe comme si ce fait de langue avait autorisé à Ovide le rapprochement entre la plante, devenue féminine, et le personnage féminin :Tyrios imitata colores/in spem bacarum florebat aquatica lotos, « une pousse de lotus, amie des eaux, était couverte de fleurs dont l’éclat rappelait la pourpre de Tyr, promettant autant de baies nouvelles » (v. 340-341)26.

27pratiques savantespratique discursivedescriptionLe personnage de Dryopé lui-même porte un nom de nymphe, et le lien entre sa métamorphose et l’univers des nymphes, auxquelles la jeune femme vient apporter des couronnes, est l’un des seuls aspects de l’histoire qu’Ovide aurait repris à Nicandre 27. La transformation n’est pas recherchée par Dryopé, mais elle est au contraire présentée comme une punition pour la blessure infligée à Lotis. Il ne s’agit plus d’une vierge fuyant la sexualité, mais d’une femme mariée, mère d’un nourrisson encore au sein28. L’identification de l’arbre dans lequel se transforme la jeune femme pose un problème aux commentateurs29, qui relèvent également la bizarrerie de la description fournie pour le lotus. Les caractéristiques de la plante peinte par Ovide sont le goût d’un terrain humide, des fleurs de couleur pourpre et des baies à venir. On a proposé deux identifications pour cette plante : une variété de palmier dattier ou bien un jujubier, l’arbre des Lotophages de l’Odyssée, mais dans les deux cas la couleur des fruits pose problème. Il nous paraît possible de proposer une autre hypothèse, qui pourrait convenir aux deux personnages, celle du micocoulier (Celtis australis L.), également appelélotus ou lotos en latin. La couleur de ses fleurs n’est pas plus satisfaisante puisqu’elles sont d’une clarté et d’une taille discrètes, mais il pourrait y avoir eu assimilation avec la couleur du fruit. Pline le décrit ainsi :

Le micocoulier (faba Graeca) qu’à Rome, pour la douceur de son fruit, sauvage à vrai dire, mais proche de la cerise, on appellelotos 30.
Il existe, à Rome, un micocoulier (lotos) sur la place de Lucine, dont le temple fut élevé l’année sans magistrats, en 379 de Rome. On ne sait de combien l’arbre est plus ancien, mais il n’est pas douteux qu’il le soit, puisque Lucine tient son nom de ce bois (lucus) ; il a donc maintenant cinq cents ans environ. Plus ancien, mais d’âge indéterminé, est le micocoulier dit chevelu (capillata) parce qu’on y porte les cheveux des vierges Vestales31.

28inscription des savoirsvisualisationvisualisation de l’informationarbre construction des savoirstraditionreligionL’existence de deux arbres « sacrés » appartenant à cette espèce à Rome pourrait justifier une double métamorphose en lotus : Lotis représenterait la virginité des Vestales, Dryopé les femmes en couches protégées par Lucine. Le lien entre cette dernière et le lotus romain nous paraît fondamental puisque la présence du nourrisson au sein de Dryopé est l’un des éléments les plus marquants du récit et que cette histoire s’inscrit dans une série de fables consacrées à la maternité, accouchement perturbé d’Alcmène et grossesse de Iole, sa belle-fille, qui est aussi, et seulement chez Ovide, la demi-sœur de Dryopé.

29Une telle hypothèse nous conduit donc à envisager d’autres représentations du corps de l’arbre comme un corps féminin. L’impressionnante césarienne au moyen de laquelle Lucine, justement, délivre de son enfant Myrrha, devenue l’arbre myrrhe, contribue à construire le corps de l’arbre comme un corps maternel. Pourtant, la difficulté de l’accouchement et l’hybridation du corps de Myrrha, corps d’arbre contenant un enfant humain, soulignent au contraire l’altérité des deux natures. Ici, l’image poétique inverse une métaphore médicale. Les Anciens, Aristote par exemple, ou l’auteur du traitéDe la nature de l’enfant dans leCorpus hippocratique, décrivent en effet fréquemment la formation du fœtus au moyen d’une image végétale : au sein du ventre de la mère, auquel il est rattaché par la racine que forme le cordon ombilical, le fœtus se ramifie comme un arbre32. La naissance marque le moment de la séparation, le passage d’un corps unique, celui de la mère dont le fœtus n’est encore qu’une partie, à deux corps différents. En inversant la polarité, la métamorphose accentue l’altérité créée par l’accouchement. Le nourrisson, comme le fils de Dryopé, ne pourra plus trouver en sa mère-arbre le lait nourricier. Car Myrrha n’est plus exactement de ce monde. Sa métamorphose en arbre lui a acquis de ne souiller ni l’univers des vivants ni celui des morts par le sacrilège de son inceste. Elle est entre la mort et la vie :

O siqua patetis
numina confessis, merui nec triste recuso
supplicium; sed ne uiolem uiuosque superstes
mortuaque extinctos, ambobus pellite regnis
mutataeque mihi uitamque necemque negate
33.

30Passant du corps féminin aux attitudes culturelles attendues de lui en contexte gréco-romain, on remarquera encore le lien entre les métamorphoses en arbres et les figures de pleureuses : les Héliades, sœurs de Phaeton 34, se figent dans l’immobilité de leur deuil excessif (quatre mois) qui entraîne leur métamorphose en peupliers. En référence à leur deuil, l’arbre produira des larmes d’ambre. Myrrha, elle aussi, voit ses larmes transformées en un produit précieux, la myrrhe. Le rapprochement entre les arbres et les pleureuses est souligné par le mouvement inverse qui fait des arbres réunis par Orphée les premières pleureuses de sa mort :tua carmina saepe secutae / fleuerunt siluae ; positis te frondibus arbor / tonsa comam luxit, « Sur toi, Orphée, pleurèrent […] les forêts que tes chants avaient si souvent attirées ; pour toi, les arbres, se dépouillant de leur feuillage, faisant tomber leur chevelure, prirent le deuil »35.

31Les arbres desMétamorphoses sont donc régulièrement présentés comme des êtres animés par des puissances féminines, généralement des nymphes. Myrrha et Dryopé, l’une enceinte, l’autre allaitant, portent les fruits de leur maternité et incarnent ainsi la fertilité que l’on a voulu trouver à l’origine du genre féminin des noms d’arbres. Mais il faut nuancer cette lecture. Dans la mesure où la métamorphose en arbre suspend la succession normale des étapes de la vie féminine (puberté, mariage, grossesse, allaitement, maturité, et mort), elle ne décrit pas la plante comme un reflet ou un accomplissement du féminin. La transformation en arbre permet au contraire d’échapper en partie à ce rôle. La vierge à marier, la femme allaitant ou la femme en deuil adoptent les attitudes attendues d’une femme en contexte gréco-romain, mais leur métamorphose pérennise une situation normalement transitoire et les soustrait à la sexualité que leur état avait interrompue.

2. Les hommes-arbres ou les métamorphoses du genre

32acteurs de savoirsexe et genre typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessciences du langagegrammaireLes métamorphoses en arbre ne concernent pas seulement des personnages féminins, ce qui remet en cause plus nettement encore la cohérence de l’hypothèse de Meillet. Il n’y a pourtant ni contradiction ni gêne chez le poète lorsqu’il s’agit d’accorder le nom de ces nouveaux arbres au féminin. Le jeu avec la catégorie du genre grammatical devient alors l’un des indicateurs de la métamorphose.

33pratiques savantespratique artistiquechantLa transformation du jeune Cyparissus clôt le catalogue des arbres séduits par la lyre d’Orphée au chant X et introduit le thème que se propose désormais de chanter le poète mythique, après la perte irrémédiable d’Eurydice. Il s’agit des amours ayant pour objet de tendres mâles,teneros mares (v. 84), cueillis dans la fleur de l’âge par la mort ou la métamorphose. L’amour d’Apollon pour Cyparissus n’effémine pas le jeune homme : le terme mares est tout à fait clair sur ce point. La jeunesse du personnage,puer, en fait un objet amoureux qui s’inscrit dans la pratique grecque de la transmission des valeurs masculines par l’amour d’un aîné. Mais la métamorphose de Cyparissus en cyprès est originale, puisqu’il s’agit d’une des rares transformations d’un jeune homme en arbre. En général, les beaux jeunes gens deviennent des fleurs, tels Narcisse, Hyacinthe ou Adonis (anémone), conformément à la métaphore usuelle de la « fleur » de la jeunesse, explicitement utilisée dans le texte au vers 85,primos carpere flores. Bien que l’association cultuelle entre le cyprès et Apollon soit ancienne, la métamorphose de Cyparissus est une invention tardive, dont le récit d’Ovide constitue la première attestation36. Ici, le changement en arbre s’accompagne d’un changement de genre grammatical :

Adfuit huic turbae metas imitata cupressus,
nunc arbor, puer ante deo dilectus ab illo,
qui citharam neruis et neruis temperat arcum
37.

34Pour Andreas Michalopoulos, l’opposition entre les deux adverbes de tempsnunc etante souligne le jeu de mots étymologique qui permet de passer du nom du personnage, translittéré du grec, Cyparissus, à celui de l’arbre, emprunté depuis longtemps en latin, cupressus. Mais ce jeu ne justifie pas un changement de genre, puisque le nom de l’arbre est féminin aussi bien en latin qu’en grec. Il faut donc aller plus loin.

35L’expressionpuer dilectus est une variante depuer delicatus, dont Florence Dupont et Thierry Eloi ont montré qu’elle désignait à Rome un jeune esclave sexuel, dont le sexe était indifférent38. Or l’histoire du jeune Cyparissus et son affection pour un cerf domestiqué, ne sont pas sans rappeler le motif du cerf tué par Ascagne au chant VII de l’Énéide (v. 483sq.), événement qui devient lecasus belli de la guerre du Latium. Ovide concentre dans le personnage de Cyparissus non seulement la responsabilité d’Ascagne dans la mort de l’animal, mais également tous les traits qui caractérisaient l’attitude de la jeune Silvia chez Virgile : décoration de ses bois par des couronnes de fleurs, puis pleurs inconsolables. C’est son deuil excessif qui conduit Cyparissus à sa transformation en arbre. Ici, le jeu sur le genre du personnage se double d’un jeu sur son âge : Cyparissus est un enfant, qui n’est pas encore entré dans l’âge viril. Ses larmes d’enfants en font une pleureuse et favorisent son assimilation à un arbre de genre grammatical féminin.

36Un autre personnage de genre problématique est transformé en arbre dans lesMétamorphoses : il s’agit d’Attis, jeune homme castré consacré à Cybèle sous la forme d’un pin. L’histoire de ce personnage n’est que brièvement évoquée dans le poème, mais elle est longuement développée dans le poème 63 de Catulle et au chant IV desFastes (v. 223-246). Catulle, qui ne parle pas de métamorphose en arbre, s’intéresse à l’émasculation dont il traduit les effets sur l’identité du personnage par une incertitude sur le genre grammatical qu’il faut employer pour le désigner, tantôt masculin, tantôt féminin39. Dans lesFastes, pas de métamorphose non plus, mais la promesse faite à Cybèle par Attis de rester vierge en l’honneur de la déesse :Semper fac puer esse uelis, « Consens à rester toujours un enfant » (v. 226). Malheureusement, le héros trahit sa promesse pour l’amour d’une hamadryade. Le passage d’Attis à l’âge de la sexualité est presque rendu dans lesFastes en termes de métamorphose, puisque la perte de sa virginité est présentée comme un changement de nature ou d’identité : et in nympha Sagaritide desinit esse/quod fuit, « et pour la Nymphe du Sagaris, il cesse d’être ce qu’il était » (v. 229-230). Cette première « altération » d’Attis entraîne la vengeance de Cybèle, sous la forme d’une seconde modification du corps du personnage qui se fait eunuque. Approximativement contemporaine de celle desFastes, la brève évocation de la métamorphose d’Attis en pin, à la fin du catalogue des arbres, repose sur une utilisation très fine des connotations que l’on peut attribuer aux genres grammaticaux :

et succinta comas hirsutaque uertice pinus,
grata deum matri, siquidem Cybeleius Attis
exuit hac hominem truncoque induruit illo
40.

37La métamorphose d’Attis est soulignée ici par le changement de genre que l’on observe entre les adjectifs qui le qualifient en tant qu’humain,Cybeleius Attis, et ceux qui le décrivent sous sa forme de pin,succinta, hirsuta, grata. Sans heurter l’usage, mais parce qu’il en révèle les implications à travers l’utilisation d’adjectifs de la 1ère classe, Ovide répond au poème 63, dans lequel Catulle joue avec le genre des adjectifs se rapportant au personnage pour traduire l’émasculation par une marque grammaticale. La transformation en arbre redouble à la fois la castration d’Attis et son retrait du monde de la sexualité.

38Les deux personnages de Cyparissus et d’Attis, l’un jeune garçon chéri d’un dieu, l’autre eunuque, brouillent manifestement les catégories du genre, et constituent deux êtres « à la limite ». Mais que dire de Philémon, homme pieux et marié, transformé lui aussi en arbre en compagnie de son épouse, ou du pâtre devenu olivier sauvage ?

39L’oleaster, ou olivier sauvage, est le produit de la transformation d’un pâtre d’Apulie puni par les nymphes pour s’être moqué de leur pas de danse41. L’épisode est bref et ne donne pas lieu à l’utilisation d’adjectifs, à l’exception de celui qui décrit l’homme avant sa métamorphose, contrefaisant la danse des nymphes avec des sauts de rustre,saltuque imitatus agresti 42. Mais il est remarquable que ce végétal possède précisément l’un des seuls noms d’arbres masculins en latin. Quant aux fruits de cet arbre, ils sont qualifiés d’amers (v. 525 :bacis amaris), car ils gardent le souvenir des paroles insultantes du pâtre (v. 526 :asperitas uerborum).

40La métamorphose de Philémon est moins facile à interpréter. Philémon et Baucis, malgré la modestie de leur demeure et de leurs moyens, reçoivent avec une généreuse piété Jupiter et Mercure, en visite auprès des hommes et mal reçus par tous les autres représentants de cette espèce. Les deux vieillards sont récompensés par un double présent : les dieux leur confient d’abord la garde et le service du temple qu’ils instaurent à la place de l’humble maison, et ils leur accordent de ne pas voir la mort l’un de l’autre. C’est ainsi que Philémon et Baucis se trouvent simultanément métamorphosés en arbres. Sur la colline où ils ont disparu, on peut toujours voir un chêne et un tilleul se côtoyer. Le poète cependant n’a pas précisé qui est qui. Franz Bömer 43, dans son commentaire, met bien en lumière les différents aspects du problème, à l’exception d’un détail par lequel nous commencerons, c’est que les deux arbres sont du même genre grammatical : tiliae contermina quercus/collibus est Phrygiis, modico circumdata muro, « Il y a sur les collines de Phrygie, à côté d’un tilleul, un chêne entouré d’un petit mur » (v. 620-621). Ici, les deux adjectifs féminins s’accordent avec quercus. Or, il est évident pour Bömer, suivi par William S. Anderson, que le chêne désigne Philémon et le tilleul Baucis. Les qualités généralement attribuées aux deux arbres encouragent en effet cette interprétation, puisque le tilleul est souvent qualifié demollis ou deleuis 44, tandis que la dureté du chêne apparaît clairement dans la polysémie du terme robur. Cette opposition entre un bois tendre et un bois dur est l’un des critères que les spécialistes anciens de botanique utilisent pour qualifier respectivement les espèces d’arbres defemina ou de mas. Mais Franz Bömer remarque les limites d’une telle interprétation qui fait du chêne un arbre masculin alors qu’il apparaît ailleurs habité par une dryade, divinité à caractère féminin. Nous ajouterons que les choses ne sont pas plus simples en ce qui concerne le tilleul, puisque Pline distingue justement au sein du genre tilleul deux espèces d’arbres différentes, letilia mas et letilia femina 45.

41Le récit de l’histoire de Philémon et Baucis par Ovide se caractérise de plus par la mise en symétrie des deux personnages. Dans la préparation du repas, leurs rôles paraissent en effet interchangeables. Tous deux, dépourvus de serviteurs, participent à la confection des mets, tous deux alimentent la conversation avec les dieux. Philémon n’a de préséance que lorsque les dieux l’interrogent sur ce qu’ils souhaitent comme récompense. Et s’il est le seul à parler, c’est après avoir demandé son avis à Baucis. Le récit de leur double métamorphose est exemplaire, à cet égard, dans ses constructions en miroir, ses formules grammaticales de réciprocité ou dans l’emploi épicène du terme coniunx :

Annis aeuoque soluti
ante gradus sacros cum starent forte locique
narrarent casus, frondere Philemona Baucis,
Baucida conspexit senior frondere Philemon.
Iamque super geminos crescente cacumine uultus
mutua, dum licuit, reddebant dicta : « Valeque,
o coniunx », dixere simul, simul abdita texit
ora frutex. Ostendit adhuc Thyneius illic
incola de gemino uicinos corpore truncos
46.

42acteurs de savoirsexe et genreLe mot le plus important du texte est l’adjectifgeminus. Présentant le tableau d’un couple pieux vivant modestement à la campagne, le récit pourrait s’apparenter aux descriptions poétiques du bonheur conjugal associé à la restauration morale d’Auguste, comme ceux que dressent Virgile au chant II desGéorgiques ou Horace dans sa deuxième épode. Cependant, alors que sous la référence à lacasta domus on devine chez ces deux auteurs une répartition des rôles masculin et féminin entre travail extérieur et travail intérieur47, cette exigence de complémentarité dans le couple n’est pas reprise par Ovide, qui lui préfère une relation de gémellité. De la même façon, la comparaison récurrente entre le couple marié et le « mariage » des ormes et des vignes (présente dans le poème 62 de Catulle, ou dans l’histoire de Vertumne et Pomone, au chant XIV desMétamorphoses), qui distribue explicitement la force d’un support à l’orme-mari et la fertilité à la vigne-épouse48, est remplacée ici par l’image de deux troncs jumeaux.

43Là encore, selon nous, il faut penser en termes d’âge, non de genre ou de sexe. Philémon et Baucis ne sont pas considérés sous le rapport de la sexualité. Ont-ils eu des enfants ? L’histoire n’en dit rien. Mais il est évident qu’ils ne sont plus en âge d’en avoir. Le rapprochement proposé par Bömer, entre cette légende et celle de la visite de Yahvé à Abraham et Sara, dans la Genèse, renforce cet aspect de l’histoire. Pour récompenser les deux vieillards de leur hospitalité, Yahvé leur promet un enfant, ce qui fait rire Sara, depuis longtemps sortie de l’âge de la maternité. Mais les dieux accomplissent l’invraisemblable en provoquant la grossesse d’une femme de cent ans ou la métamorphose d’un couple en deux arbres jumeaux. Peu importe ainsi l’identification de chacun des deux personnages d’Ovide à tel ou tel arbre, ils sont presque interchangeables.

44Au terme de cette étude, il est possible d’affirmer que le texte desMétamorphoses joue avec les catégories grammaticales du féminin et du masculin lorsqu’il s’agit de décrire la transformation d’un personnage en arbre. Mais ce jeu ne s’ancre pas de façon univoque dans une conception homogène de l’arbre comme être vivant féminin. Comme les botanistes le font des qualificatifsmas etfemina, le poète utilise plutôt les genres grammaticaux masculin et féminin comme un couple polarisé qui permet ponctuellement la différenciation et la division. Passer d’un genre à l’autre souligne l’altérité et renforce la métamorphose. Ces catégories ne sont pas essentialisées dans le texte par une partition nette et universelle des rôles, telle que pourrait l’exprimer l’opposition actif/passif à laquelle Charles Segal, dans son ultime essai, réduit l’opposition du masculin et du féminin, en affirmant que la figure de l’arbre décrit un corps féminin immobilisé dans le regard désirant de l’homme ou un corps masculin subissant les atteintes du désir d’un autre homme49. L’arbre permet au contraire, de façon bien plus riche, de décrire des corps hors de la sexualité, qu’il soient nés masculins ou féminins : corps ne l’ayant jamais connue, ceux de Daphné, de Lotis ou de Cyparissus, corps de mères brutalement séparées de leur enfant, dans un accouchement ou un allaitement hybride qui efface leur maternité, pour Dryopé et Myrrha, corps cherchant à annuler la faute d’une sexualité impie, ceux de Myrrha et d’Attis, corps de vieillards en qui la différence sexuelle s’est effacée, devenus des êtres jumeaux se partageant des rôles indifférenciés, Philémon et Baucis. Deux figures ne sont en revanche jamais transformées en arbre, celle du héros d’âge mûr, chef politique, guerrier et père de famille, et celle de la matrone, épouse et mère de plusieurs enfants. Ni vivant ni mort, l’arbre desMétamorphoses est un être de deuil, soustrait à la continuité des générations qui permettent à l’homme de se prolonger : son rôle est celui d’une pleureuse excessive, inconsolable, figée pour la durée incommensurable d’une vie d’arbre dans cette posture, acquiescant aux dieux, mais ne recevant son mouvement que du vent50.

Notes
1.

Les noms d’arbres de la 2e déclinaison, en particulier, constituent le groupe le plus important de noms féminins à thème en-o (Meillet 1908, p. 478-479). L’homogénéité sémantique de cet ensemble et la résistance du genre féminin dans des noms dont la morphologie aurait pu encourager le passage au masculin, ont permis d’envisager que le choix du genre féminin ait pu être motivé à l’origine par une conception de l’arbre comme être de nature féminine (Matasović 2004, p. 46).

2.

Meillet 1948b, p. 217. L’hypothèse est reprise dans leDictionnaire étymologique de la langue latine 4 d’Ernout et Meillet,s. u. arbor, p. 43 : « Le genre féminin s’explique facilement : l’arbre, considéré comme un être animé, est “la productrice” des fruits ».

3.

Meillet 1948b, p. 220.

4.

Cf. par ex. Pline,Histoire naturelle XV, 98, à propos de l’arbousier (unedo) :Arbor ipsa fruticosa […].Mas sit an femina sterilis, inter auctores non constat, « L’arbre lui-même est touffu […]. Est-ce le mâle ou la femelle qui est stérile ? Les auteurs ne s’accordent pas sur ce point » (sauf mention contraire, les traductions utilisées son celles de la CUF).

5.

Caton,De l’agriculture 42 :de eo fico.

6.

Françoise Létoublon a bien montré que l’infléchissement donné par Meillet à la notion d’arbitraire du genre est dû à sa volonté de lier linguistique et anthropologie, en relation avec les travaux de l’École Sociologique de Paris, et plus particulièrement ceux de Lévy-Bruhl (Létoublon 1988, p. 127-138). Mais il s’agit bien d’un infléchissement, non d’un renoncement, puisque le linguiste affirme par ailleurs qu’à l’époque historique la catégorie du genre en indo-européen est une survivance de l’opposition entre genre animé et genre inanimé, dont les fondements sémantiques n’ont de réalité que pour les noms d’êtres humains et d’animaux dont on distingue les sexes (Meillet 1948a, p. 202). Je remercie Françoise Létoublon de m’avoir donné accès à son article.

7.

Sur l’utilisation des catégories du masculin et du féminin par Aristote et Théophraste dans le domaine de la botanique, cf. Foxhall 1998, p. 57-70, qui insiste notamment sur l’opposition entre arbres sauvages « mâles » résistant à la domestication et arbres « femelles » dont les produits peuvent plus facilement être exploités par l’homme. Nous nous permettons également de renvoyer à notre propre article (Bretin-Chabro l 2007, p. 15-28), qui complète celui de Lin Foxhall par l’examen des emplois de ces mêmes catégories en latin chez les agronomes romains ainsi que par l’étude du motif, proprement romain, du « mariage » de la vigne et de l’orme, décrivant la relation entre les sexes comme un rapport de complémentarité, non de domination.

8.

Sur le rôle des couples d’opposés dans l’invention de la logique grecque et sur la « polarité » comme méthode d’argumentation, cf. Lloyd 1966, p. 15-171.

9.

Corbett 1994, p. 1348.

10.

Corbett 1994, p. 1349.

11.

Matasović 2004, p. 18 et p. 171-172.

12.

Collart 1978, p. 14-15.

13.

Varron,De la langue latine IX, 55-56 : « Puisque toute nature est ou mâle ou femelle ou neutre, chaque mot ne devrait pas manquer, disent-ils, de se décliner sous trois formes, commealbus, alba, album (blanc, blanche, blanc) […]. À cela je réponds que, bien que les objets naturels constituent la référence fondamentale de tout discours, leurs noms n’entrent cependant pas dans le langage si ces objets ne sont pas entrés dans l’usage. Nous distinguons ainsiequus etequa (le cheval et la jument) parce qu’ils nous est utile de les distinguer ; mais noncoruus etcorua (le corbeau et la « corbelle ») parce que cela nous est inutile, bien que leur différence existe dans la nature » (trad. personnelle).

14.

Varron,De la langue latine fr. 7a (= [Sergii]Explanat. in Donatum, IV, 492, 37-493, 3 Keil) : « Varron dit que le motgenus (genre, race) vient du verbegenerare (engendrer), car tout ce qui engendre ou est engendré peut être appelé ungenus ou produire ungenus » (trad. personnelle). Le texte choisi et la référence sont ceux de G. Kent dans la Loeb Classical Library, 1993 (1ère éd. 1938). En citant Varron, Sergius critique sa définition sous prétexte qu’elle ne justifie que la partition masculin/féminin et oublie le neutre. Cf. également Varron,De la langue latine fr. 7b (= Pompeius.Commentum Artis Donati, V, 159.23-26 Keil).

15.

Varron,De la langue latine V, 61 : « Le feu est masculin, car il contient une semence ; l’eau est féminine, car son humidité produit des embryons ».

16.

Varron,De la langue latine IX, 41 : « AinsiPerpenna etAlphena ont une forme féminine, quoique le premier soit un nom d’homme, et le second un nom de femme ; et les motsparies (la paroi) etabies (le sapin), quoique semblables quant à la forme, diffèrent quant au genre (car le premier est masculin et le second féminin), et désignent deux choses qui ne sont ni du genre masculin ni du genre féminin. C’est pourquoi nous disons qu’un mot est masculin, non parce qu’il désigne un être de nature mâle, mais parce qu’il peut être précédé dehic ou dehi ; et pareillement nous disons qu’un mot est féminin, non parce qu’il désigne un être féminin, mais parce qu’il peut être précédé dehaec ou dehae » (trad. Nisard).

17.

L’union de l’orme et de la vigne a en effet pour but la prolifération des grappes des raisins.

18.

Servius,Commentaire aux Bucoliques X, 62 :Nymphae, quae cum arboribus et nascuntur et pereunt, « Ce sont des nymphes qui naissent avec les arbres et meurent avec eux ». Cf. Larson 2001, p. 8-11 et p. 73-78.

19.

Larson 2001, p. 100-117.

20.

Servius,Commentaire à l’Énéide VII, 190 :Pomona, pomorum dea. Cf. Myers 1994, p. 115.

21.

Michalopoulos 2001, p. 75.

22.

Ovide,Métamorphoses IX, 380-381 : « Mais qu’il craigne les étangs, qu’il se garde de cueillir les fleurs des arbres, que dans toutes leurs tiges il s’attende à trouver des corps divins ».

23.

Ovide,Métamorphoses I, 472 ; 504 ; 505.

24.

Festus (Paul) 173, 2 L :nuptam a Graeco dictam. Illi enim nuptam νέαν νύμϕην appellant, « Nupta (la mariée) vient du grec. Les Grecs appellent en effet la jeune mariée νέαν νύμϕην (nouvelle nymphe) » (trad. personnelle). Le mot grec se lit clairement chez Festus 172, 12 L.

25.

Bömer 1977, p. 375-378.

26.

Le genre de « lotus », masculin en français, contraint le traducteur à effacer la spécificité du texte latin. Aussi avons-nous adopté la périphrase « pousse de lotus », afin de conserver l’accord au féminin.

27.

Nicandre,ap. Antoninus Liberalis XXXII. Bömer 1977, p. 375-378.

28.

Ovide,Métamorphoses IX, 338-339.

29.

Dryopé se transforme-t-elle à son tour en lotus ? Franz Bömer rejette cette hypothèse sous prétexte que les deux jeunes femmes, portant deux noms différents, doivent correspondre à deux arbres différents. Le commentateur penche plutôt pour une transformation de Dryopé en peuplier, reprise à Nicandre (Bömer 1977, p. 375-378). Mais cette lecture se fait au prix d’une interprétation contournée des vers 364-365 :Dryopen quaerentibus illis/ostendi loton. Tepido dant oscula ligno, « Comme ils [son père et son mari] cherchaient Dryopé, je leur montrai le lotus. Ils embrassent le bois encore tiède » (trad. personnelle). Il nous paraît difficile de comprendre ici, à la suite de Bömer, que l’arbre désigné par Iolé est celui que Dryopé a blessé, et non celui dans lequel elle est enfermée.

30.

Pline,Histoire naturelle XVI, 123.

31.

Pline,Histoire naturelle XVI, 235.

32.

Hippocrate,De la nature de l’enfant 27, 2 ; Aristote,De la génération des animaux II 4, 740 a 24-740 b 2. Cf. King 1990, p. 13-15.

33.

Ovide,Métamorphoses X, 483-487 : « O dieux, si vous êtes tant soit peu cléments aux fautes avouées, j’ai mérité un châtiment sévère, je ne le refuse pas ; mais afin que, laissée en vie, je ne souille pas les vivants, ni morte, les défunts, chassez-moi des deux royaumes et soustrayez-moi à la vie comme à la mort, en me transformant ».

34.

Ovide,Métamorphoses II, 272-366.

35.

Ovide,Métamorphoses XI, 45-47.

36.

Bömer 1980, p. 52.

37.

Ovide,Métamorphoses X, 106-108 : « À cette foule vint se joindre le cyprès, qui rappelle les bornes du cirque, un arbre aujourd’hui, jadis un enfant aimé du dieu à qui obéissent les cordes de la lyre aussi bien que la corde de l’arc ».

38.

Sur lepuer delicatus, cf. Dupont et Eloi 2001, p. 207-212 et p. 213-228. Sur son aspect asexué,ibid. p. 210.

39.

Catulle,Poésies 63, 1 :uectus Attis ; 8 :citata. Cf. Harrison 2004, p. 523-529.

40.

Ovide,Métamorphoses X, 103-105 : « Et toi, pin, à la chevelure relevée, à la cime hérissée, arbre que chérit la mère des dieux ; car Attis, favori de Cybèle, a quitté pour lui la figure humaine et il est devenu la dure substance qui en forme le tronc ».

41.

Ovide,Métamorphoses XIV, 512-526.

42.

Ovide,Métamorphoses XIV, 521.

43.

Bömer 1977, p. 197.

44.

Cf. Ovide,Métamorphoses X, 92 :tilliae molles.

45.

Pline,Histoire naturelle XVI, 65.

46.

Ovide,Métamorphoses VIII, 712-720 : « Un jour que, brisés par l’âge, ils se tenaient devant les saints degrés et racontaient l’histoire de ce lieu, Baucis vit Philémon se couvrir de feuilles, le vieux Philémon vit des feuilles couvrir Baucis. Déjà une cime s’élevait au-dessus de leurs deux visages ; tant qu’ils le purent, ils s’entretinrent l’un avec l’autre : “Adieu, mon époux ! Adieu, mon épouse !” dirent-ils en même temps et en même temps leurs bouches disparurent sous la tige qui les enveloppait. Aujourd’hui encore l’habitant du pays de Thynos montre deux troncs voisins, nés de leurs corps ».

47.

Virgile,Géorgiques II, 513-531 ; Horace,Épodes 2, 1-40. La répartition des rôles attendue dans le couple champêtre fait l’objet des prescriptions plus précises de Columelle (Columelle,De l’agriculture XII,praef. 2-6), en référence à la traduction qu’avait faite Cicéron de l’Économique de Xénophon (Columelle,op. cit. XII,praef. 1).

48.

Catulle 62, 49-54 ; Ovide,Métamorphoses XIV, 661-668.

49.

Segal 2005, p. XXXI-XLIX.

50.

Je remercie Nicole Guilleux de m’avoir indiqué la plupart des références utilisées ici sur la question du genre des noms en indo-européen, et Florence Klein de m’avoir fait connaître plusieurs ouvrages importants de la bibliographie ovidienne. Cet article développe une communication prononcée à l’Université Lille III en juin 2007, dans le cadre du colloque dir. par J. Boulogne et D. Devauchelle,Féminin/Masculin. Imaginaire et réalité dans la vie des mondes de l’Antiquité (HALMA-IPEL). Merci à Violaine Sebillotte Cuchet d’en avoir permis la publication en le proposant au comité de rédaction deMètis, et merci à ce comité de l’avoir accepté.

Appendix A

  1. Anderson 1997 et 1972 : William S. Anderson,Ovid’s Metamorphoses, Norman and London, books 1-5, 1997 ; books 6-10.
  2. André 1968 : Jacques André, « Les changements de genre dans les emprunts du latin au grec »,Word XXIV, p. 1-7.
  3. André 1985 : Jacques André,Les noms de plantes dans la Rome antique, Paris.
  4. Bömer 1977 et 1980 : Franz Bömer,P. Ovidius Naso. Metamorphosen, Kommentar, Heidelberg, livres VIII-IX, 1977 ; livres X-XI.
  5. Bretin-Chabro l 2007 : Marine Bretin-Chabrol, « Le sexe des plantes. Analogie et catégories du genre chez les agronomes romains », in Paul Carmignani, Mireille Courrent, Joël Thomas, et Thierry Eloi (éd.),Le Corps dans les cultures méditerranéennes, Perpignan, p. 15-28.
  6. Collart 1978 : Jean Collart, « L’œuvre grammaticale de Varron », inMélanges J. Collart, Varron, grammaire antique et stylistique latine, Paris, p. 3-21.
  7. Corbett 1994 : Greville G. Corbett, « Gender and Gender Systems », in R. E. Asher and J. M. Y. Simpson (ed.),The Encyclopedia of Language and Linguistics, Oxford-New York-Seoul-Tokyo, vol. III, p. 1347-1353.
  8. Dupont et Eloi 2001 : Florence Dupont et Thierry Eloi,L’Érotisme masculin dans la Rome antique, Paris.
  9. Foxhall 1998 : Lin Foxhall, « Natural sex : the attribution of sex and gender to plants in ancient Greece », in Lin Foxhall and John Salmon (ed.),Thinking Men. Masculinity and its Self-Representation in the Classical Tradition, Londres-New York, p. 57-70.
  10. Harrison 2004 : Stephen J. Harrison, « Altering Attis : ethnicity, gender and genre in Catullus 63 »,Mnemosyne 57 (5), p. 520-533.
  11. King 1990 : Helen King, « Making a Man : Becoming Human in Early Greek Medecine », in R. G. Dunstan (ed.),The Human Embryo : Aristotle and the Arabic and European Traditions, Exeter, p. 10-19.
  12. Larson 2001 : Jennifer Larson,Greek Nymphs. Myth, Cult, Lore, Oxford.
  13. Létoublon 1988 : Françoise Létoublon, « Le soleil et la lune, l’eau et le feu selon Meillet, de la grammaire comparée à l’anthropologie »,Histoire Épistémologie Langage 10 (2), p. 127-138.
  14. Lloyd 1966 : Geoffrey E. R. Lloyd,Polarity and Analogy, Two types of Argumentation in early Greek Thought, Oxford.
  15. Matasović 2004 : Ranko Matasović,Gender in Indo-European, Heidelberg.
  16. Meillet 1908 : Antoine Meillet, « Le genre féminin des noms d’arbre et les thèmes en -o »,MSL 14, p. 478-479.
  17. Meillet 1948a : Antoine Meillet, « Le genre grammatical et l’élimination de la flexion », inLinguistique historique et générale, I, Paris, p. 199-210.
  18. Meillet 1948b : Antoine Meillet, « La catégorie du genre et les conceptions indo-européennes », inLinguistique historique et générale, I, Paris, p. 211-229.
  19. Michalopoulos 2001 : Andreas Michalopoulos,Ancient Etymologies in Ovid’s Metamorphoses : A Commented Lexicon, Leeds.
  20. Myers 1994 : Karen S. Myers,Ovid’s Causes. Cosmogony and Aetiology in the Metamorphoses, Ann Arbor.
  21. Segal 2005 : Charles Segal, « Il corpo e l’io nelleMetamorfosi di Ovidio », in Alessandro Barchiesi (ed.),Ovidio. Metamorphosi, Vol. I (Libri I-II), Milan, p. XVII-CI.